Alliancy

Écoresponsabilité numérique : Michelin, Vinci et la RATP face aux défis de la responsabilisation des collaborateurs

Écoresponsabilité numérique

Devant l’ampleur du travail pour réduire l’empreinte carbone de leurs activités, les grandes entreprises doivent trouver les bons arguments pour créer des vocations en interne et pouvoir compter sur le relais d’ambassadeurs motivés.

« On nous pose encore souvent la question : est-ce qu’il y a un retour sur investissement ? ». Cette déclaration, entendue dans les allées du GreenTech Forum, laisse entrevoir la complexité du problème auquel sont confrontés les responsables du numérique responsable qui ont été nommés ces dernières années dans les organisations. Leur mission est de mobiliser en interne autour de l’écoresponsabilité numérique, mais les différents aspects du concept ne provoquent pas toujours la même adhésion parmi les collaborateurs, malgré l’évolution des mentalités.

Le GreenTech Forum, organisé les 21 et 22 novembre au Beffroi de Montrouge, en est à sa 3e édition. L’événement, dédié aux professionnels du numérique et aux sujets d’éco-responsabilité, s’inscrit dans la continuité de l’initiative Planet Tech’Care, pilotée par le programme Numérique Responsable de Numeum, syndicat professionnel des acteurs du numérique. Il cherche à la fois à favoriser le partage des pratiques concrètes et à créer une dynamique business chez les spécialistes des technologies.

Des collaborateurs surpris par l’impact environnemental de leur smartphone

Dans ce contexte, les témoignages des entreprises qui ouvrent véritablement le capot pour montrer comment elles abordent le casse-tête de l’impact environnemental du numérique sont encore rares. Même si les programmes RSE se sont fortement développés ces dernières années, les organisations marchent sur des œufs pour éviter de se voir accuser de faire du greenwashing et beaucoup sont encore jeunes sur leurs retours d’expérience concernant spécifiquement les sujets numériques. Cependant, certaines parmi les plus grandes, à l’image de Michelin, Vinci ou de la RATP, acceptent dorénavant de jouer le jeu. Les responsables de programme « Green IT » témoignent alors des surprises et des difficultés auxquelles ils ont été confrontés dans leur organisation.

« Quand on montre concrètement qu’il faut extraire 300 kilos de matière et toute l’eau qui est utilisée pour fabriquer un smartphone de 200 grammes, la plupart des collaborateurs sont encore surpris » explique ainsi Marie Ait Daoud, qui dirige le plan green IT de Vinci, géant français de la construction et des concessions. Selon elle, cette méconnaissance n’épargne d’ailleurs pas ceux dont on pourrait penser qu’ils seraient parmi les premiers sensibilisés, spécialistes des technologies ou du numérique, qu’ils soient ingénieurs ou data analystes.

Pourtant, les attentes ont bien changé. Pour de nombreux cols blancs qui ont aujourd’hui plus de quarante ans, être recrutés en début de carrière par une entreprise qui leur aurait fourni du matériel informatique d’occasion aurait été inimaginable. Avoir du matériel neuf et dernier cri était un acquis, tout comme le fait de demander une voiture de fonction, quitte sinon à aller voir ailleurs, reconnaît ainsi l’un d’entre eux, presque honteusement, sur le GreenTech Forum. A l’inverse, les responsables Green IT remarquent que les jeunes talents d’aujourd’hui demandent du reconditionné comme preuve du sérieux de l’entreprise qui cherche à les attirer.

Des difficultés pour travailler avec des consultants

Les entreprises sont dès lors appelées à montrer patte blanche sur leur impact environnemental. Or, quand il est question de leur parc de terminaux, souvent très conséquents, elles soulignent les difficultés à mettre en place des audits satisfaisants pour calculer leur impact carbone.

« Nous avons utilisé des consultants externes, spécialistes du RSE, pour mesurer notre bilan carbone » témoigne Maud Cailly, pilote du programme numérique responsable de la RATP. « Mais ils n’étaient pas des experts du numérique responsable spécifiquement, et ils avaient beaucoup de mal à échanger avec la direction des systèmes d’information et à récupérer les bonnes informations ». Tant et si bien que le bilan en question inclut des marges d’erreur assumées de l’ordre de 70%. C’est d’ailleurs ce flou artistique qui a justifié aux yeux de l’entreprise de transport la création, il y a 18 mois, d’un poste à temps plein sur le périmètre du numérique responsable, rattaché au sein du comité exécutif au directeur du digital.

