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Mehdi Siné (ACTA) : « Le numérique change la recherche et le transfert des innovations vers les producteurs »

Mehdi Siné est directeur numérique et informatique de l’association de coordination technique agricole (ACTA) qui regroupe quatorze instituts techniques agricoles. Il décrit comment les logiques d’innovation des filières ont fortement évolué ces dernières années pour amener sur le marché des nouveautés majeures.

| Cet article fait partie du dossier « Agriculture : des hommes et des champs connectés »

Mehdi Siné directeur numérique et informatique de l’ACTA lors de la rencontre « Agriculture : vers une cartographie des données agricoles à travers les territoires » organisé par OpenDataSoft le 4 octobre 2017

Alliancy. Que sont les instituts techniques agricoles ?

Mehdi Siné. Ce sont des instituts de recherche appliquée, qui mènent les expérimentations techniques et d’usages pour chacune des grandes filières agricoles françaises. Ils sont financés par elles, avec une part supplémentaire de financement public lié à des contrats d’objectifs sur certains axes de recherche. Les instituts sont de droit privé, ce qui leur permet de développer directement certaines offres, gratuites ou payantes, et de s’autofinancer. Nous sommes en fait à l’interface entre le monde de la recherche fondamentale, représenté par exemple par l’INRA, et les activités de conseils opérationnels aux producteurs. Les 14 instituts portent de fait des sujets d’innovation depuis des décennies que ce soit dans le domaine des cultures végétales ou de l’élevage, mais aujourd’hui l’emballement généralisé de l’économie autour du numérique change la façon de faire de la recherche… et notre façon de transférer les innovations jusqu’aux producteurs.

Qu’est-ce que le numérique change pour vous exactement ?

Mehdi Siné. Il faut partir d’un constat : l’agriculture française est naturellement très silotée, beaucoup plus que dans d’autres pays. Elle est très diversifiée et forte d’un maillage territorial important. Sa gouvernance est donc structurée et bien découpée entre filières et entre territoires. Ce qui a pu être source d’efficacité est donc aussi aujourd’hui un facteur très important de cloisonnement, à l’heure où, au contraire, l’innovation transverse est de mise partout. Depuis des années, nous nous sommes mis à travailler en collaboration pour dépasser cela. L’open innovation, collective entre les filières, permet à tous d’aller plus vite. Bien sûr, le numérique doit s’adapter aux réalités de ce monde agricole, mais il offre aussi des opportunités importantes pour favoriser ces démarches.

Quelles sont ces opportunités ?

Mehdi Siné. L’open data et les open API sont parmi les accélérateurs les plus importants. Voilà quatre ans que nous travaillons par exemple avec la start-up française OpenDataSoft sur ces sujets pour canaliser à la fois notre stratégie d’ouverture des données et pour mieux faire circuler les données entre tous les acteurs de l’ACTA. Le but est d’éviter que chaque institut travaille à générer de nouvelles données, alors qu’il pourrait réutiliser celles pertinentes d’autres instituts. Il faut réemployer sans cesse la data et capitaliser sur les idées et les possibilités offertes par l’écosystème. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’avoir une entité comme l’ACTA pour favoriser ces échanges. Le projet API-Agro, créé en novembre 2016, incarne cette stratégie d’ouverture.

Avez-vous des exemples de ce que de telles approches permettent de faire émerger, en matière d’innovations ?

Mehdi Siné. Cela permet déjà d’améliorer des démarches d’innovation qui ont cours depuis plusieurs années au sein des instituts. Par exemple, Arvalis, l’institut du végétal, développe depuis plus d’une décennie des outils d’aide à la décision à destination des agriculteurs. Grâce à un partenariat avec Airbus autour de l’imagerie satellite, il est possible pour un exploitant de voir chacune de ses parcelles et de profiter de calculs temps réels sur la nature des champs et les modèles de culture pour bénéficier de conseils. Cela lui assure par exemple d’utiliser de l’engrais au bon endroit, au bon moment, avec les justes doses. Et toutes ces informations sont téléchargeables dans le GPS du tracteur. Avec une logique de plus en plus « open », il est dorénavant possible d’améliorer encore cet outil.

Est-ce que d’autres types de services ont émergé récemment ?

Mehdi Siné. Bien sûr. Arvalis a par exemple développé récemment avec Météo France un modèle de bulletin météo au jour le jour, ramené encore une fois au niveau de la parcelle. Ce sont des données de précision partagées bien plus précises que pour le grand public, au kilomètre près. Chaque institut pris indépendamment peut développer aujourd’hui plus facilement de tels outils tactiques. Mais plus encore, l’avantage de l’open data et des open API est de favoriser les travaux communs entre les instituts. Nous partageons en ce sens les données et les outils pour harmoniser les observations, les fonctionnements. Cela a conduit à la création d’un portail unique de surveillance biologique du territoire, qui permet d’émettre de façon beaucoup plus cohérente les bulletins de « pression sanitaire » sur les cultures et les zones territoriales par exemple. Cette ouverture doit même aller plus loin : jusque-là les instituts produisaient leurs propres données au fil des ans, mais avec l’émergence de l’internet des objets (IoT), les exploitants eux-mêmes génèrent leurs data. Et la réalité individuelle de ces producteurs est mixte et transverse, multi-filière. Nous devons donc être à la hauteur de cette dynamique croisée pour nous appuyer sur ces nouvelles données.

Qu’en est-il de votre coopération avec le reste de l’écosystème de l’innovation ?

Mehdi Siné. Depuis 3 ou 4 ans nous travaillons avec beaucoup de start-up qui ont besoin d’éprouver leurs modèles et de s’appuyer sur des « données réelles ». Nous avons assisté à un véritable boom technologique, mais il y a encore un fort déficit de maturité pour de nombreux projets, sur lesquels nous pouvons aider. Elles sont sur des sujets à horizon 3 mois, nous sur des visions de 5 à 10 ans avec des objectifs structurants. Le    réseau Digiferme, créé en 2017, nous permet ainsi de  réconcilier ces deux mondes et de  nous assurer que les innovations qui émergent sur le marché correspondent bien aux usages en cours chez les agriculteurs. Par ailleurs, les instituts ne sont pas vraiment pensé pour pouvoir démultiplier les offres de conseils, de produits et de services qui vont permettre de toucher un nombre toujours plus grands de producteurs. Cette proximité avec l’écosystème – facilitée par l’open innovation – nous permet d’améliorer le transfert réel des innovations vers les professionnels.

Quel exemple de projet mené avec une start-up illustre bien pour vous les opportunités qui s’offrent à vous ?

Mehdi Siné. Les exemples sont nombreux, mais on peut retenir ce que fait Hi-Phen, une start-up issue d’Arvalis et de l’INRA, qui permet aujourd’hui aux instituts d’utiliser des drones pour améliorer le phénotypage à haut débit. Les capteurs des drones remplacent l’œil humain pour observer les caractéristiques des plantes : c’est une activité de recherche très routinière et de pouvoir s’appuyer dorénavant sur un drone pour automatiser l’observation est tout simplement un gain de temps énorme.

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