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En Ile-de-France, la transformation numérique démarre

L’Ile-de-France concentre une large part des capacités d’hébergement, éditeurs de logiciels, entreprises de services du numérique… qui fournissent des solutions cloud. Mais le tissu régional d’entreprises, majoritairement composé de PME, n’y est pas plus avancé qu’ailleurs dans sa transition numérique. De multiples dispositifs de sensibilisation et d’accompagnement se mettent en place.

Ici, le bâtiment d’Orange fait le relais entre le réseau national de fibre optique et le réseau local desservant les habitations et les entreprises à Cergy-Pontoise ( 95). Photo : DR – Antoine  Devouard / CACP – Google

Les entreprises du cloud computing d’Ile-de-France représentaient 50 % du chiffre d’affaires national de la filière, soit près de 1,2 milliard d’euros en 2011, selon une étude de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi (Direccte) d’Ile-de-France, publiée en septembre 2012. «  Au niveau du nombre d’entreprises* du cloud, environ 40 % sont installées en Ile-de-France, poursuit l’étude ; (soit) environ 8 300 établissements.  » Tous secteurs confondus, la région capitale ne concentre que 24 % des entreprises françaises. La filière cloud y est donc surreprésentée.

Le paradoxe français

C’est particulièrement vrai pour les datacenters. Sur quelque 160 implantés en France, plus du tiers (55) est situé en Ile-de-France. Paris et la Seine-Saint-Denis en abritant à eux seuls près de la moitié. Non que le mètre carré y soit particulièrement abordable. Mais l’attractivité du territoire repose sur  » l’existence d’un réseau de desserte télécoms de grande qualité (très haut débit, présence de grands fournisseurs d’accès), et la très bonne desserte de transports : TGV, aéroports, métro, RER « , analyse la Direccte. L’affaire Snowden et le scandale Prism ont exacerbé la sensibilité à la localisation des données. Faire le choix d’un cloud situé en France revient souvent à choisir l’Ile-de-France.

« Toutefois, on assiste à un rééquilibrage », selon Ludovic Foreau, administrateur d’Eurocloud France, l’association qui regroupe les acteurs du Cloud.  » Les grands opérateurs d’infrastructures de réseaux et d’hébergement se sont développés autour de la capitale, pour des raisons de faisabilité d’interconnexions économiques et de cible de marché (les moyennes et grandes entreprises dont les centres de décision sont principalement là). Ils ont drainé tout un écosystème d’acteurs du cloud, offreurs de services managés ou de solutions logicielles. Néanmoins, cette tendance se rééquilibre. De plus en plus d’acteurs du cloud, situés en province, nous rejoignent. Soit parce qu’ils sont prestataires de services et, donc, proches des problématiques des PME régionales, soit parce qu’ils travaillent depuis la province en s’affranchissant des barrières géographiques (grâce aux technologies du cloud), soit parce que ce sont des start-up nées dans des zones et pôles de compétitivité et d’innovation, tels que Montpellier, Lyon ou Nantes. Pour être précis, 72 % de nos adhérents sont provinciaux. » 

La densité de la filière francilienne ne donne en rien une avance aux entreprises de la région dans leur adoption de solutions cloud. Car le tissu économique francilien est constitué en grande partie de TPE et PME dans le secteur des services marchands, avec un poids important pour le commerce, l’accueil touristique (lire encadré). Et qu’il n’échappe pas au paradoxe français, souligné par la récente étude du cabinet Roland Berger (« Du rattrapage à la transformation ») réalisée avec le pôle de compétitivité francilien Cap Digital. Si les consommateurs français sont en avance dans l’adoption des usages du numérique par rapport à la moyenne européenne, à l’inverse, les entreprises sont en retard qu’il s’agisse d’avoir un site Web, d’être sur les réseaux sociaux, d’émettre ou de recevoir des factures électroniques, de vendre en ligne. Si les usages basiques d’Internet comme l’e-mail sont intégrés, seule une minorité d’entreprises ont des usages avancés. Alors s’envoler dans le cloud… Beaucoup en sont encore loin, en Ile-de-France comme ailleurs.

