L’essor de l’intelligence artificielle s’accompagne d’une envolée de sa consommation énergétique et de ses impacts environnementaux. Entre explosion des besoins électriques, durée de vie réduite des serveurs et saturation des data centers, les études de Green IT et du Shift Project alertent sur une trajectoire insoutenable à l’horizon 2030.
Alors que les géants technologiques investissent des milliards de dollars dans des modèles toujours plus gourmands, plusieurs études mettent en lumière l’urgence d’agir pour éviter une explosion des émissions de gaz à effet de serre, de l’épuisement des ressources critiques, de l’émission de particules fines et d’eutrophisation de l’eau douce.
C’est le cas de l’étude Green IT, publiée en octobre 2025, qui met en avant le fait que l’IA et les data centers dédiés à ces technologies représentent en 2025 jusqu’à 2% des impacts du numérique. Selon les projections de l’étude, ce pourcentage pourrait atteindre 21% en 2030. Autre enseignement du rapport Green IT : 69% des impacts de l’IA ne sont pas des émissions de gaz à effet de serre. Sur les 16 indicateurs observés, les quatre impacts majeurs de l’IA sont, outre le réchauffement climatique (31%), l’épuisement des ressources fossiles, minéraux et métaux (22%), l’émission de particules fines (18%) et la pollution de l’eau (18%).
Serveurs IA : une durée de vie 3 à 5 fois plus courte
L’étude Green IT repose sur une Analyse du Cycle de Vie (ACV) multicritères évaluant l’ensemble des impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle dans le monde. Le collectif Green IT y pointe trois autres faits saillants :
- La durée de vie des serveurs IA est 3 à 5 fois plus courte que celle des serveurs traditionnels
- Leur consommation électrique est 4 fois plus importantes (à taille de serveur équivalente)
- 80% des centres informatiques existants ne sont pas capables d’héberger des serveurs IA
Lors de la phase « utilisation », c’est la consommation électrique des GPU qui génère le gros des impacts. Cette consommation électrique est telle que les impacts associés à la production de l’électricité écrasent tous les autres composants et toutes les autres étapes du cycle de vie.
Shift Project : une étude sur les datacenters et… l’IA
Une autre étude, celle du Shift Project, se concentre – elle – sur les datacenters et… l’IA. Elle rappelle que, selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la consommation électrique annuelle liée à l’usage des centres de données est passée de 120 TWh en 2005 à 420 TWh en 2024 (à titre de comparaison, la consommation électrique française a été de 450 TWh en 2024). Quant à la puissance électrique totale installée en 2024, elle atteint près de 100 GW, dont 30 GW ajoutés entre 2018 et 2022.
Cette hausse continue depuis deux décennies se décompose en trois grandes phases. Une première période de croissance modérée s’étend jusqu’en 2015, marquée par une expansion progressive du numérique. Entre 2015 et 2020, le déploiement massif du cloud entraîne une accélération soutenue, avec un taux de croissance annuel moyen (CAGR) pouvant atteindre 9%. Depuis 2020, la dynamique s’intensifie encore, avec une croissance estimée jusqu’à 13% par an sur les cinq dernières années. Ces chiffres confirment une tendance structurelle où les gains d’efficacité énergétique ne suffisent plus à compenser la hausse de la demande.
Cette dynamique est principalement alimentée par les États-Unis depuis 2015, qui mobilisent déjà 4,5% de leur consommation électrique nationale pour leurs centres de données. « Cette trajectoire était déjà bien engagée avant l’essor de l’intelligence artificielle générative auprès du grand public, avec un doublement des capacités entre 2014 et fin 2021. La part des acteurs hyperscale, services de colocation et fournisseurs d’infrastructures – catégories à laquelle appartiennent les plus grandes firmes américaines du secteur numérique – est bien visible dans cette évolution », précisent les auteurs du rapport du Shift Project.
Consommation électrique totale (TWh) et part dans la demande régionale (%) pour l’utilisation des centres de données. © (Shift Project / IEA)
En 2030, 55% des usages des datacenters seront liés à l’IA
Si les centres de données sont mobilisés pour une diversité d’usages (hébergement de sites web, services cloud, vidéo à la demande, jeux en ligne, réseaux sociaux, stockage, traitement de données d’entreprise), ils commencent également à partir de 2015 à être sollicités pour les premiers usages professionnels de l’intelligence artificielle dite « traditionnelle » (traitement d’image, traduction automatique, moteurs de recommandation…). Puis arrive, fin 2022, l’intelligence artificielle générative (Gen AI) à usage général, puis progressivement l’intelligence artificielle agentique (agentic AI).
« La proportion de l’intelligence artificielle dans l’ensemble des usages des centres de données est déjà perceptible en 2025 (de l’ordre de 15%). Les projections à 2030 tablent sur un accroissement majeur de cette proportion : de l’ordre de 55% », peut-on lire dans le rapport du Shift Project.
Par ailleurs, avec une approche remontante partant de l’offre d’infrastructure, à savoir la quantité d’accélérateurs d’IA en stock et l’évolution probable de leurs caractéristiques techniques, le Shift Project a réalisé une projection à l’horizon 2030 menant à :
- Une consommation électrique de 774 TWh. Comparée aux 1 480 TWh pour l’ensemble des centres de données, elle en représenterait donc 49%
- Des émissions de gaz à effet de serre de 255 MtCO2e. Comparées aux 600 MtCO2e pour l’ensemble des centres de données, elles en représenteraient donc 43%
En analysant les chiffres fournis par Schneider Electric dans son rapport de 2024 « Artificial Intelligence and Electricity : A System Dynamics Approach », le Shift Project met en avant les tendances suivantes : alors que la consommation relative à l’IA traditionnelle reste globalement stable entre 2025 et 2030, la consommation relative à l’entraînement et l’inférence de l’IA générative présentent chacune une augmentation d’un facteur 10 et sont donc responsables en quasi-totalité de l’augmentation de la consommation énergétique de l’IA. Et si, en 2025, 38% de la consommation d’électricité de l’IA concerne l’IA traditionnelle, elle n’en représente plus que 6% en 2030. Enfin, en 2025, 62% de la consommation d’électricité de l’IA concerne la « GenAI », une proportion qui passe à 94% en 2030.
