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Top 250 EY–Numeum : le logiciel français entre maturité technologique et austérité économique

 

L’édition 2025 du Top 250 EY–Numeum révèle le double visage du logiciel français, entre ambition et austérité. L’IA se greffe comme la nouvelle colonne vertébrale, l’agentique génère son mirage, la rigueur financière s’impose et la RSE semble être la grande oubliée.

 

Loin de se cantonner à un simple effet de mode, l’intelligence artificielle (IA) assoit son autorité dans le marché du logiciel français. La question n’est plus de savoir à quel niveau l’intégrer, mais plutôt quelle sera sa prochaine transformation. Le mot a circulé tout au long de la 15e édition du Top 250 des éditeurs de logiciels français, organisée par EY et Numeum. L’étude confirme la mutation. L’IA s’installe comme la nouvelle colonne vertébrale des éditeurs : 32 % d’entre eux la considèrent même comme leur priorité numéro un, devant le SaaS et la cybersécurité, et 83 % la placent dans leur top trois. L’année dernière, cette préoccupation ne concernait que 74 % des éditeurs de logiciels. “C’est la première année où l’IA arrive en tête des priorités technologiques des éditeurs”, s’étonne Boris Golden. Il y a deux ans, Numeum et EY observaient les premières fonctionnalités basées sur de l’IA générative ; l’année dernière, la transformation de software of service à service of software ; cette année, place aux solutions “AI-native” (systèmes de réseaux informatiques conçus et développés avec l’intégration de l’IA comme composant principal). Désormais, 61 % des répondants proposent des offres dopées à l’intelligence artificielle. Mais l’adoption rapide ne gomme pas les dépendances. Seulement 24 % des éditeurs développent leurs propres modèles. L’IA s’impose, certes, mais dans un paysage dominé par les infrastructures américaines.

 

Adoption interne, oui ; valeur client à prouver

 

L’injection de l’IA chez les éditeurs convainc davantage les collaborateurs que les clients. L’étude révèle que 92 % de ces entreprises ont mis des outils d’IA à disposition de leurs équipes et une majorité (61 %) perçoit des gains de productivité. Pourtant, les clients ne semblent pas vouloir sortir un centime de leur poche pour un module d’IA. “J’attends de voir à quel moment les quotas des commerciaux vont augmenter grâce à l’IA. Pour l’instant, je ne l’ai pas vu”, rétorque Gilles Satgé, CEO de Lucca, lauréat du Top 250 dans la catégorie Innovation. Face à ce constat déceptif, Planisware, lauréat de la catégorie internationale, explore une stratégie d’acculturation, voire une construction de dépendance des utilisateurs. “Vendre l’IA comme un module supplémentaire ne fonctionnait pas, alors on l’a intégrée dans notre solution. De cette manière, les utilisateurs perçoivent son apport et ne peuvent plus s’en passer”, détaille Benoît Damécourt, responsable des relations investisseurs. Si l’acculturation concernant les outils d’IA prend petit à petit racine, la poussée agentique, elle, fait chou blanc pour une partie des éditeurs.

 

L’agentique ou le mirage du logiciel

 

Tout le monde en parle, mais peu savent le définir : l’IA agentique tente une percée chez les éditeurs de logiciels. Salesforce, pris en exemple lors du question-réponse, a présenté cette semaine des “agents” qui s’apparentent encore beaucoup à des assistants conversationnels. “Un agent, c’est un assistant auquel on donne une mémoire de travail et la capacité d’orchestrer. Cette mémoire transforme tout”, tente de clarifier Jean-Philippe Couturier, membre du conseil d’administration de Numeum. Ce dernier décrit une évolution du SaaS 2.0, celui des API ouvertes, à l’ère de l’agentique. Un développement qui pourrait complètement recomposer le cœur des logiciels. Mais entre promesses d’orchestration et flou sémantique, la salle reste prudente. “La demande s’est faite très tôt, surtout aux États-Unis. Mais il faut encore prouver concrètement l’impact sur les usages”, reconnaît Benoît Damécourt. Dans les échanges, un consensus s’est esquissé : le concept séduit par son potentiel, mais manque d’incarnation.

 

Un secteur robuste, pourtant au ralenti

 

Après l’euphorie autour des promesses d’intelligence artificielle, la réalité économique a ramené les éditeurs sur terre. Le Top 250 affiche une économie encore solide puisque 79 % des éditeurs conservent un résultat d’exploitation positif. Si le chiffre d’affaires du marché atteint bien 23,1 milliards d’euros, soit une hausse de 7,4 % sur un an, il représente un léger ralentissement. Les années précédentes, la croissance flirtait davantage avec les deux chiffres. Cette stabilité illustre une industrie qui avance malgré un environnement incertain : hausse du coût du capital, baisse des levées de fonds et tension sur le recrutement. “Le montant des levées de fonds a reculé de 12 à 5 milliards. À partir du moment où on a moins d’injections de capitaux, on va moins vite”, résume Jean-Philippe Couturier, président du collège Éditeurs et Plateformes de Numeum. La fin d’un cycle de croissance effrénée, poussée par les levées de fonds. Résultat ? Les intentions de recrutement s’essoufflent. En 2024, les effectifs mondiaux des éditeurs pure players ont progressé de 8,1 %, mais seulement 62 % prévoient des embauches pour 2025. Une chute de dix points. Certains y voient une austérité politique, Alexandre Fretti, CEO d’Orisha, l’assume comme une stratégie : “On limite volontairement les recrutements pour pousser le mouvement et mesurer les gains de productivité.” L’écosystème oscille sur la balance, entre prudence financière et exigence de preuve.

 

La RSE, grande oubliée

 

Le souffle est retombé, et avec lui l’effervescence des débats. La salle est restée étonnamment calme face à la question de la responsabilité. Pourtant, le Top 250 2025 prouve que la RSE s’installe dans la gouvernance. Déjà 77 % des éditeurs ont engagé une démarche formalisée et 58 % publient leur bilan carbone. “L’innovation ne peut plus être déconnectée de la responsabilité”, rappelle Jean-Christophe Pernet, associé EY. La performance ne se calcule pas seulement aux points de croissance. Mais lorsque les discussions glissent vers l’accessibilité, les chiffres et le silence parlent d’eux-mêmes : les éditeurs sont à la traîne. “On est catastrophés : 90 % des éditeurs n’ont pas réalisé d’audit RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité)”, reconnaît Jean-Philippe Couturier, appelant la filière à combler ce retard. L’accessibilité n’est pas une option, c’est une condition d’usage qui engage les éditeurs à penser leurs logiciels comme des biens communs, inclusifs et durables. Après l’effervescence des nouvelles technologies et des fonds infinis, les éditeurs entrent dans une ère de l’exigence. Et si l’intelligence artificielle a réécrit le code, il reste à y inscrire la conscience.

 

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