Les TPE/PME, force régionale

L’Ile-de-France pèse près du tiers du PIB français (31 % de la richesse nationale) et près de 5 % du PIB de l’Union européenne. Elle accueille les sièges sociaux de grands groupes, français ou multinationaux, et concentre 24 % du nombre total des entreprises basées en France, soit 843 000 entreprises en 2012 (source Insee). Mais le poids et la puissance de la région dans l’économie française font souvent oublier que le tissu entrepreneurial francilien est aussi émietté, voire un peu plus, que celui de l’ensemble de la France. Selon l’Insee en 2011, 68,9 % des établissements franciliens actifs n’employaient aucun salarié, un peu plus que pour l’ensemble de la France (68,6 %). Et seulement 1,3 % dépassait les 50 salariés (1,2 % pour l’ensemble de la France). Les TPE et PME de 1 à 50 salariés (29,8 % des établissements franciliens) représentent donc l’immense majorité des entreprises de la région, qui ne se distingue en rien du reste de la France, de ce point de vue. En revanche, le commerce et les services marchands concentrent 75 % des établissements franciliens début 2013, soit 10 points de plus qu’en province où plus de 8 % des établissements ont une activité industrielle, contre à peine 5 % en Ile-de-France. En 2010, près d’un salarié francilien sur deux est employé dans les services marchands, contre un sur trois en province. Petits commerces, hôtels, restauration, comptent pour près du tiers des établissements franciliens. C’est notamment en direction de ce tissu que doit s’opérer la sensibilisation à la mutation numérique et à la migration dans le cloud.

 

 La nécessité d’un accompagnement

Malgré tout, la prise de conscience de la nécessité d’un accompagnement et d’une pédagogie numérique s’accélère. Créé en 2007 par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) d’Ile-de-France, L’Echangeur-PME, installé à la Bourse du commerce (dans le IIe arrondissement de Paris), a pour vocation de faire découvrir les nouvelles technologies aux TPE/PME, commerçants, professionnels du tourisme, et de les aider à comprendre les mutations de l’économie numérique, à travers des formations, visites et démonstrations.

Aujourd’hui, L’Echangeur s’appuie sur un réseau de partenaires comme Google, Solocal (Pages jaunes), dont plusieurs proposent des solutions cloud, telles que Box (archivage, partage de contenus), Orange (Orange Cloud Pro), Small Business Act (interface SaaS entre PME et comptables), Ciel (gestion)… Il accueille 3 000 à 4 000 entrepreneurs par an, à 60 % des TPE et créateurs d’entreprises et 30 % des PME.

«  Au départ, les entreprises s’intéressaient au numérique pour leur communication, le marketing… mais les attentes se font de plus en plus pointues. Elles ont besoin d’être rassurées et réalisent vite qu’une solution de comptabilité dans le cloud leur coûtera moins cher. Dans beaucoup de TPE, la gestion de clientèle, quand elle existe, est un simple fichier Excel. Quand elles comprennent qu’une solution de CRM dans le cloud peut être simple et abordable, cela casse les freins. Plus on externalise, plus les outils numériques se démocratisent « , constate Frédéric Desclos, son responsable. Depuis un an, l’Echangeur s’est déployé dans les CCI de l’Essonne, du Val-d’Oise et du Val-de-Marne. Et, il le sera prochainement dans les Yvelines, en Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis. L’Echangeur-PME participe aussi au programme Transition numérique, lancé fin 2012 par l’ex-ministre au Numérique, Fleur Pellerin. L’association Transition Numérique +, support de ce programme, forme les conseillers nommés dans chaque région, souvent au sein des chambres de commerce…

La ville de Saint-Ouen -l’Aumône est dotée du plus grand regroupement de PME-PMI d’Europe, réparties sur 4 parcs d’activité. 700 entreprises couvrent près de 40% du territoire de la commune. Photo  : Christian Souffron/CACP

Le programme offre aussi aux entreprises de moins de 50 salariés un diagnostic sur leur utilisation des outils numériques. Pour quelques centaines d’euros, l’entreprise peut choisir trois journées de formation, sur la présence sur le Web, le marketing digital, les réseaux sociaux. C’est l’Agefos-PME Ile-de-France, l’organisme de financement de la formation professionnelle, qui finance le dispositif, et L’Echangeur-PME qui en est le référent pour la région. A Paris, une soixantaine d’entreprises en ont bénéficié en 2013. Dans les Hauts-de-Seine, la CCI 92 conseille les TPE dans leur démarche de dématérialisation de documents ou leur stratégie commerciale, et cela peut passer par une aide au choix d’un CRM dans le cloud, explique le conseiller numérique. Plus récemment, la région cherche à associer l’ensemble des entreprises à l’écosystème dynamique qui s’est mis en place autour des start-up du numérique. Sandrine Murcia, ex-présidente de Silicon Sentier (devenu Numa) et présidente de l’incubateur Paris Pionnières, reconnaît qu’au sein du réseau très vivant d’incubateurs, de lieux dédiés à l’innovation, mis en place par Paris et la Région, start-up et grands groupes se rencontrent facilement. Mais qu’à l’heure où la mutation numérique est devenue un enjeu national, il est temps d’ « embarquer » les PME plus « traditionnelles » dans le mouvement. Le pôle de compétitivité Cap Digital inclut désormais, dans sa mission, cet accompagnement. Carlos Cuhna, en charge du développement des entreprises chez Cap Digital, cherche à donner accès à la capacité d’expertise et au réseau des 950 entreprises membres du pôle, à des ETI et PME. De l’Institut géographique national (IGN) aux industriels du meuble, le champ d’intervention du pôle s’est ouvert.  » Il s’agit de créer de la valeur par la mise en relations de startup qualifiées, de grands comptes et d’ETI, dans une logique de transformation numérique, qui ne passe pas seulement par le cloud mais aussi par la valorisation des données, la recherche de solutions en mobilité… », précise-t-il.

