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Vincent Binetruy (Top Employers Institute) : « Les entreprises découvrent ce que VUCA veut réellement dire » 

Le Top Employers Institute a audité en 2019 plus de 1700 entreprises dans 119 pays, dont la France, autour de 400 pratiques RH. Vincent Binetruy, Directeur pour la France de l’institut, livre en conséquence son analyse sur le niveau de préparation des DRH de l’Hexagone sur la situation de crise actuelle. 

Alliancy. Comment qualifieriez-vous la situation pour les DRH dans les entreprises aujourd’hui face à la crise du Covid-19 ? 

Vincent Binetruy, Directeur pour la France, Top Employers Institute

Vincent Binetruy. On est très clairement dans une gestion de crise sans précédent. Les réunions non essentielles sont repoussées ou raccourcies, et ils sont sur le pied de guerre, que ce soit sur la protection sanitaire des collaborateurs, sur la gestion des problématiques business comme la fermeture de sites, ou encore sur les dispositifs juridique et financiers, avec un impact important du chômage partiel en particulier. On est sur de la gestion de crise 24/7et il faut reconnaître que les adaptations se font en temps réel. 

Quelle est le problème numéro un ?  

Vincent Binetruy. La principale préoccupation, ce sont les difficultés à anticiper l’évolution de la situation jour après jour de façon à fournir un discours clair pour tous les collaborateurs. La non-prévisibilité du lendemain est très difficile à vivre que ce soit pour les dirigeants ou les salariés. Surtout alors que chaque paramètre, sanitaire, social, financier… est inextricable l’un de l’autre. Il est clair pour tout le monde que la situation ne va pas s’améliorer en une quinzaine de jour, mais qu’en sera-t-il dans deux mois ? Dans trois mois ?  

A quel point les DRH étaient-ils préparés à une telle instabilité ? 

Vincent Binetruy. Depuis des années les dirigeants se plaisent à rappeler que le monde est « VUCA* » est qu’il faut savoir s’adapterVolatilité, incertitude, complexité, ambiguïté… je pense qu’on réalise tous aujourd’hui, et les DRH en tête, ce que VUCA veut réellement dire. En France, du fait de l’épisode des grèves de cet hiverun certain nombre d’entreprises avaient dû s’organiser pour rendre plus souple les modalités du travail. Cela a un peu aidé, mais la réalité actuelle est évidemment bien plus rude. Surtout pour les professions où le télétravail n’était pas possible. Les experts rappellent que la France est avant tout une économie de services, donc compatible avec le télétravail, mais c’est un peu vite oublier que la distribution – directement touchée par les limites sur les déplacements – est aussi un service, par exemple !  

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Les entreprises étaient-elles suffisamment équipées en matière de télétravail ? 

Vincent Binetruy.  La plupart ont mis en œuvre des outils de télétravail depuis plusieurs années. Les outils collaboratifs sont généralisés, mais cela ne veut rien dire. Aussi conviviaux soient-ils, ils ne changent pas intrinsèquement les façons de faire… Or, le confinement et le télétravail de longue durée, sont des changements majeurs d’organisation du travail. C’est avant tout un sujet de management à distance qui n’a plus rien à voir avec un télétravail occasionnel, pour lesquels les collaborateurs se croisent aussi régulièrement physiquement, notamment pour gérer des points complexes et garder du lien social. Dans la situation actuelle le lien interpersonnel peut très vite se distendre. Il va falloir remettre au goût du jour les appels téléphonique entre deux personnes seulement, au-delà des réunions d’équipe en visio-conférence. Et vite recréer des liens émotionnels. 

A quel point les DRH que vous auditez ont ce prisme « émotionnel » dans leurs méthodologies ? 

Vincent Binetruy.  Dans nos audits, il ressort que la France, comme chaque pays, a des biais culturels dans l’organisation du travail. En l’occurrence, il s’agit de méthodes qui restent encore très paternalistes, avec une importance démesurée laissée au présentéisme vis-à-vis des collaborateurs et souvent associés à un manque de transparence dans les communications. Dans la situation actuelle c’est un vrai problème. Les DRH sont conscients que leur entreprise ne va pas sortir indemne d’une telle épreuve. Sans doute sera-t-on tous très heureux de retrouver une vie sociale professionnelle quand la crise cessera… mais il y aura un impact psychologique fort à prévoir lors de ce futur « retour à la normal ». La distance avec l’entreprise aura été au maximum pendant une longue période, encore plus pour les personnes en activité partielle. Cela pourra sans doute se comparer sous certains aspects à la situation des personnes qui reviennent à leur bureau après un burn-out. 

Les DRH ont-ils les dispositifs pour anticiper ce problème ? 

Vincent Binetruy.  C’est un des points que nous sommes amenés à auditer dans notre programme : quel accompagnement est prévu pour les collaborateurs qui reviennent de burnout ? La situation en France n’est pas réjouissante. Seules 32% des entreprises certifiées Top Employers dans le pays ont formalisé un tel programme ; et pourtant il s’agit des « meilleurs élèves » ! Qui plus est, ces entreprises ont eu le temps de concevoir, tester et mettre en place ces dispositifs. Aujourd’hui, en situation de crise, les DRH passent tout leur temps à gérer le quotidien, cela ne laisse pas de disponibilité pour anticiper la suite.  

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Les meilleures pratiques RH que vous étudiez peuvent-elles protéger l’entreprise contre les chocs de cette crise ? 

Vincent Binetruy.  Les entreprises que nous certifions vont-elles mieux s’en sortir ? Evidemment, j’ai envie de dire oui… Mais il faut être réaliste et reconnaître que l’impact des pratiques RH en temps de crise n’est pas le premier facteur, qui est tout simplement l’impact économique sur l’activité elle-mêmeÊtre au top sur les RH, ne protège pas d’un ralentissement économique majeusur le secteur d’une entreprise par exemple. Parmi les pratiques qui aideront le plus, je pense qu’on peut mettre en avant celle de la transparence. Plus les jours vont passer, plus les employés vont mal vivre la langue de bois : il va falloir que les dirigeants et les DRH prennent leurs responsabilités et soient transparent sur la réalité, économique et sociale, des prochains mois. Cela va impliquer de trouver le bon ton et la bonne capacité à parler sans catastrophisme mais sans triomphalisme non plus. Les collaborateurs ont besoin de cette visibilité pour s’organiser. Malheureusement, je pense qu’avant l’été, il sera difficile de fournir une vision franche sur les impacts réels. Tout ce qui sera dit dans les trois prochains mois sera sans doute soit trop pessimiste, soit trop optimiste. 

L’acronyme reprend les initiales anglaises de : Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity 

 

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