Quid de la nouvelle politique d’investissement d’Eurazeo

Le directoire a récemment convoqué un Conseil de surveillance extraordinaire pour opérer un changement de gouvernance : le départ de Virginie Morgon, aux manettes du groupe Eurazeo depuis 2018. L’ancienne présidente a été démise de ses fonctions, au profit d’une gouvernance bicéphale « tournante ».

Virginie Morgon

Virginie Morgon, Présidente du directoire d’Eurazeo

« Divergences stratégiques, incompatibilité de personnes… » Les raisons sont nombreuses, mais aucune ne semble justifier une décision si soudaine, près d’un an seulement après le renouvellement de mandat de l’ancienne dirigeante du groupe, passée également par la Banque Lazard.

Virginie Morgon, dont le leadership a été maintes fois mis à l’épreuve depuis son intégration au sein du fonds tricolore, a dû composer avec un actionnariat détenu par la famille Decaux à 18 %*, dont l’influence s’est nettement renforcée après le décès du dirigeant-fondateur Michel David-Weill, en juin 2022. Un évènement à l’origine d’une recomposition actionnariale et réorientation du directoire.

Pour imposer une feuille de route à dominante internationale, Virginie Morgon a multiplié les alliances internes, sans toutefois réussir à obtenir l’adhésion unanime des membres du conseil de surveillance et du directoire. Si ce changement soudain de gouvernance est légion dans le secteur de la finance, il n’en demeure pas moins que plusieurs interrogations subsistent quant à l’avenir du groupe.

Un leadership féminin… minoritaire

Lors de sa nomination aux fonctions de présidente en 2018, Virginie Morgon incarnait une nouvelle forme de gouvernance féminine, très peu répandue dans le secteur de la finance, et en particulier dans les sociétés d’investissement. Celle-ci pouvait compter sur le soutien de Michel David-Weill, qui voyait en elle « le talent et les capacités pour accélérer le développement d’Eurazeo ». Un avis autrefois partagé par Jean-Charles Decaux, président du Conseil de Surveillance, qui a régulièrement témoigné « de la réussite du plan stratégique » conduit par cette dernière, avec le soutien de ses équipes. Malgré l’appui de Nicolas Huet, secrétaire général, et Marc Frappier, en charge de l’activité Mid-large buyout, Virginie Morgon était faiblement soutenue au sein des instances dirigeantes du groupe. L’équilibre des pouvoirs a été immédiatement bousculé après le décès de Michel David-Weill, son plus fidèle soutien.

Les tensions latentes n’aidant à pas assoir une vision commune, Jean-Charles Decaux et les membres du conseil ont décrété la mise en place d’un directoire composé de deux présidents, Christophe Bavière, président de la société d’investissement Idinvest, et William Kadouch-Chassaing, ancien banquier d’affaires chez JP Morgan Chase, et Société Générale Corporate & Investment Banking à Paris.

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Ils seront appuyés par deux autres membres, et anciens de la maison : Olivier Millet, Managing Partner, Small-mid buyout & NovSanté ; et Sophie Flak, Managing Partner ESG & Digital. Cette gouvernance bicéphale devrait faire l’objet d’une rotation annuelle, avec pour commencer Christophe Bavière aux commandes du directoire, et William Kadouch-Chassaing, à la direction générale. Est-ce à dire que deux dirigeants valent une dirigeante ? Le Conseil a précisé que cette décision viendrait « insuffler une nouvelle dynamique » pour accélérer le développement des activités du groupe, autrement dit, changer de cap.

Internationalisation et divergence sur le développement à moyen-terme

Sous l’impulsion de son ancienne dirigeante, Eurazeo a pris une dimension internationale, avec une présence désormais dans plus de dix pays (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, Luxembourg, Chine, Singapour et Brésil). Du côté des actifs sous gestion, ils sont passés de 7 à 32,4 milliards d’euros, notamment par la mise en œuvre de la gestion pour compte de tiers.

Altaïr, Reden Solar, Vestiaire CollectiveAujourd’hui, le groupe figure parmi l’un des principaux acteurs européens du Private Equity. Ancien sujet de divergence, en s’appuyant sur cette internationalisation rapide du groupe, l’ancienne dirigeante avait pour ambition d’opérer un rapprochement stratégique avec un fonds étranger, à moyen terme. Il était question notamment d’une absorption par un fonds américain. Une vision du développement qui n’a pas su convaincre les membres du directoire. Ce départ précipité va-t-il occasionner des sorties d’investisseurs figurant au carnet d’adresses de Virginie Morgon ? Les participations, notamment au sein des entreprises étrangères vont-elles faire l’objet d’une cession sur le marché ? Les questions demeurent et sur ces points, le groupe reste silencieux.

Le groupe est engagé depuis quelques années dans une politique de transformation qui se traduit notamment par le financement d’entreprises intégrant des enjeux numériques et de RSE au coeur de leurs business models. Parmi les dernières prises de participations figurent notamment Altaïr, Reden Solar ou encore Vestiaire Collective, mais également des acteurs de la santé (Medtech), de la cybersécurité, des services financiers aux entreprises ou encore du courtage d’assurances. Sur ces opérations, les tickets d’entrée vont de 100 à 300 millions d’euros, et le fonds tricolore opère ces choix stratégiques auprès d’opérateurs justifiant d’une croissance rapide, couplée à une logique d’internationalisation, pour rivaliser avec les fonds américains ou asiatiques.

Pour l’heure, Eurazeo indique vouloir consolider son portefeuille existant, composé de 530 sociétés. L’impact de cette décision se traduira en partie dans les prochains résultats opérationnels du groupe, présentés le 8 mars prochain.

* famille David-Weill 16 %, famille Richardson 4 %, le reste en flottant et divers

Résultats opérationnels au 3e trimestre 2022

Commissions de gestion : 280 millions d’euros (+25 % versus 2021)

Actifs sous Gestion (Assets Under Management) : 32,4 milliards d’euros (+20% versus 2021)

Commissions sur AUM (Fee Paying AUM) : 21,5 milliards d’euros (+23% sur 12 mois).

Investissements en matière d’ESG

Pôles « climat » et « inclusion » : 4,3 milliards d’euros (répartis sur l’ensemble du portefeuille)

Stratégie d’infrastructure : 3 investissements permettront d’éviter l’émission de 1 million de tonnes de CO2.