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Quand la Tech disrupte les métiers des RH

Les ruptures à venir dans les métiers des ressources humaines ne concernent pas toutes l’automatisation des processus : la tech touche de plus en plus des sujets autrefois réservés à l’humain.

Quelles ruptures la technologie peut-elle amener sur le secteur des ressources humaines ? On observe en fait actuellement deux formes de « disruption » RH. La première est consentie et même recherchée : il s’agit de l’automatisation de tâches à faible valeur ajoutée mais néanmoins indispensables.

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La seconde intervient quand la Tech se saisit de sujets que nous pensions réservés à l’humain et qui, aux yeux de beaucoup, font la valeur des RH : analyse des « soft skills » et capacité de réussir le casting d’une équipe fonctionnelle.

Gérer la charge de travail supplémentaire

Commençons par l’automatisation, en plein déploiement ces deux dernières années, depuis que la pandémie, puis la guerre des talents dans la Tech, ont amené aux DRH une charge de travail supplémentaire.

Au début de l’été, Deezer communiquait sur sa collaboration avec Lucca : il s’agit d’automatiser les processus RH et administratifs pour « gérer la forte hausse des effectifs, avec 600 collaborateurs à date (dont 450 en France) et des projections de l’ordre de 100 recrutements par an ».

Congés, dématérialisation des fiches de paie, centralisation des données RH, gestion des absences et du télétravail… « Toutes ces tâches, si elles ne sont pas automatisées, prennent du temps et de l’énergie, au détriment de l’innovation », estime le groupe.

Chez ACS Digital, une start-up spécialiste des automatisations de processus métiers, Eric Joly et Sébastien Massat soulignent que « les entreprises ont d’importants besoins en matière d’interopérabilité et d’automatisation, dans tous les domaines et notamment dans celui de la donnée RH, ne serait-ce que pour gérer les entrées et sorties de leurs collaborateurs ! Nous avons par exemple un client qui déplore un turnover de 20% et gaspille un temps précieux en formalités administratives. »

D’après lui, la solution d’ACS Digital permet à une organisation de « maîtriser l’ensemble de ses flux applicatifs » et plus largement vient résoudre des problèmes de contrôle des coûts et « apaiser les tensions relationnelles en interne ».

Essayer de disrupter le recrutement

Autre exemple, chez Franprix. A son arrivée en 2018, Jonathan Goldfarb, directeur recrutement, formation et digital RH, avait mis en place une solution de recrutement « disruptive » : 100% digitale et sans CV.

Depuis, il a implémenté la solution Workday, qui couvre toutes les étapes postérieures au recrutement : embarquement, constitution du dossier collaborateur, rémunération, congés…

Parmi ses objectifs, un gain de temps pour ses propres équipes RH, mais aussi la volonté d’offrir plus d’autonomie à l’ensemble des collaborateurs et de favoriser leur accès à la formation.

En termes d’autonomie, les salariés disposent d’un outil digital avec accès direct à toutes leurs données et documents-clefs, là où précédemment il leur fallait passer par le directeur de magasin, qui lui-même remontait vers la DRH. Pas d’infantilisation, pas de temps perdu.

Et la possibilité de faire avancer eux-mêmes leur plan de formation, en consultant un catalogue et en s’inscrivant à des modules de formation – voire en les co-construisant avec l’enseigne.

« Avec la transformation de nos magasins en lieu de vie en 2015, explique-t-il, nos collaborateurs ont évolué, de la simple mise en rayon au statut d’employés polyvalents dotés d’un rôle de conseil. Au quotidien, il peut s’agir aussi bien de faire fonctionner un casier de consigne électronique que de cuire un poulet rôti. Les besoins en termes de formation ont explosé. Nous avons également un enjeu d’organisation interne, car l’idée d’un magasin ouvert tous les jours de 7h à 22h peu effrayer certains candidats. »

Autre avantage pour Franprix, relevé par Jonathan Goldfarb : une visibilité accrue pour les managers et directeurs de magasins, qui sont désormais en très grande majorité des franchisés : « Ils disposent d’un tableau de bord leur permettant d’anticiper leurs besoins de personnel. »

Le taux d’adoption depuis le lancement en mai dernier est grimpé à « 65%-70%», avec près de 400 inscriptions à des formations. Pour accompagner l’adhésion, une hot-line a été mise en ligne en mai et juin : 800 appels par semaine, 50 collaborateurs RH mobilisés. Une cinquantaine de tutos ont également été produits et mis en ligne directement dans l’outil.

