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Angelo Montoni (IMT) : « Hybrider un cours nécessite un changement de posture de l’enseignant et un changement de contenu »

Angelo Montoni coordonne les projets stratégiques de transformation éducative au sein de l’Institut Mines-Télécom (IMT). Cet écosystème qui regroupe sept écoles d’ingénieur et une de management, deux écoles filiales (Eurecom et Insic) et trois écoles associées ou sous convention (Mines ParisTech/PSL, Mines Nancy et Ensiee) est en train de réinventer collectivement ses pratiques pédagogiques à l’aune des enseignements de la crise.

Alliancy. Comment résumeriez-vous l’impact que la crise sanitaire a eu sur vos écoles ?

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Angelo Montoni, responsable de l’innovation pédagogique de l’IMT

Angelo Montoni. Nous avons dû fortement travailler sur la formation des enseignants chercheurs, notamment sur la partie hybridation de l’enseignement. Avant la crise, nous n’avions pas fait des investissements très importants sur les parcours hybrides mais nous avions depuis des années investit sur la visioconférence car notre organisation est celle d’un réseau d’écoles ancrées dans les territoires. Nous avions donc une bonne expérience du travail à distance.

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Nous sommes repartis de là, mais l’IMT a aussi investi 1,6 million d’euros supplémentaire pour mieux équiper les écoles, que ce soit en termes de serveurs informatiques ou de salles « co-modales », avec des caméras appropriées pour faire cours à des étudiants répartis dans des lieux différents par exemple.

Nous avons aussi exploité beaucoup plus activement la réalité augmentée et la réalité virtuelle, ou encore mis en place des projets avec des vidéos à 360 degré pour permettre de l’immersion des étudiants au sein d’environnements professionnels qui n’étaient plus trop accessibles du fait de la crise. En particulier nous avons un SPOC (Small Private Online Course, ndlr), sur la santé et la sécurité au travail, qui donnera accès de la sorte à des chantiers, des laboratoires… pour faire des mises en situation qui s’appuient sur des scénarisations adaptées des contenus. Nous avons par ailleurs développé des projets hybrides grâce à la 3D, pour visiter un barrage en Suisse et travailler sur la mécanique des fluides par exemple. Cette approche de « serious gaming » a pris un certain essor pendant le confinement. De manière générale, nous avons aussi fait évoluer des projets qui étaient orientés sur l’acquisition de « soft skills », comme la prise de parole en public, pour qu’ils s’intègrent mieux à ces contextes technologiques.

Certains de vos projets d’innovation pédagogique ont-ils dû être abandonnés à cause de la crise ?

Angelo Montoni. Nous avons clairement été amené à laisser de côté une partie du travail sur l’espace d’apprentissage en tant que tel. Nous avions une mission qui se concentrait sur des aspects très physiques : comment on aménage les salles et avec quels meubles pour une pédagogie plus active ? Même s’il faudra réinvestir les campus, nous savons que l’on ne sera pas dans la même dynamique et que l’espace devra surtout mieux intégrer les outils numériques, pour permettre aux étudiants de vivre des expériences différentes. Celles-ci ne se limite plus à l’aménagement du campus : elle doit prendre en compte l’expérience hors les murs.

Le contenu des cours eux-mêmes a-t-il changé ?

Angelo Montoni. Dès que l’on amène une nouveauté sur la forme, il faut penser à l’impact sur la façon dont est pensé le cours en lui-même. Il faut absolument former les enseignants en ce sens, c’est la priorité. Nous avons des conseillers pédagogiques qui les forment sur le fait qu’il faut donner plus autonomie aux étudiants et que cela change mécaniquement beaucoup le syllabus d’un cours. Hybrider un cours, c’est à la fois changer de posture mais aussi son contenu. Il ne s’agit pas seulement de prendre le contenu existant et de le faire passer par un autre canal, car c’est aussi la posture de l’étudiant qui doit évoluer en face, pour maintenir l’attention, l’intérêt et l’efficacité. En renfort, des ingénieurs pédagogiques forment également les enseignants aux outils eux-mêmes. Le but est de les rendre autonomes d’un point de vue technique afin qu’ils puissent enregistrer seuls leurs vidéos, par exemple. C’est le fond autant que la forme qui est concerné : le premier réflexe est d’enregistrer des cours entiers sur une seule vidéo ; or il est vraiment essentiel d’apprendre à structurer différemment son cours pour faire de vraies capsules pédagogiques, qui vont être utilisées autrement par les étudiants.

Nous l’avons très bien vu en menant un travail important sur les sessions de travaux pratiques (TP) virtuels. C’est un défi majeur pour toutes les écoles et les universités. Une quinzaine de nos enseignants chercheurs avaient déjà avancé sur le sujet par le passé et notre fonctionnement en réseau a permis de partager très vite auprès des autres écoles, à la fois les contenus, les pratiques et les outils. Maintenant l’objectif est de généraliser ces pratiques à tous les types de cours. Au départ, ces TP virtuels ont en effet surtout été menés sur les sujets informatiques comme la programmation. Nous voulons en faire également profiter les ingénieurs généralistes. Cela va être un travail de fond pour les mois à venir. D’une part la crise empêche une bonne partie des étudiants de pouvoir travailler directement aux outils de leurs métiers d’ingénieur, d’autre part, opérer les outils à distance devient la norme dans l’industrie, donc nos étudiants bénéficieront largement de cette expérience et ces compétences.

Comment entendez-vous mettre en œuvre ces TP virtuels pour les ingénieurs ?

