Alliancy

L’uberisation selon Raphaël Enthoven

A l’occasion du lancement du think tank du commerce, initié par le salon du retail Siec et le Conseil National des Centres Commerciaux, le philosophe Rapahël Enthoven a partagé sa vision de l’uberisation, invoquant des références peu habituelles dans le business.

Le philosophe Raphaël Enthoven © CC GNU-FREE-DOCUMENTATION-LICENSE

Depuis que le patron de Publicis, Maurice Lévy, a inventé le terme d’uberisation en 2014, du nom de la société de VTC Uber, difficile de passer à côté ! Journalistes, entrepreneurs et politiques l’ont vite adopté et l’utilisent dès qu’une start-up commence à bousculer un secteur traditionnel. Pour le lancement du think tank dédié au commerce, le salon du retail Siec et le Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC) ont laissé la parole au philosophe Raphaël Enthoven qui a exposé sa vision du phénomène, mêlant références philosophiques et pratiques actuelles.

C’est quoi l’uberisation ?

Pour commencer, Raphaël Enthoven a souligné la rapidité à laquelle ce terme est entré dans le langage courant partout dans le monde. « Personne ne savait ce que c’était il y a deux ans. » Selon le philosophe, « l’uberisation se reconnait au sacrifice des intermédiaires dans la transaction. Ce qui fait la force de ce phénomène est également ce qui en fait la faiblesse. (…) Ubériser c’est commander une bagnole en faisant l’économie d’un intercesseur, en prélevant directement sur la plateforme qui attend sa visite le service qu’elle propose. Et c’est un phénomène réversible : quand vous ubérisez, vous êtes ubérisé. »

Il désigne l’entreprise Uber comme « une sorte de client-orchestre, qui s’entend avec un prestataire compétent et qui engendre un intermédiaire avaricieux. » En d’autres termes, il explique que l’uberisation induit un changement de nature en raison du contact direct entre l’utilisateur et l’entreprise. « D’un côté, le client est acteur de la prestation qu’il recherche et co-créateur par la singularité de ces demandes, de l’autre, le dispositif est tellement souple qu’il reçoit des demandes auxquelles il s’adapte miraculeusement et spontanément. Derrière cette relation, on pressent l’ombre tutélaire d’un géant qui se gave bien à l’abri derrière son drôle de prénom. »

La vraie-fausse politesse d’Uber

Le philosophe épingle la politesse des chauffeurs Uber, sous-entendant qu’ils jouent un rôle de composition : celui du chauffeur parfait. « Quand vous montez dans un Uber, on vous propose toujours de l’eau, des bonbons, une radio, de la clim. Vous pouvez répondre non mais le non n’est pas entendu. Celui qui vous propose de l’eau ne vous pose pas une question, il montre qu’il a de l’eau à votre disposition. On est en présence d’une politesse qui n’a rien à voir avec le rapport humain (…). On est en présence d’un système qui montre ses plumes plus qu’il ne vous montre de l’attention ».

Les paradoxes d’Uber

Le philosophe en a évoqué deux, en précisant qu’il en existait bien d’autres. Tout d’abord, celui d’un contact plus direct mais avec une entité abstraite. Pour lui, c’est un géant du numérique qui s’incarne en choisissant un nom proche d’un prénom. « C’est le fantôme d’une présence universelle. Comme un dieu qui ne serait pas tout à fait avare de ses apparitions mais dont les apparitions finalement ne seraient que celles de ces soldats noirs extraordinairement polis » (une référence au port obligatoire d’un costume noir pour les chauffeurs Uber, ndlr).  

Le deuxième paradoxe relevé par Raphaël Enthoven est qu’Uber se présente comme un dispositif nouveau alors qu’il ne l’est pas. Pour le démontrer, il prend d’abord l’exemple de Machiavel, qui, dans son ouvrage Le Prince, explique que l’enjeu du prince est de conserver le pouvoir. Pour y parvenir, Machiavel en choisit un qui est toujours d’actualité : l’alliance entre le prince et le peuple. « Il dit dit que c’est une façon très sûre de conserver le pouvoir car le peuple n’a pas le sentiment que le pouvoir lui est dérobé par de faux intermédiaires qui en réalité se sucrent à son contact. »

L’ubérisation des opinions

Pour Raphaël Enthoven, l’uberisation est partout, pas seulement dans un secteur d’économique mais aussi dans les opinions. Il l’explique : « c’est le sentiment que seul devant votre petit écran d’ordinateur vous êtes en situation de vous faire votre propre information. On peut appeler aussi ça Wikileaks, c’est à dire des informations qui vous arrivent en paquet, qui n’apprennent rien à personne mais qui relèvent d’une information sans forme. »

« L’uberisation des opinions produit une défiance à l’endroit des prescripteurs, que ce soit les journaux – qui sont forcément la propriété d’industriels très puissants qui ont eux-mêmes leur propre agenda – , les associations – qui sont sûrement les paravents de magouille – ou les partis politiques – qui ne sont vus par le peuple que comme des PME destinées à conquérir le pouvoir et l’exercer à leur seul profit. »  

Comment lutter contre l’uberisation

« Ni par l’anathème, ni par la déploration, ni par le sentiment que c’était mieux avant mais par le consentement. » Selon le philosophe, la clé pour reconquérir des clients ou les retenir est ainsi… d’être sincère. Sauf qu’il n’est pas tout à fait optimiste sur l’avenir. « La mauvaise nouvelle est que si Uber est un phénomène ancien, ou qui correspond à des pratiques déjà ancrées dans l’humanité, c’est parce qu’on a jamais eu besoin de l’inventer…un peu comme le capitalisme. Et si on  n’a jamais eu besoin d’inventer Uber, c’est que l’existence d’Uber est absolument nécessaire et qu’il va falloir faire avec. » Des paroles qui réconforteront certains …

A lire aussi :

Ces applications qui veulent contrer Uber

 

Quitter la version mobile