[Chronique] Intelligence digitale : l’urgence d’une acculturation à un numérique durable et responsable

Bienveillant, inclusif, collectif, entrainant… Notre chroniqueur Imed Boughzala décrit ce que peut être un manifeste pour un numérique responsable pour les années à venir et à quel point celui-ci résonne avec nos besoins fondamentaux.

Quel numérique voulons-nous pour demain ? Une question qui mérite d’être posée, reposée et même imposée, dans une époque où la course vers le développement technologique et la supériorité numérique font parfois oublier que nous sommes avant tout (et malgré tout) des êtres humains avec nos besoins fondamentaux.

La pyramide de Maslow les a hiérarchisé pour vivre en paix intérieur et avec l’extérieur, il s’agit des besoins physiologiques (respiration, faim, soif, sexualité, sommeil…), des besoins de sécurité (environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise), des besoins d’amour et d’appartenance (affection des autres), des besoins d’estime (confiance et respect de soi, reconnaissance et appréciation des autres) et des besoins d’accomplissement de soi ou auto-actualisation (développement personnel, culture, recherche d’équilibre, bonheur et bien-être). Ils prennent un nouveau sens dans une époque où l’humanité est mise au défi, voire menacée par des transitions ou des crises en tous genres, à la fois inédites et sans précédent.

Pyramide de Maslow

Pyramide de Maslow La crise sanitaire de la Covid est passée par là pour nous rappeler et nous montrer à quel point nous sommes fragiles en tant qu’êtres humains. Le numérique a joué un rôle prépondérant pour nous « dépanner » qui va s’amplifier encore davantage à l’avenir. Rien ne sera comme avant que ce soit pour : communiquer, converser, se renseigner, éduquer, commercer, se soigner, se distraire, etc. Le numérique semble combler déjà une part de nos besoins fondamentaux.

« Au sens communautaire, la question demeure toujours : quel numérique voulons-nous pour demain ? » Cliquez pour tweeter

Avoir accès en continue à Internet devient presque un besoin physiologique chez certains mettant en lumière l’antagonisme entre dépendance et nécessité de tendre vers un numérique durable ; surfer sur Internet, s’exposer à des risques développent notre besoin de sécurité posant la question de la protection dans un espace numérique qui se veut plus responsable et souverain ; se connecter à d’autres personnes pour ne pas se sentir seul ou isolé en créant du lien répond à un besoin d’amour et d’appartenance mais crée-t-il pour autant des liens pour un numérique plus inclusif et collectif ?

Se faire connaitre et rayonner manifestent un besoin d’estime pour améliorer sa confiance en soi, mais comment prendre soin de sa e-réputation dans un contexte numérique équitable permettant de donner du sens ?  Apprendre et se former en ligne à travers les technologies traduisent un besoin d’accomplissement et de développement des connaissances ainsi que des compétences mais qu’en est-il d’un numérique entrainant et bienveillant.

Au sens communautaire, la question demeure toujours : quel numérique voulons-nous pour demain ?

Manifeste pour un numérique durable et responsable

  • Un numérique qui nous facilite la vie, qui ne la complique pas ;
  • Un numérique qui nous apaise et non qui nous stresse et altère notre santé mentale ;
  • Un numérique qui nous inclut, unit, réunit et qui ne nous sépare pas ;
  • Un numérique qui met en valeur la différence et qui ne prône pas l’uniformité ;
  • Un numérique qui nous rapproche dans notre diversité sans nous couper de nos racines et de nos liens ;
  • Un numérique qui nous éduque et renforce notre citoyenneté mais qui n’attise pas la haine, le racisme et l’extrémisme ;
  • Un numérique qui nous rassure sans nous faire peur ou nous menacer ;
  • Un numérique qui nous protège, nous rend confiant mais ne nous fragilise pas ou qui n’éveille pas nos soupçons ;
  • Un numérique qui nous augmente et ne nous diminue pas par l’abondance et la dépendance ;
  • Un numérique qui nous réinvente, qui nous émancipe mais qui ne nous emprisonne et ne nous limite pas;
  • Un numérique qui élargit notre imaginaire et développe notre créativité sans nous restreindre ;
  • Un numérique qui nous pousse à l’innovation et la frugalité sans nous encourager au conformisme et la pensée unique ;
  • Un numérique qui nous encourage à l’entrepreneuriat et qui ne nous fait pas tomber dans l’assistanat ou l’esprit du rentier.
  • Un numérique qui nous responsabilise et qui ne détériore ou ne détruit pas l’environnement ;
  • Un numérique qui nous rend souverain et non pas dépendant et contraint.

La réponse passe par l’acculturation au numérique responsable (Digital Literacy), une façon de développer des compétences digitales chez les citoyens (i.e. une sorte de citoyenneté appelée digitale), chez les organisations et même les Etats. Après avoir parlé du civisme numérique ou digital – un enjeu citoyen pour une utilisation responsable des technologies digitales -, de la sobriété numérique, – un enjeu de société important qui vise à réduire l’empreinte carbone du secteur du numérique en matière de consommation énergétique -, vient un autre enjeu plutôt géopolitique même si au départ technologique, celui de la souveraineté numérique ou digitale.

Un sujet qui préoccupe de plus en plus les pays et les Etats afin de défendre leurs intérêts et ceux de leurs populations et affirmer leur pouvoir et supériorité technologique. Pour la France, il s’agit de la préservation de son indépendance numérique (infrastructures, équipement, réseaux, données, compétences …). Certains s’inquiètent même depuis un moment de voir l’Europe devenir « une colonie numérique des États-Unis » ou même d’un autre pays, qui sait…

Une souveraineté qui protège les emplois, les données, les vies privées, la santé, la propriété intellectuelle et matérielle, le modèle social, la prospérité, la fiscalité, l’économie, etc. Un Etat qui pourrait garantir que la pyramide des besoins de sa population ne s’écroule pas.