Angelo Montoni. Nous menons un travail important avec nos fab labs. Lors des deux premiers mois de confinement en 2020, ils ont été fermés mais par la suite, ils ont été mobilisés pour qu’ils puissent être utilisé à d’autres usages, comme la production de masques. Aujourd’hui nous redonnons une autre vie à ces lieux en essayant d’intégrer ces fab labs dans les parcours de formation à part entière, plutôt que comme de simples ateliers annexes. Ils deviennent un lieu de formation apprécié et les écoles qui en possédaient déjà sont d’ailleurs en train de créer des espaces supplémentaires de ce type.

Quel regard portent les enseignants sur les cours hybrides, avec à la fois une présence physique et virtuelle des étudiants ?

Angelo Montoni. La méthode co-modale n’est pas la plus appréciée des enseignants, car l’interaction est coupée avec les étudiants qui sont à distance, contrairement à ceux qui sont sur place. La solution la plus simple est d’avoir une personne pour assister le professeur, en présentiel, pour être porte-parole des étudiants à distance, prendre leurs questions, etc. Ce rôle peut d’ailleurs être confié aux étudiants eux-mêmes, mais il faut se l’approprier et ce n’est pas facile. Pour éviter l’isolement des étudiants à distance et un désarroi sur des sujets techniques, nous avons également mis en place des systèmes de binômes entre étudiants et du tutorat.

Quels outils utilisez-vous pour faciliter la vie des enseignants ?

Angelo Montoni. Nous nous appuyons principalement sur Moodle (une plateforme de learning management system, ndlr). Chaque école à sa propre plateforme indépendante mais toutes partagent les mêmes caractéristiques. En la matière, les professeurs qui avaient l’habitude de travailler en classe inversée et qui étaient déjà dans une logique de mettre à disposition tous leurs cours sur Moodle n’ont pas trop souffert de la distanciation forcée par la crise. Mais il a fallu aider au maximum ceux qui n’avaient pas encore franchi le pas.

Du côté du matériel lui-même, une de nos écoles avait développé depuis 3 ans déjà un projet de tablette pour les parcours d’ingénieurs. Notre objectif est de généraliser cette approche, avec un accompagnement de la direction générale et un financement spécifique. La tablette est utilisée comme un tableau, pour dessiner et être dans une autre dynamique de partage de contenu et d’information. L’idée est de moins utiliser les présentations type PowerPoint, pour laisser plus de place à l’écriture et au dessin naturel. Nous voulons mutualiser ce type de solution, en allant vers du logiciel libre et du matériel ouvert.

A quel point est-il facile de faire profiter toutes les écoles de l’IMT des expérimentations de l’une d’elle ?

Angelo Montoni. Cela se base avant tout sur l’engagement des personnes, sur l’envie de travailler avec les autres. Les écoles sont très autonomes sur les programmes de formation. Donc un cours de mécanique des fluides à Lille ne peut pas forcément se partager tel quel à Albi… Mais le réseau, c’est un lien fort et utile qui se crée entre les personnes directement, afin que les enseignants ne soient pas isolés. Notre travail à la direction générale est de faciliter la mise en relation entre les acteurs, faire se connaître les gens et leurs idées. Depuis un an, nous avons intensifié l’animation de cet écosystème. Nous avons un plan stratégique sur le sujet, qui met en avant un certain nombre de thématiques mais aussi une plateforme de mutualisation de ressources. Cette pédagothèque est une demande des écoles, mise en œuvre par la direction générale pour partager les Mooc (massive open online course, ndlr) par exemple. Cela complète les approches « bottom-up » où des enseignants se sont déjà rapprochés entre eux et nous demandent de les aider à renforcer le lien. Nous pouvons fournir la base de données des contacts des enseignants, financer certaines réunions, pousser à l’aménagement des horaires pour faciliter la tenue des ateliers…  Cette animation de l’écosystème est nécessaire pour permettre à la fois de profiter de l’autonomie des écoles et des possibilités de mutualisation.

Quels sont pour vous les plus grands défis de demain ?

Angelo Montoni. L’un des projets majeurs est le passage à une approche centrée sur les compétences plutôt que sur les connaissances académiques, pour toutes les écoles. Nous allons capitaliser sur notre culture de la mise en pratique, sur la pédagogie expérientielle pour généraliser le plus possible la « mise en action » de l’étudiant et lui donner la capacité d’agir sur des situations complexes et résoudre directement des problèmes. La méthode existe, mais il faut modifier les programmes eux-mêmes et que tous les enseignants aient bien en tête ce changement important au niveau de leurs pratiques pédagogiques.

L’évaluation des compétences est complexe : il faut partir d’une mise en situation dans un stage ou un projet qui simule une situation. C’est d’autant plus compliqué aujourd’hui du fait des contraintes de la crise sanitaire mais nous devons relever ce défi pour franchir un cap d’ici 2024. La mise en place de la plateforme pédagogique unique, pour partager tous les contenus bien plus efficacement qu’avec de multiples plateformes à interopérer, devrait faciliter cette transformation. Et en parallèle pour les étudiants eux-mêmes, il faudra réussir à franchir le pas de la reconnaissance des compétences et expériences qui ne sont pas forcément académiques. Reconnaître des acquis qui ne leur viennent pas des cours, mais d’une pratique associative ou d’un autre engagement personnel. Nous voulons donner les moyens à l’étudiant pour que son parcours complet et varié lui appartienne, qu’il puisse le gérer dans son portfolio, et que cela soit vraiment reconnu par l’école.

 

Article modifié le 23/04/2021 à 16h45 pour prendre en compte les précisions apportées par Angelo Montoni sur la terminologie employée à l’IMT

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