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Start-up VS grands groupes, ou la dure adaptation des équipes

Insuffler l’esprit d’entreprendre et une réelle culture de l’innovation impose aux dirigeants de manager leurs équipes différemment. Plusieurs experts, en présence de représentants de Société Générale CIB et France Télévision, étaient réunis pour échanger sur la façon de « réinventer l’entreprise ».

| Cet article fait partie du dossier « L’Humain : Clé et verrou de la transformation »

Les bureaux parisiens de Wemanity, agence digitale qui aide les entreprises à « libérer le potentiel des coopérateurs qui la composent »

Lors d’un déjeuner organisé par l’agence digitale Wemanity, autour de la problématique de « Comment et jusqu’où réinventer l’entreprise ? », les participants n’ont pas manqué de rappeler que les poncifs  de la transformation masquent mal la formidable complexité humaine de l’adaptation à de nouveaux modèles, métiers et technologies.

Aussi, comment arriver à insuffler dans son organisation une dynamique de changement, sans mettre à mal son fonctionnement et ses membres, là est aujourd’hui la vraie question pour tous les dirigeants.

« Toute entreprise doit réfléchir à se réinventer pour ne pas rater son futur. Elle doit s’interroger sur ses méthodes actuelles, explique d’entrée Laurence Lehman-Ortega, professeur affilié Stratégie et Politique d’entreprise à HEC Paris. Tous les dirigeants en ont conscience, et regardent continuellement ce qui se passe dans leur environnement. Pour autant, ils ont tendance à le faire en séparant le quotidien de l’exploration. C’est une erreur ! La difficulté qui se pose ensuite, est de savoir comment réintégrer l’innovation… Il faut donc concilier exploitation et exploration et bâtir des ponts entre ces deux mondes pour concilier le tout. »

De fait, reconnaît Jean-Christophe Conticello, CEO et fondateur de Wemanity, il faut à la fois acculturer ses équipes et insuffler de nouvelles méthodes de travail pour pouvoir ensuite adopter une nouvelle organisation, plus agile. « Nous avons appliqué chez nous les méthodes que nous mettons en place chez nos clients [L’Oréal, France Télévision, Société Générale CIB, Bosch, NDLR], précise-t-il. En cinq ans, nous avons créé dix-sept start-up internes. Une façon de se renouveler en permanence et qu’il se crée de nouveaux relais de croissance. » C’est ce qu’il appelle une « Corp-Up »… soit « l’hybridation d’une corporate et d’une start-up dont le but est d’intégrer le meilleur des deux mondes dans une nouvelle forme d’organisation adaptée à l’environnement actuel », peut-on lire sur leur site.

Présente pour témoigner, Patricia Dubosc-Myara, Global CIO Responsable Transformation de Société Générale CIB, estime que la technologie a permis d’amener de nouvelles méthodes d’opérer dans ses équipes au niveau mondial. « Mais, pour en tirer le meilleur parti, par exemple du Cloud, il faut une démarche globale avec un programme précis d’avancement pour les métiers et l’IT », insiste-t-elle.

Stéphane Van Bosterhaudt, directeur technique du Numérique de France Télévision, a fonctionné différemment. « Au départ, nous avons hébergé notre direction numérique chez Microsoft, c’est-à-dire totalement externalisée pour s’en inspirer et créer un terreau vierge favorable. Nous avons ensuite testé beaucoup de choses dans des domaines très différents comme des événements sportifs, la jeunesse… avec des contraintes verticales aussi bien RH que techniques ou organisationnelles ».

Tout ceci a abouti à créer un écosystème innovant et très agile à côté d’organisations plus classiques de France Télévision, où le gros effort sur l’existant a été de s’intéresser à abattre tous les problèmes du quotidien partout où ils étaient. Reste la question de la transmission… « Aujourd’hui, notre direction numérique est particulièrement agile et il faut reconnecter les bulles internet avec le reste, sachant qu’entre-temps, la problématique de la data s’est ajoutée, car nous disposons désormais de nombreuses données en temps réel qui nous permettent d’optimiser nos process en continu », explique Stéphane Van Bosterhaudt.

Cécile Dejoux, professeur des Universités au Cnam et affiliée à l’ESCP Europe, auteur de nombreux ouvrages et Mooc (lire encadré), est intervenu pour préciser les quatre axes importants à creuser pour voir si une organisation va réussir sa transformation : « Quelles sont les bonnes stratégies ? Quelles sont les bonnes compétences pour travailler différemment ? Quels sont les bons critères quantitatifs de pilotage ? Et la gestion de nouveaux lieux avec quelles règles ? ». L’experte est ensuite revenue sur ce qui, selon elle, ne fonctionne pas vraiment… Et de citer la métamorphose menée par blocs (RH, commercial, finance…) ; la création d’incubateur de start-up ou le rachat de jeunes pousses ; la multiplication des outils collaboratifs (que personne n’utilise !) et les « corporate hackers » internes (qui donne le droit à tous à la parole, mais que le management intermédiaire bloque).

Partir de problèmes existants

Selon Cécile Dejoux, la seule stratégie qui fonctionne à 80 %, c’est celle qui part des problèmes qui existent. « Il faut identifier les paint points et, sur un objectif que l’on veut atteindre, on met en place un nouveau mode opératoire, en intégrant plusieurs recettes du numérique (des ambassadeurs, de la coopétition avec des start-up, des learning expeditions…). On multiplie ainsi les outils pour passer ensuite en mode scale-up. Le deuxième point reste évidemment celui des compétences. « Il faut acculturer les collaborateurs, notamment les plus anciens pour qu’ils acquièrent l’alphabet numérique ; intégrer les méthodes agiles et travailler différemment, en mode test and learn ; apprendre à innover au quotidien via des méthodes de design thinking pour susciter différents types de créativité et, enfin, arrêter de laisser à la presse et au grand public, le sujet de l’intelligence artificielle et l’expliquer à ses collaborateurs en quoi l’IA va les impacter ».

