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[Chronique] Quand les savoir-faire deviennent des freins

En cette sortie de confinement, la question est plus d’actualité que jamais : ferez-vous la même chose dans 5 ans ? Si le monde d’après ne doit pas ressembler à celui d’avant, il est fort probable que les entreprises également.

En cette sortie de confinement, la question est plus d’actualité que jamais : ferez-vous la même chose dans 5 ans ? Si le monde d’après ne doit pas ressembler à celui d’avant, il est fort probable que les entreprises également. Or la crise économique engendrée par le confinement génère deux sortes de réactions. Il y a ceux, exsangues, qui veulent couper toute activité hors du cœur de métier et se recentrer sur leurs fondamentaux, et ceux, tout aussi exsangues, qui se disent que l’avenir est peut-être à chercher ailleurs. Repenser le « quoi », la proposition de valeur de l’entreprise, à partir du « pourquoi », sa raison d’être.

Avant même la crise, on trouvait dans la seconde catégorie LVMH, pas du tout exsangue,  qui a racheté l’année dernière Belmond. Si la société civile passe progressivement du « je possède, je consomme » à « j’utilise, je suis », les entreprises du luxe seront aux premières loges de la transformation du produit de luxe en expérience du luxe. Belmond, chaîne d’hôtels de luxe, est ainsi un parfait complément pour le groupe LVMH pour accompagner cette transition sociétale.

Mais il est un peu tôt pour identifier post crise les entreprises en difficulté qui feront ce genre de pari, pourtant fondamental pour toute startup qui a appris, devant une difficulté majeure à se développer, à pivoter. Mais les startup n’avaient rien à perdre, au contraire des entreprises installées, qui, même si elles ont conscience que leur gâteau s’effrite, comme la banquise de l’ours polaire, ne sont pas prêtes à le lâcher pour l’inconnu. Le mouvement de LVMH est en ce sens beaucoup plus confortable, le groupe n’ayant pas (encore ?) à choisir entre cœur de métier et diversification. Ce sera les deux, et l’acquisition discutée de Tiffany montre que les jeux ne sont pas faits sur le métier principal du groupe, même si, dans le luxe, les marques s’additionnant et ne se dissolvant pas l’une dans l’autre, ce projet d’acquisition serait bien un complément de portefeuille.

Auto-disruption – La transformation digitale des produits et services de l’entreprise, Alain Staron

Il en est tout autrement des services à l’environnement, où le projet de rachat de Suez par Veolia est juste un projet de « plus de la même chose », leurs clients passant déjà aujourd’hui de l’une à l’autre offre sans réel différentiateur. Cette ambition d’acquisition, comme beaucoup du même type, peut se résumer à un saut de croissance arithmétique à l’instant t (dans le meilleur des cas une addition). Post-acquisition, il faut plutôt espérer une amélioration de la rentabilité (à 2.7% en 2019 pour  Veolia).  Ce qui suppose, bien sûr, que demain sera comme hier, et que les solutions d’aujourd’hui marcheront toujours demain. Quel décalage avec Google qui rachète Fitbit, Amazon qui rachète Ring, LVMH qui rachète Belmont donc, mais aussi Ispos qui rachète Synthesio ou Legrand qui rachète Netatmo !

Dans tous ces exemples, l’hypothèse qui prévaut à ces rachats est que le monde va changer, (les données de bien-être/santé feront demain une vraie différence sur le marché du ciblage publicitaire, pouvoir livrer des colis à l’intérieur du domicile rassurera plus le client, les analyses de sentiments sur les réseaux sociaux apportent une grande complémentarité et l’instantanéité par rapport aux sondages de terrain, ou encore les objets connectés sont plus valorisés que les prises de connexion). Est-ce à dire que le monde va changer, sauf en ce qui concerne l’environnement ? L’intuition militerait plutôt pour une révolution de l’écologie, qui sera donc probablement l’apanage de nouveaux entrants plutôt que de centenaires persuadés de leur immortalité.

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Au fond, la question sous-jacente est celle des talents : pour voir l’avenir du monde différemment, encore faut-il pouvoir chausser des lunettes inhabituelles, et accepter que son savoir-faire, à l’origine pourtant du succès de l’entreprise, pourrait devenir inutile, donc, si l’on insistait, conduire à sa perte.

 

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