Le privé se mobilise aussi

La naissance en octobre 2014 d’un Club Innovation pour les ETI, destiné à favoriser les rencontres avec les start-up, va dans le même sens. C’est une déclinaison du club Open Innovation, porté par la ville de Paris et la Région, et dédié au développement des relations business entre grands groupes et start-up (lire « Innovation : un Club de Rencontres à Paris », sur). Bénédicte Michon, à l’initiative de ce club ETI, note une inquiétude de ces entreprises sur les questions de sécurité du cloud, tout en remarquant qu’elles ne réalisent pas les risques qu’elles prennent souvent sans le savoir, en gardant leurs données en interne, sans protection. Autre porte d’entrée, celle de La Fonderie, l’Agence numérique d’Ile-de-France (www.lafonderie-idf.fr). Elle s’inscrit dans le dispositif Paris Région Entreprises, créé par la Région Ile-de-France, la CCI, Bpifrance et l’Etat. Ce service d’accompagnement des PME franciliennes est né en juillet 2014 de la réunion de l’Agence régionale de développement, du Centre francilien de l’Innovation et du Lieu du design. Paris Région Entreprises s’intéresse à 1 000 entreprises repérées pour leur potentiel de croissance et les accompagne dans quatre domaines prioritaires : l’innovation, le développement international, le design, le numérique sur lequel intervient La Fonderie. Elle a suivi une centaine d’entreprises dans leur mutation numérique depuis deux ans.

 » Beaucoup se posent la question du SaaS. On les aide à faire le diagnostic de leur fonctionnement, établir un cahier des charges, avoir une idée des prix. On rappelle les prérequis, en termes de qualité de service, de sécurité des données, de souveraineté quant au lieu de leur hébergement  » , détaille Jean-Baptiste Roger, directeur de La Fonderie. A côté de ces dispositifs publics, de nombreux acteurs privés participent à l’évangélisation des PME autour du cloud. Ce sont, par exemple, les matinées de formation organisées depuis juin par le Social Media Club (http://socialmediaclub.fr), un club d’entreprise du secteur digital, en partenariat avec Solocal, à destination de groupes de commerçants, d’hôteliers et restaurateurs. C’est encore la tournée que l’agence Fabernovel a montée en 2013 pour SFR, en direction des PME françaises, pour présenter l’offre SaaS de l’opérateur, par métiers (artisans, professions libérales, hôtellerie-restauration…), en leur montrant les avantages qu’elles peuvent en tirer, et la publication d’un livre blanc pédagogique (www.audeladucloud.fr) à leur intention.

De fait, pour les acteurs du cloud, toucher l’immense marché des TPE-PME nécessite des relais : revendeurs, distributeurs comme les opérateurs télécoms SFR ou Orange, dont l’offre Cloud Pro destinée aux entreprises de moins de 20 salariés, accueille les solutions SaaS de 24 éditeurs, ou encore des acteurs locaux comme les CCI… Chez Box, solution de stockage et d’archivages, on reconnaît qu’en s’implantant en France il y a un an, c’est le partenariat avec L’Echangeur qui a servi de porte d’entrée vers les petites entreprises franciliennes que la structure n’avait pas le temps et les moyens de prospecter en direct. Oodrive (sauvegarde en ligne, partage de fichiers) confirme que c’est via des conseillers numériques de Transition Numérique que se fait la prescription auprès des PME. En Ile-de-France aussi, le tremplin public s’avère nécessaire pour faire monter les PME dans le cloud.

 

 * L’étude de la Direccte inclut dans le champ du cloud computing, 10 codes d’activité NAF de la nomenclature Insee : édition de logiciels système et de réseau ; édition de logiciels outils de développement ; édition de logiciels applicatifs ; télécommunications filaires ; programmation informatique ; conseil en systèmes et logiciels informatiques ; tierce maintenance de systèmes et d’applications ; gestion d’installations informatiques ; autres activités informatiques et traitement de données, hébergement et activités connexes.

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