« La transformation culturelle, en effet, c’est la base et il ne faut pas aller trop vite derrière sur l’organisation ou la technologie », reconnait Jean-Christophe Conticello. Un manager ne devient pas « servant leader » après une learning expedition dans la Silicon Valley… « Il faut travailler en mode lean start-up, initier de nouvelles initiatives pour infuser peu à peu cette nouvelle culture d’entreprise… Il faut que différentes équipes travaillent ensemble, pour apprendre à coopérer. »

« Après avoir beaucoup travaillé et échangé sur le sens et acculturées les équipes, aujourd’hui, on a accéléré nos temps de développement. L’IT travaille avec les métiers et on a poussé l’alignement au maximum sur eux », confirme Patricia Dubosc-Myara. Le métier est devenu contributeur vis-à-vis de l’IT et inversement. Mais tout cela demande du temps. ».

Savoir décélérer aussi

Chez France Télévision aussi, l’IT peut répondre plus rapidement aux demandes et livrer en continu. Stéphane Van Bosterhaudt l’explique : « On voit que les pratiques agiles se reproduisent dans les autres secteurs du groupe. Notamment sur le management, le partage du travail… La transformation n’est pas que digitale. Il faut tester de nouvelles pratiques et accepter d’être dans un cycle de progrès continu. »

Toutefois, il met l’accent sur le fait qu’il faut savoir gérer ce changement. « Le burn-out de l’agile n’est pas faux ! Dans cette recherche perpétuelle d’amélioration ou d’accélération, il faut savoir aussi décélérer, il faut savoir fêter les succès, savoir où l’on se situe dans ce mouvement… C’est au manager de s’interroger. Il faut se fixer des objectifs réalisables à atteindre en mode agile. On ne crée pas tous les jours des organisations à la Spotify… Notre choix a été le « servant leadership » pour apporter de la méthode et de la facilitation aux équipes, mais en même temps laisser s’exprimer l’initiative suivante », détaille-t-il.

« Casser les codes n’est pas facile. Le métier chez nous a un rôle différent qu’il ne suffit pas de déclarer. Beaucoup de personnes sont impactés dans leur quotidien par ces changements. Il ne faut pas sous-estimer l’impact de cette transformation. Comment former, acculturer à cela ? Pour accompagner nos collaborateurs, on a mis des tutoriels à leur disposition, on leur a redonné la main de façon individuelle sur leurs propres compétences… », explique Patricia Dubosc-Myara.

A France Télévision, pour faciliter l’évolution des compétences et la transmission de connaissances entre collaborateurs, du coaching on-demand a été mis en place. « Tout est dans la facilitation. L’auto-apprentissage est majeur, mais pas seulement, il faut de l’échange de connaissances, du partage d’expériences… Il faut valoriser le collaborateur dans un cycle de transformation dans lequel lui aussi peut apporter quelque chose ».

Cécile Dejoux met toutefois l’accent sur le fait que c’est une erreur de penser que le salarié va se former seul chez lui. « L’apprentissage doit se faire sur le temps de travail. On n’apprend pas en multi-tâches. Il faut réapprendre à chacun à séquencer son temps ! Il faut redonner la tactique pour avoir du qualitatif… Et là, les IA peuvent nous y aider », explique-t-elle.

La coopération, la vision partagée, l’apprentissage… avec les équipes et le business. « Il faut apprendre des uns des autres. Y compris du client. C’est la clé du succès ! », conclut Jean-Christophe Conticello.

 

Cécile Dejoux veut faire aimer l’IA !

Cécile Dejoux anime actuellement le Mooc (Massive open online course) certifiant et traduit en anglais du Cnam : « Manager augmenté par l’Intelligence Artificielle ? ». A la rencontre d’experts de l’innovation et de spécialistes des intelligences artificielles en France, en Asie et à Las Vegas à l’occasion du Consumer Electronics Show (CES), ce Mooc décortique le phénomène des IA. Mieux ! Il les intègre et les exploite pour construire et développer son propos, dans le but d’améliorer la portée de ses enseignements par la mise en scène d’exemples concrets. Pour compléter ce Mooc, Cécile Dejoux vient de sortir également un livre, co-écrit avec Emmanuelle Léon, « Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle » aux Éditions Pearson (2018). Pour les auteures, s’il veut préserver des valeurs humanistes au sein de cette nouvelle civilisation, le manager doit devenir un « manager augmenté » par l’intelligence artificielle. Ainsi, « manager » n’est plus donner le « LA », mais le tempo. Il faut réapprendre à collaborer, en face à face et à distance, avec ses collaborateurs, les robots et les intelligences artificielles, et développer de nouvelles compétences. A l’ère de l’IA, le manager n’est plus celui qui décide, mais celui qui sait poser les bonnes questions. Il est informant, inspirant, il gère la complexité, l’incertitude et la créativité. Car la transformation ne s’impose pas, elle vient du mimétisme ou de la valorisation. S’appuyant sur divers travaux de recherche, leur ouvrage est étayé par une vingtaine d’entretiens réalisés avec des acteurs de la transformation numérique dans leur organisation.

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