Dans cette nouvelle chronique, Imed Boughzala revient sur la nécessité grandissante de repenser la dimension internationale de l’enseignement des écoles supérieures françaises alors que le numérique transforme en profondeur les possibilités pour les étudiants nationaux ou internationaux.
Dans cette chronique, je souhaite aborder un sujet important : « l’expérience étudiante » des étudiants internationaux ainsi que l’exposition internationale des étudiants nationaux dans les écoles d’ingénieurs en France. J’évoquerai également l’importance de l’intelligence digitale et de la transformation numérique pour favoriser une internationalisation plus inclusive, efficace et durable.
Un impératif stratégique pour les écoles d’ingénieurs
L’internationalisation est devenue un axe stratégique majeur pour les écoles d’ingénieurs françaises. Dans un contexte de mondialisation des compétences et des carrières, les établissements doivent s’ouvrir à l’international pour former des ingénieurs capables d’évoluer dans des environnements multiculturels et globalisés. Cette ouverture prend des formes variées : accueil d’étudiants étrangers, doubles diplômes, séjours d’études ou stages à l’étranger, développement de partenariats académiques, recherche collaborative internationale, ou encore recrutement de professeurs étrangers. Les enjeux sont multiples. Il s’agit d’abord de renforcer l’attractivité de l’établissement à l’échelle mondiale, en attirant les meilleurs talents, en diversifiant les sources de recrutement et en augmentant la visibilité de l’école dans les classements internationaux. Ensuite, l’internationalisation permet de proposer à l’ensemble des élèves ingénieurs une formation enrichie par la confrontation à d’autres cultures scientifiques, techniques et humaines. Enfin, elle contribue à l’évolution pédagogique et organisationnelle de l’école, en intégrant de nouvelles pratiques issues d’autres systèmes éducatifs.
Le label “Bienvenue en France” : un outil de valorisation et de confiance
Dans ce contexte, le label “Bienvenue en France”, porté par Campus France, joue un rôle structurant. Ce label, attribué pour une durée de cinq ans, valorise les établissements qui mettent en œuvre une politique active d’accueil des étudiants internationaux. Il est fondé sur plusieurs critères : qualité de l’information préalable à l’arrivée, accompagnement administratif, offre de formation, vie sur le campus, hébergement, suivi post-arrivée, etc. Obtenir ce label représente une reconnaissance officielle des efforts engagés pour offrir une expérience étudiante de qualité aux publics internationaux. C’est aussi un gage de confiance pour les étudiants et leurs familles, souvent confrontés à un manque de lisibilité dans l’offre mondiale de formations. Pour une école d’ingénieurs, il permet de se distinguer dans un environnement concurrentiel et de consolider sa place dans les flux de mobilité internationale. Dans une ère où les étudiants choisissent leur destination en fonction de critères aussi bien académiques que logistiques, sociaux et environnementaux, disposer du label “Bienvenue en France” devient un avantage comparatif réel. Il contribue aussi à soutenir les politiques publiques d’attractivité universitaire de la France, tout en encourageant les établissements à améliorer continuellement leurs services.
La transformation digitale comme levier d’internationalisation
L’un des vecteurs majeurs de cette nouvelle internationalisation est sans conteste la digitalisation des écoles. La capacité d’un établissement à déployer des outils numériques (applications mobiles pour accéder à la planification des cours ou s’orienter dans le campus, chatbots IA, FAQ…) performants, interopérables et accessibles devient une condition indispensable à son attractivité et à sa compétitivité internationale. Cela concerne la gestion administrative des mobilités, les plateformes d’enseignement en ligne (Learning Management Systems multilingues, comme Moodle, Blackboard…), les outils de travail collaboratif, la sécurité des données ou encore la gestion des parcours étudiants. Mais au-delà des infrastructures, c’est l’intelligence digitale des individus – étudiants, enseignants, personnels administratifs – qui fait la différence. Savoir utiliser les outils numériques avec efficacité, discernement et éthique, dans un cadre multiculturel et globalisé, constitue désormais une compétence fondamentale. Pour les étudiants, cela signifie être capables de suivre des cours à distance, de collaborer dans des projets transnationaux en ligne, de développer une culture numérique critique et agile. Pour les enseignants, cela suppose d’intégrer les méthodes pédagogiques innovantes, de scénariser des cours hybrides, d’évaluer à distance, de participer à des réseaux internationaux. Pour les administratifs, il s’agit d’accompagner les mobilités dans un environnement digitalisé, de gérer les flux de données internationales, de faciliter l’accès à l’information et aux services. Ainsi, l’école d’ingénieurs internationale du XXIe siècle doit investir dans la formation continue à la littératie/acculturation numérique (Digital Literacy) et dans la montée en compétences digitales de l’ensemble de ses communautés. Cette transformation ne peut être que collective, progressive et alignée sur les enjeux éthiques et durables de la transition numérique.
