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Emmanuel Stanislas de Clémentine – Que faut-il penser de l’émergence des « Ecoles de Code » ?

Combler le besoin de main d’œuvre de l’industrie numérique et lutter contre le chômage : c’est l’équation magique à laquelle entendent répondre ces « Ecoles de Code » d’un genre nouveau. Des formations alternatives en plein essor qui ne laissent pas de susciter de nombreuses questions sur leur bien fondé, réel ou supposé.

Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement spécialiste du digital, de l’informatique et des télécoms

70 à 90 heures par semaine, 15 jours pour développer une application, 100 % des effectifs en poste 6 mois après la fin de leur formation… Voici ce que promettent ces nouvelles écoles dites « de code », formations en informatique qui ont éclos depuis quelques mois, principalement à Paris.

Des écoles souvent bien différentes entre elles en termes de philosophie, de fonctionnement et d’objectifs mais ayant en commun cette conviction « chevillée au corps »  que la discipline informatique peut se prêter à un enseignement alternatif, non conventionnel, pour peu que celui-ci repose sur une bonne dose de travail et d’investissement personnel.  

Ecole = Emploi ?

A l’origine, un constat simple : l’informatique fait partie des secteurs qui recrutent mais la France, qui forme des ingénieurs aux compétences reconnues, n’en « produit » pas assez. Par extrapolation, ce sont d’ailleurs plus de 700 000 postes qui restent à pourvoir dans ses métiers, aux quatre coins du Vieux Continent, d’après la Commission Européenne[1] ; un besoin croissant à différentes strates d’expertise et d’expérience car la discipline devient transversale à tous les secteurs de l’économie (à un rythme soutenu de +3% chaque année, selon cette même note.) Ne nous y trompons pas : c’est bien là une des raisons pour laquelle de grands groupes s’interrogent aujourd’hui sur la pertinence de la sous-traitance dans les pays émergents tandis que le chômage touche plus de 10,6 % de la population active[2] de l’Hexagone.

Fortes de ce constat, différentes initiatives privées se sont donc mises en place ces derniers mois pour pallier les manquements de l’enseignement supérieur « traditionnel » : à l’instar de l’école 42, formation de 3 à 5 ans financée intégralement par des grands noms de l’industrie numérique, de Simplon qui propose, quant à elle, des formations courtes et un accompagnement des élèves vers la réalisation de projets individuels ; ou d’autres expérimentations éducatives investies par des entrepreneurs, des associations et des think-tank comme WebForce 3 qui ont vu le jour dernièrement. En commun la volonté de délivrer des formations concrètes et pratiques dont l’objectif est l’employabilité immédiate des étudiants à l’issue de leur parcours.

Xavier Niel est-il visionnaire ?

Quand Xavier Niel instaure une formation longue non diplômante, la démarche provoque des interrogations. Mais n’est-ce pas l’occasion de repenser le rôle assigné au « sacro-saint » diplôme en France ? Dans l’ouvrage la machine à trier[3], les auteurs avancent l’idée selon laquelle notre pays a un problème avec la notion de diplôme. Celui-ci, perçu dans le monde anglo-saxon comme un investissement en capital humain permettant de mieux se vendre sur le marché du travail, serait, chez nous, le reflet d’un positionnement sur une « échelle stratifiée » rendant compte d’une place essentiellement sociale.

Or, parce qu’il n’existe pas de savoir fondamental en informatique, les écoles de code délivrent un savoir-faire. Dans ce contexte le diplôme retrouve sa fonction professionnalisante. En ce sens, l’émergence de ce type d’écoles est peut-être en train de poser des questions importantes sur ce qui fait l’employabilité effective ; on peut reconnaitre à l’école 42, à Simplon et à d’autres l’audace dans cette volonté de rattacher la formation à la réalité professionnelle opérationnelle. Longues où courtes, toutes ces formations sont assorties de Junior Entreprises ou de systèmes d’accompagnement dont l’objectif est de faire prendre conscience aux étudiants des possibles ouverts par cette évolution métier. Enfin, elles ont le mérite de faire fi de la distinction entre les futurs cadres et les futurs employés, en ouvrant aussi bien leurs portes aux autodidactes, aux profils « atypiques » qu’aux personnes en reconversion… WebForce 3 s’adresse ainsi, avec sa formation accélérée, aux 48 % de bacheliers qui ne terminent pas leur première année d’université.

D’un autre côté, il ne faudrait pourtant pas se méprendre : l’apprentissage du « code », comme celui de la musique, demande abnégation et rigueur. A cet égard, il faut se méfier des discours « vengeurs » qui promettent de créer l’employabilité pour tous les exclus du système scolaire.

Lumpenprolétariat Ruby ou Génération Créative ?

Certes, des formations très courtes, limitées à un seul langage informatique – ne dotant les « apprenants » que de la capacité à réaliser un type de tâches répétitives (et vraisemblablement bientôt obsolètes) – peuvent générer des inquiétudes. Mais globalement le tableau reste enthousiasmant. L’essentiel de ces formations apprennent à s’adapter aux langages à venir, et poussent aussi bien à l’agilité qu’au développement entrepreneurial.

Autre avantage : les écoles de code s’adressent souvent aux plus de 18 ans. C’est une vraie force car les enquêtes PISA[4] sur le niveau d’éducation dans les pays de l’OCDE montrent que les pays qui atteignent les meilleures performances sont ceux qui différencient le plus tardivement les parcours scolaires. Grâce à ce biais, les écoles de code représenteront, espérons-le, des bonnes alternatives à l’enseignement supérieur, et non des choix par défaut.

« Nous voulons inspirer une nouvelle génération, la rendre créative grâce au codage, à la programmation et la technologie digitale [5]». C’est Tony Hall, directeur Général de la BBC qui annonçait en ces termes le 8 octobre les prémices d’un programme d’envergure alliant public et privé pour amener « le code dans tous les foyers, toutes les entreprises et toutes les écoles du Royaume-Uni ».

Cette déclaration nous montre que d’autres ont compris le poids de ce savoir dans la compétitivité du futur très proche. Aux professionnels du recrutement que nous sommes, ce bouillonnement éducatif impose une responsabilité de taille : aider jeunes,  parents et candidats à séparer le grain de l’ivraie pour valoriser les formations les plus performantes et les plus adaptées aux enjeux et des défis qui attendront les tout jeunes diplômés.

Ces formations doivent aussi préparer leurs étudiants à évoluer au-delà du premier poste. Comprendre l’entreprise et l’écosystème, y évoluer en s’adaptant aux évolutions rapides et continues, et surtout, apprendre à apprendre, à être curieux, pour poursuivre son apprentissage continu au-delà du cursus, qualité indispensable pour trouver sa place dans le temps, dans cet environnement si changeant.

Continuer à chasser les meilleurs candidats, cela signifiera être capable de distinguer les plus agiles d’entre eux, pointus dans leur domaines et dotés de cette adaptabilité qui permet de penser en termes de projection.


[1] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-52_fr.htm, janvier 2013. [2] Source Insee [3] La machine à trierComment la France divise sa jeunesse, collectif, Editions Eyrolles. [4] http://www.oecd.org/pisa/46624382.pdf [5] http://www.bbc.co.uk/news/technology-24446046

 

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