Chez Michelin, le point de départ a été les travaux sur l’intelligence artificielle. « Dès 2018, nous étions plusieurs en interne à nous poser des questions sur l’impact du plan IA, car le sujet de la consommation énergétique a été posé par le Comex » se remémore Gilles Colas des Francs, directeur Transformation IA du fabricant de pneumatiques. Le comité exécutif de l’industriel français est en effet questionné lui-même par le Comité des Parties Prenantes de l’entreprise, qui réunit des représentants de l’écosystème partenaire, client et des salariés, mais également des ONG et des institutionnels. C’est ce qui conduit à l’officialisation du « Digital durable » comme un pilier de la stratégie IA, à diffuser à tous les niveaux de l’entreprise. « Le plus difficile sur le sujet de l’éco-responsabilité, c’est de durer ; de ne pas être dans l’opération « flash mob » (en référence aux rassemblements éphémères de personnes pour des événements, permis par Internet, NDLR), mais plutôt de parvenir à créer des relais partout dans l’entreprise » note Gilles Colas des Francs.

L’émergence de ces ambassadeurs est vu par les trois entreprises comme une condition centrale pour la réussite, mais également comme un défi épineux. « Ces représentants engagés doivent être au sein de la direction des systèmes d’information mais également des métiers, car tous les matériels numériques ne sont pas toujours dans le périmètre exact de la DSI. Je pense notamment dans notre cas aux écrans, aux terminaux des contrôleurs ou au matériel de billettique, qui ont également un impact important » souligne Maud Cailly pour la RATP.

Des ambassadeurs Green IT et IT for Green

Elle se réjouit de la capacité de son entreprise de faire passer des communications descendantes très efficaces auprès de tous les salariés. « Cela nous a permis d’avoir un véritable appel à idées dans toutes les strates de l’organisation. Et on a été surpris de voir des gens très motivés se dévoiler. Nous avons compris que des managers bloquaient depuis longtemps certaines bonnes idées, et qu’il y avait une forme de frustration » remarque la pilote du programme numérique responsable. Mais tout n’est pas rose pour autant : « Sur des sujets aussi basique que le fait d’interdire les « goodies » pour les postes de travail, il y a des réticences et soudainement, le responsable numérique responsable est vu avant tout comme un enquiquineur » se désole-t-elle. Dans ce contexte, multiplier les formations au green IT a permis non seulement de créer des ambassadeurs, mais également de se rendre compte que les meilleures idées pour plus de sobriété venaient de personnes souvent en poste depuis longtemps, avec une connaissance fine des usages de l’entreprise et de sa culture : « Tout le contraire de consultants externes ».

« Il est certain que dans cette démarche importante de création de relais, il ne faut pas s’épuiser face aux détracteurs. Il est nécessaire de se concentrer sur la formation de ceux qui en ont envie. Eux-mêmes entraîneront ensuite les autres. » abonde Gilles Colas des Francs. Il distingue d’ailleurs plusieurs types de réticences, dont certaines peuvent aussi être des opportunités pour l’entreprise : « Certains estiment à juste titre qu’en ne regardant que l’impact négatif du numérique, on oublie le rôle positif qu’il joue pour réduire les émissions carbones de l’activité en général. Pour certains, travailler sur cet « IT for Green » va être beaucoup plus mobilisateur ».

Les industriels comme Michelin sont particulièrement concernés par cet équilibre à trouver entre Green IT et IT for Green. « Notre empreinte numérique est de 50 kilotonnes de CO², sur une empreinte globale de près de 150 millions de tonnes de CO² par an » met en avant le directeur de la Transformation IA du groupe. De quoi convaincre les organisations qui créent des postes de responsables Green IT qu’elles doivent élargir leur vision : l’influence que doit acquérir ces nouveaux leaders d’opinion dans l’organisation ne peut plus se limiter à la mesure de l’impact carbone des terminaux, elle doit aussi pouvoir donner espoir dans la capacité du numérique d’apporter une partie des solutions. Afin de créer partout des vocations.

Quitter la version mobile