Des algorithmes pour faire matcher un candidat et sa future équipe

Second aspect des ruptures en cours et à venir, la disruption de la fonction RH en tant que « métier de l’humain ». La Tech ne permet pas seulement de se défaire de la « paperasse », de rendre les données plus accessibles et de mieux piloter ses effectifs ou sa carrière, elle fait aussi la promesse d’améliorer les prises de décisions, notamment celles qui concernent la compatibilité d’un candidat avec sa future équipe.

C’est le pari qu’a fait AssessFirst il y a 5 ans en confiant à des algorithmes la tâche d’anticiper « l’engagement » des collaborateurs. Il s’agit à la fois de mieux recruter, de travailler sur la mobilité interne et de réduire le turnover.

C’est un positionnement novateur qui a évolué et grandi au fil du temps.

Il y a 20 ans, AssessFirst pariait sur les « soft skills », mais à l’époque sans y injecter d’IA : « Nous avons évacué d’emblée toute la partie CV : les diplômes, les expériences, l’âge, l’origine…, pour nous focaliser sur les critères psychologiques, explique Simon Baron, Chief Product Officer chez AssessFirst et psychologue du travail de formation. « Lorsqu’on essaie d’estimer si un candidat se plaira dans un poste, son tempérament en dit infiniment plus long que son expérience professionnelle passée. »

AssessFirst évalue le potentiel d’un individu selon trois axes : sa capacité de raisonnement (est-il en mesure de traiter la complexité ?), sa personnalité (est-il à l’aise face au client, est-il organisé, etc) et ses motivations : quels sont les leviers personnels qui le font avancer ?

Pendant longtemps, les évaluations AssessFirst étaient envoyées au recruteur : charge à lui d’estimer si le mandat allait « matcher » avec son équipe. Mais plus récemment, l’entreprise a fait évoluer son positionnement, avec un algorithme de recommandation qui anticipe un taux de succès en poste.

Concrètement, aujourd’hui tout se fait en ligne : un questionnaire est poussé au candidat, mais aussi l’entreprise qui recrute, à la future équipe du candidat et même à son futur manager quand il est déjà identifié.

Les algorithmes face à la maturité inégale des DRH

« Nos questionnaires ne soufflent pas de bonne ou de mauvaise réponse, reprend Simon Baron. Le répondant doit choisir entre plusieurs options, qui toutes sont positives, mais révélatrices de sa personnalité. C’est ensuite l’IA qui qualifie l’adéquation entre son profil et le poste proposé. »

Les algorithmes viennent objectiver « les décisions prises trop souvent sur la base d’intuitions et de nombreux biais dont nous sommes tous victimes. » Pour nourrir l’IA, Assess First s’appuie sur les retours d’expérience des collaborateurs heureux dans leur poste et de ceux qui quittent l’entreprise. C’est un apprentissage constant, avec un volume de données que bien sûr un DRH ne pourrait pas traiter.

Ici, une ancienne couturière devenue gestionnaire d’assurance. Là, un nombre de ruptures de période d’essais réduit de moitié. La clef de succès, selon Simon Baron : partager immédiatement aux candidats le résultat de leurs questionnaires. « C’est ainsi qu’on les implique, car on casse la boîte noire… celle de l’IA, mais aussi celle qui existe chez les humains à la fin d’un entretien d’embauche. »

Et demain, faudra-t-il externaliser la fonction RH ?

D’après un cycle de 20 interviews menées par Pixid et Act-On Group, dont les résultats ont été rendus publics en juillet dernier, 43% des dirigeants et des décideurs RH estiment très pertinent d’externaliser le traitement de la paie, loin devant toutes les autres missions RH : 19% pour la gestion de la formation, 10% pour le recrutement et l’onboarding, 5% pour le « suivi des temps ».

Le recours à l’externalisation des RH est motivé principalement par une volonté de « ne plus gérer les tâches à faible valeur ajoutée » pour 86% des sondés. Viennent ensuite « le gain de temps » ex-aequo avec « le gain en qualité de service » (81%), « la maîtrise des coûts de la fonction RH » (76%) et « la réalisation d’économies directes » (71%).

Du côté des freins, on note le prix (75%), la mauvaise intégration technique avec le système d’information (48%) ou encore la perte de contrôle du process (48%) et le manque de transparence sur les résultats obtenus (47%).

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