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Vincent Lorphelin & Pierre Ollivier – Les brevets du numérique de plus en plus exploitables

Vincent Lorphelin & Pierre Ollivier - Les brevets du numérique de plus en plus exploitables

Vincent Lorphelin, fondateur de Venture Patents, conseil en brevets d’usage* & Pierre Ollivier, gérant associé cofondateur du cabinet Winnove, ex-directeur de la stratégie technologique de Thomson (Technicolor)**

La demande de brevets a explosé jusqu’à faire naître ex nihilo un nouveau marché.
Ce dernier est animé par 750 fonds de brevets, essentiellement américains, dotés d’une capacité d’acquisition de 8 milliards de dollars par an.

Dans le numérique, les brevets sont – à juste titre – jugés chers, compliqués et indéfendables en pratique. De plus, leur principe d’exclusion monopolistique semble irrémédiablement incompatible avec la promesse de l’open source. Dès lors, de nombreuses entreprises y ont renoncé ou presque. C’était le cas, en particulier, des géants coréen Samsung et américain Google… Mais leurs condamnations pour contrefaçon (qui se sont chiffrées en milliards de dollars !) les ont contraints à changer radicalement de stratégie. Google a acquis Motorola et, plus récemment, Nest, pour refonder son développement sur un solide portefeuille de brevets, sans renoncer à sa culture open source. Par ricochet, la demande de brevets a explosé jusqu’à faire naître ex nihilo un nouveau marché américain du brevet dans le secteur des hautes technologies. En revanche, sous bien des aspects, ce marché ressemble à celui des diamants bruts, où l’achat à l’unité, risqué, entraîne une forte décote. Les brevets achetés par des fonds de brevets valent en général 50 000 dollars pièce, voire 200 000 dollars lorsque le dossier a été préparé par un spécialiste. Ces fonds, qui disposent d’une capacité d’achat se chiffrant en milliards de dollars par an, misent sur la quantité, en sachant que seuls 2 à 5 % des brevets auront une valeur plus substantielle.

Des procédures judiciaires de plus en plus coûteuses
L’achat (ou la vente) de lots recèle un meilleur effet de levier. Et devient préférable pour les acteurs, surtout si la mine d’origine a bonne réputation et qu’il n’y a pas eu de prélèvements au préalable. Ces portefeuilles de brevets, qui proviennent quasi exclusivement d’entreprises réputées, sont appréciés s’ils sont intacts, c’est-à-dire que les actifs les plus intéressants n’ont pas déjà été prélevés et que leur nombre significatif permet de diluer le risque de défaillance. Dans ce cas, la valeur moyenne est de l’ordre du million de dollars par brevet, commeen témoigne la dizaine de transactions rendues publiques entre Motorola, Google, Nortel, Apple, AOL, Intel, Microsoft, IBM ou Facebook, depuis 2012. On retrouve le même ordre de grandeur dans les fonds de brevets cotés en Bourse comme Finjan, VirnetX ou Vringo. Ces niveaux de transaction sont en partie justifiés par les dommages infligés sur le terrain judiciaire. 5 000 procès en contrefaçon de brevets ont été initiés en 2012 aux Etats-Unis. Le montant médian des condamnations s’établit, sur 2007-2012, à 4,9 millions de dollars et s’élève à 30 millions dans les télécommunications. Plus rarement, on ne découvre qu’entre un et trois brevets par an à 1 milliard de dollars…

Le dernier en date est une invention de l’ancien directeur technique de Lycos, contrefait par Adwords, le coeur de métier de Google. Ainsi, entre la valeur « intrinsèque », la valeur « stratégique » et la valeur « jugée », l’éventail s’est considérablement ouvert et renchéri depuis deux ans. Dès lors, quelle stratégie de propriété intellectuelle adopter ? Le marché s’organise en répartissant le risque des acteurs sur la quantité. Il est animé par 750 fonds de brevets, essentiellement américains, dotés d’une capacité d’acquisition de 8 milliards de dollars par an. Ce marché donne ainsi de nouveaux points de repère, voire des débouchés potentiels, pour la valorisation des portefeuilles de brevets, leur monétisation ou leur mobilisation en tant que leviers financiers. Pour des Apple, IBM, Google ou Samsung, ainsi que pour de nombreuses PME inventives qui ont adopté cette stratégie, les portefeuilles de brevets deviennent des mines de diamants de plus en plus exploitables du fait des évolutions constatées mentionnées ci-dessus.

* Auteur du Rebond économique de la France, coécrit avec 85 entrepreneurs. Membre de l’Institut de l’Iconomie, think tank de la 3e révolution industrielle.
** Coauteur de l’étude « L’usage de la propriété intellectuelle par les entreprises : quels leviers pour de meilleures pratiques ? », remise au Commissariat général à la stratégie et à la prospective en 2014.

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