Dans sa nouvelle chronique, Imed Boughzala décrypte les croisements possibles entre esprit d’entreprise et enjeux du numérique responsable. Il appelle les entrepreneurs à intégrer ce nouveau contexte d’usage dès la phase de conception de leurs projets.
Dans cette chronique, je reviens sur un des trois objectifs de l’intelligence digitale appliqué à l’entrepreneuriat et en particulier dans le numérique responsable. Celui-ci permet de créer de nouvelles opportunités dans l’économie numérique en stimulant l’esprit d’entreprise, l’emploi, la croissance et l’impact.
Le numérique responsable : une nouvelle donne entrepreneuriale
Dans un monde de plus en plus numérisé, la question du numérique responsable s’impose comme un enjeu central. Il ne s’agit plus seulement d’innover ou de « disrupter », mais de le faire en prenant en compte l’empreinte écologique, sociale et éthique des technologies. L’entrepreneuriat numérique responsable naît à la croisée de ces enjeux : il vise à conjuguer performance économique, impact positif sur la société et sobriété environnementale.
Le numérique responsable repose sur plusieurs principes :
- Réduction de l’empreinte carbone des services numériques (écoconception, efficacité énergétique des Data Centers, allongement de la durée de vie des équipements).
- Éthique des usages (protection des données personnelles, lutte contre les biais algorithmiques).
- Inclusion numérique, en garantissant un accès équitable aux technologies pour toutes et tous.
Les jeunes entreprises et start-ups, moins contraintes que les grandes structures, peuvent intégrer dès leur création ces principes (responsable by design) pour en faire des leviers d’innovation différenciante. Cela se traduit par l’émergence de plateformes responsables, d’applications mobiles sobres, ou de modèles d’affaire circulaires dans le domaine technologique.
Un écosystème en mutation : des acteurs et usages engagés
L’entrepreneuriat dans le numérique responsable s’inscrit dans un écosystème hybride, qui évolue au croisement de la technologie, de la société civile, du monde académique et des politiques publiques. Les initiatives numériques responsables ne se développent pas dans un vide : elles répondent à des besoins concrets, situés, souvent locaux. Ainsi, les opportunités sont bien réelles pour les plateformes solidaires pour la gestion de circuits courts alimentaires, du côté du développement d’outils numériques pour améliorer la gestion énergétique de bâtiments communaux, ou bien également pour des solutions d’apprentissage numérique inclusives dans les territoires peu connectés.
Cela oblige les entrepreneurs à intégrer le contexte d’usage dès la phase de conception. Un outil pensé pour l’éducation dans une grande métropole ne répondra pas aux mêmes contraintes qu’une solution pour l’Afrique rurale. Le numérique responsable est donc par essence contextualisé, adaptatif et co-construit avec les usagers.
Des soutiens structurants
L’écosystème français et européen favorise l’entrepreneuriat responsable via des dispositifs spécifiques : Le label Numérique Responsable ou GreenTech Innovation ; des incubateurs et accélérateurs spécialisés (comme le programme de l’ADEME ou certains pôles territoriaux de transition numérique) ; des leviers de financement fléchés vers les projets à impact (fonds à impact, mécénat technologique, subventions d’amorçage liées aux ODD[1]).
Le DDRS comme boussole stratégique pour les entrepreneurs
Le Développement Durable et la Responsabilité Sociétale (DD&RS) ne sont pas des annexes, mais bien le cœur de la stratégie des entreprises numériques responsables. Le DDRS donne un cadre global permettant d’aligner la vision d’entreprise avec les grands défis planétaires (climat, justice sociale, biodiversité, éthique).
Dans le contexte entrepreneurial, cela se traduit par :
- L’usage de bilans carbone pour les services numériques.
- L’intégration des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la levée de fonds.
- Une gouvernance inclusive, avec parfois des statuts d’entreprise à mission.
- Une transparence accrue sur les algorithmes, les modèles d’affaire (Business models), les impacts.
De nombreuses écoles d’ingénieurs et d’universités intègrent aujourd’hui le DD&RS dans la formation des étudiants, préparant ainsi une nouvelle génération d’entrepreneurs sensibles à ces enjeux. C’est le cas par exemple de l’ensIIE, une grande école d’informatique labellisée DD&RS depuis 2020.
Les promesses de l’IA et de la quantique au service du numérique responsable
L’IA occupe une place ambivalente dans le débat sur le numérique responsable. D’un côté, elle consomme d’importantes ressources (calcul, stockage, entraînement des modèles). De l’autre, bien utilisée, elle peut devenir un formidable levier d’optimisation, que ce soit pour la prédiction et réduction des consommations énergétiques, pour l’optimisation de la logistique pour limiter les émissions, ou encore pour le diagnostic médical assisté, permettant des soins préventifs plus efficaces et accessibles par exemple.
Les entrepreneurs du numérique responsable doivent donc domestiquer l’IA, en privilégiant des modèles sobres (comme les modèles « frugaux ») et en renforçant leur explicabilité et leur équité.
En parallèle, l’informatique quantique encore émergente pourrait demain transformer les capacités de traitement de données, notamment pour des applications critiques. Il est là question d’optimisation de systèmes complexes (réseaux énergétiques, mobilité), d’amélioration des simulations climatiques mais aussi des avancées en cryptographie post-quantique pour garantir la cybersécurité de façon durable. Des start-ups pionnières explorent déjà des usages « verts » du quantique. Toutefois, il faudra veiller à anticiper les impacts environnementaux et éthiques de cette nouvelle révolution technologique.
Un entrepreneuriat d’équilibre et d’engagement
L’entrepreneuriat dans le numérique responsable n’est pas une mode, mais une mutation de fond. Il engage les innovateurs dans une trajectoire d’équilibre entre progrès technologique, respect des limites planétaires et amélioration du bien-être humain. Il s’appuie sur un écosystème d’acteurs engagés, des contextes d’usage réels, une vision stratégique fondée sur le DD&RS, et l’intégration raisonnée des technologies d’avenir comme l’IA et le quantique.
L’enjeu, pour les années à venir, sera de « scaler » sans renier les principes du numérique responsable, et de faire de ces jeunes entreprises les ferments d’un avenir numérique plus sobre, plus juste, et plus humain.
[1] 17 Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies en 2015