Vers une internationalisation repensée : cours à distance et mobilité durable
Depuis la crise sanitaire mondiale (Covid), les pratiques d’enseignement ont connu une transformation rapide. Le développement massif des cours internationaux à distance (COIL, pour Collaborative Online International Learning) a élargi les possibilités de collaboration académique sans déplacement physique. Cette évolution présente de nombreux avantages : réduction des coûts, accessibilité accrue, flexibilité dans l’organisation des parcours, et surtout réduction de l’empreinte carbone des mobilités internationales. Toutefois, la dématérialisation totale ne saurait remplacer l’expérience humaine et culturelle d’un séjour à l’étranger. Les échanges physiques restent essentiels à la formation de l’ingénieur, qui se construit aussi par l’adaptation à de nouveaux environnements, la pratique de langues vivantes dans un contexte réel, et la participation à des projets interculturels. Il s’agit donc aujourd’hui de trouver un équilibre entre mobilités virtuelles et mobilités durables, en intégrant pleinement les enjeux environnementaux dans les stratégies d’internationalisation. L’adoption de mobilités douces et durables (Green Mobility) – trajets en train plutôt qu’en avion pour les destinations européennes, séjours plus longs mais moins fréquents, compensation carbone, développement de campus verts – fait désormais partie des attentes des jeunes générations et des politiques de responsabilité sociétale des établissements. Une école d’ingénieurs qui souhaite former des professionnels conscients des défis climatiques doit aussi montrer l’exemple dans la façon dont elle conçoit et organise les échanges internationaux.
Recommandations pour une internationalisation responsable et intelligente
Pour concilier excellence académique, attractivité internationale et responsabilité environnementale et numérique, plusieurs axes d’action peuvent être proposés aux écoles d’ingénieurs :
- Diversifier les formats de mobilité : combiner échanges physiques, mobilités hybrides et projets collaboratifs en ligne pour permettre à tous les étudiants d’avoir une expérience internationale, quelle que soit leur situation personnelle.
- Renforcer l’intelligence digitale collective : former toutes les parties prenantes à la maîtrise critique et responsable des outils numériques dans un contexte globalisé.
- Valoriser l’expérience internationale à domicile : développer des “cours internationaux” sur le campus (cours en anglais, interventions d’enseignants étrangers, programmes courts), organiser des projets interculturels locaux avec des étudiants internationaux.
- Adopter une politique de mobilité bas carbone : favoriser les partenariats avec des établissements européens accessibles en train, allonger la durée des séjours pour réduire la fréquence des voyages, sensibiliser les étudiants et les enseignants-chercheurs à l’impact écologique de leurs choix.
- Renforcer l’accompagnement des étudiants internationaux : au-delà des aspects administratifs, leur proposer une véritable intégration sociale, culturelle et professionnelle. Le label “Bienvenue en France” constitue ici une boussole précieuse.
L’internationalisation des écoles d’ingénieurs ne peut plus être pensée uniquement comme une course à la mobilité physique ou à la labellisation. Elle doit s’ancrer dans une réflexion globale sur la transformation des formations, des pratiques pédagogiques, des usages numériques et de la responsabilité sociétale des établissements. Dans ce nouveau paradigme, le label “Bienvenue en France”, la digitalisation des écoles, et le développement d’une intelligence digitale partagée deviennent des leviers clés pour attirer, accueillir et fidéliser les talents internationaux tout en affirmant une identité d’école ouverte, inclusive, durable et intelligente. À l’heure des transitions écologiques, numériques et géopolitiques, les écoles d’ingénieurs françaises ont une carte à jouer : celle d’une internationalisation augmentée, humaniste et agile, au service de l’excellence scientifique et de l’impact sociétal.
