Silvergate, Signature Bank et SVB touchées : vers une régulation du système bancaire américain

Trois banques américaines, Signature Bank, Silvergate et Silicon Valley Bank (SVB) ont été placés sous contrôle de l’administration américaine. Malgré les annonces du Président Biden visant à rassurer les clients et détenteurs de comptes de dépôts, et le rachat de la branche britannique de SVB par HSBC, les questions demeurent, notamment en termes d’impact systémique sur l’écosystème bancaire américain. Entretien avec Hubert de Vauplane, Partner chez Kramer Levin, spécialiste de la réglementation des services bancaires, et expert auprès de la Banque Mondiale et de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

Hubert de Vauplane, Partner chez Kramer Levin

Hubert de Vauplane, Partner chez Kramer Levin, spécialiste de la réglementation des services bancaires, et expert auprès de la Banque Mondiale et de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF)

Alliancy. Gouvernance douteuse, mauvaise gestion du risque de taux… Les leçons tirées de la crise de 2008 n’ont pas eu un écho suffisant auprès des dirigeants de ces banques. Comment la SVB a-t-elle pu se retrouver en situation de faillite ?

Hubert de Vauplane. Cette fermeture est la conséquence de plusieurs facteurs ; tout d’abord la décision de l’administration Trump de ne pas appliquer l’ensemble de la réglementation issue du Comité de Bâle à certaines catégories de banques américaines, dont la SVB. Cette dernière n’était pas soumise à tous les ratios prudentiels issus des standards internationaux, pourtant transposés en Europe.

Ensuite, le rôle important de cette banque dans l’écosystème des actifs numériques ; et enfin, la hausse des taux de plein fouet qui a entrainé la dévalorisation des actifs de la banque investis en bons du Trésor américain et l’inquiétude des investisseurs, provoquant un « bank run » (1) qui a conduit la Silicon Valley Bank à vendre ces actifs à pertes sur le marché. C’est la conjonction de l’ensemble de ces facteurs qui a provoqué cette situation. 

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La Silicon Valley Bank détenait 209 milliards d’actifs. Comment a-t-elle pu passer sous les radars de l’administration américaine ? N’y a-t-il pas un sous-jacent, d’erreurs de gestion ou un manque d’anticipation de la part des dirigeants ?

Hubert de Vauplane. Si les dirigeants avaient suivi les recommandations internationales du forum de stabilité et de Bâle à la lettre, comme c’est le cas de chaque pays-membre, ces problèmes ne seraient pas arrivés. Les Américains ont tendance à participer, voire à imposer leurs positions dans le cadre des traités et conventions internationales, mais à ne pas ratifier ou transposer dans leur ordre juridique interne celles-ci.

A titre d’exemple, on peut citer la convention relative à la CPI (Cour Pénale Internationale) signée par les Etats-Unis mais jamais ratifiée par le Congrès américain. C’est un peu la même situation avec la recommandation du Comité de Bâle où les Etats-Unis n’ont pas transposé l’ensemble des recommandations dans leur système juridique, exemptant certaines banques d’une partie de ces règles. En outre, il est évident que des fautes de gestion peuvent être imputées à cette situation, comme par exemple, une mauvaise gestion du risque de taux, voire du risque de duration.

Cette faillite bancaire n’est pas sans rappeler la chute de Lehman Brothers en 2008…

Hubert de Vauplane. Ce qui est à souligner, c’est que la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) a pris le contrôle de l’établissement bancaire, et a démis de ses fonctions l’ensemble de ses dirigeants. Ce n’était pas le cas pour Lehman Brothers. Depuis la crise de 2008, suite à la loi Dodd-Franck (2) l’administration américaine s’est dotée de nettement plus de pouvoirs pour gérer les crises bancaires, et ne pas répéter la mauvaise gestion de la faillite de Lehman ou du moins, pour mieux gérer l’impact sur l’ensemble de l’écosystème bancaire.

La dérégulation du système bancaire américain est à pointer du doigt dans cette affaire. De quelle(s) manière(s) celui-ci pourrait-il être « régulé » afin d’éviter de nouvelles faillites ? 

Hubert de Vauplane. Idéalement, il faudrait réformer le fonctionnement du Comité de Bâle de manière à ce que les Etats membres soient obligés de transposer à l’identique – sauf peut-être des exceptions très limitées – l’ensemble des règlementations issues des travaux. Ce sujet ne touche d’ailleurs pas que le Comité de Bâle, mais aussi le GAFI (3) ou le FSB (Forum de stabilité financière), par exemple qui ne disposent d’aucun pouvoir réglementaire propre et dont les recommandations ne sont pas contraignantes pour les Etats membres. Cependant, on touche du doigt un sujet très complexe, à savoir : la place et le rôle de ces instances internationales par rapport à la souveraineté des Etats.

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Le président Joe Biden a déclaré : « Seuls les actionnaires, et certains détenteurs de créances non garanties, ne seront pas protégés ». Quid des actionnaires et créanciers ? Vont-ils perdre l’intégralité de leurs fonds ? Quel impact cela peut-il avoir sur l’écosystème bancaire ? 

Hubert de Vauplane. Le Président Biden a clairement indiqué que les actionnaires et les créanciers non munis de sûretés perdraient tout. Et c’est aussi ça, la loi du capitalisme. A titre personnel, je trouve que l’on revient à une logique saine contraire à celle qui a prévalu longtemps, jusqu’en 2008 où les « profits étaient privatisés et les pertes étaient nationalisées ». Il est normal que les investisseurs subissent les premiers les pertes de leur investissement. Cela permet, dans le cas de SVB, à ce que les déposants soient protégés sans que l’Etat – et donc le contribuable in fine – vienne à la rescousse. 

  1. Un phénomène qui conduit tous les détenteurs d’un compte dans une banque à retirer leur argent en même temps, de peur que celle-ci soit insolvable, provoquant ainsi une faillite
  2. Loi Dodd-Franck
  3. Le Groupe d’action financière ou Financial Action Task Force est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.