Etats-Unis : les clés d’une installation réussie

On dénombre 2 600 filiales d’entreprises françaises outre-Atlantique. Mais peu de sociétés – c’est particulièrement le cas des start-up – réussissent réellement leur entrée sur ce marché. Le rêve américain n’est finalement… pas si simple.

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Kansas City (Missouri), à l’instar d’autres villes comme New York et San Francisco, cumule plusieurs avantages pour les start-up françaises comme Bime Analytics : une meilleure qualité de vie et le décalage horaire de 6 heures permet de travailler pendant une demi-journée avec la France. © Fotolia

 

  1. Les Etats-Unis, un passage obligé pour le développement de sa start-up ?

Les magazines regorgent de success stories sur le sujet… Beaucoup moins des échecs pourtant nombreux que rencontrent les entrepreneurs en quête du rêve américain. « Je me suis trompé…, avoue humblement cet entrepreneur aquitain qui préfère garder l’anonymat. Mon idée ne fonctionnait pas en France. Je me suis convaincu en me disant que les mentalités n’étaient pas prêtes, alors que c’est moi qui ne l’étais pas. J’ai brûlé beaucoup de l’argent que j’avais levé dans les voyages et, administrativement, les Etats-Unis, ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît », admet-il. De fait, si les Etats-Unis peuvent constituer un relais de croissance intéressant – voire son principal marché – pour sa start-up, le pays où tout est possible n’est pas un passage obligé pour tout, ni pour tous. 

Directeur de BPIfrance à San Francisco, Romain Serman constate cependant un appétit français grandissant pour les Etats-Unis. « Rien que dans la Silicon Valley, on compte à peu près 500 entreprises françaises. Plus que le nombre en soi, c’est le trend haussier constaté depuis trois ou quatre ans qui est intéressant. On voit clairement arriver une vague. Je rencontre personnellement cinq à six entreprises par semaine », détaille-t-il.

« Nous avons des commerciaux aux Etats-Unis, mais tout le développement demeure à Paris », explique Hannah Oiknine, dirigeante de la société Babbler, une plate-forme numérique d’échanges entre journalistes et entreprises. La raison : « D’une part, le savoir-faire français est reconnu par nos clients et, d’autre part, il faut aussi admettre que les développeurs américains ne sont pas plus qualifiés que les développeurs français. » Et dans un secteur hyperconcurrentiel, certains professionnels ne restent pas plus de quelques mois au sein d’une société dans la perspective de meilleurs émoluments ailleurs. La stabilité des effectifs hexagonaux se révèle également gage de sûreté pour l’entreprise.

Pour d’autres, l’installation aux Etats-Unis est plus évidente. Ainsi, Rachel Delacour, cofondatrice de Bime Analytics, argumente : « Nous avons fait le choix de commercialiser en anglais nos solutions en mode SaaS. Et nous avons rapidement vu que la plupart des essais de la plate-forme venaient des Etats-Unis. Il était dès lors évident pour nous de nous y installer. » La société Matooma (activité de machine to machine), s’est installée voilà quelques mois à New York. Son dirigeant, Frédéric Salles, insiste sur l’importance de bien valider son étude de marché au préalable. « Dans notre cas, le marché américain bénéficie d’une croissance de 27 % par an. Sachant que d’ici à 2020, il sera le deuxième marché mondial, il était très important pour nous de s’y positionner dès maintenant. » 

  1.  Quels pièges éviter 

Avant de s’installer aux Etats-Unis, il faut se familiariser avec l’administration locale, et notamment, s’y retrouver dans la jungle des visas entrepreneurs EB-5, E-2, H-1B… Rien n’est simple ! Faut-il opter pour le visa investisseur E-2 dédié aux investisseurs ? Pour le EB-5 donnant droit à la carte verte de résident permanent ou pour le H-1B attribué par loterie ? « Il faut être bien préparé. Mon visa m’a coûté entre 1 500 et 2 000 dollars et la création juridique de l’entreprise à New York environ 10 000 dollars », dévoile Hannah Oiknine. Suivant le dossier de demande, le coût peut se révéler plus onéreux. C’est le  cas du E-2, où l’entrepreneur doit débourser près de 8 000 dollars en risquant de voir sa demande retoquée, et justifier de fonds importants injectés dans sa société américaine… Mais il existe  de nombreuses techniques pour s’approprier  la législation en s’adjoignant des services juridiques adaptés. « Si possible francophones », précise Hannah Oiknine.

Culturellement, la France et les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à voir en termes de business. Aussi, l’erreur souvent commise par les entrepreneurs étrangers consiste à penser qu’ils peuvent reproduire avec succès le business model qui leur a permis de réussir en France… Ainsi, le directeur général de Matooma avise : « Il est primordial de bien préparer son offre, son équipe, son architecture technique, de façon à pouvoir proposer ses produits comme si vous étiez déjà présent aux Etats-Unis depuis plusieurs années. Une vente précipitée risquerait de faire obtenir à votre société une mauvaise image. »

Dans la même logique, penser que l’on va facilement lever des fonds outre-Atlantique relève de l’illusion. «  Il faut de toute façon apporter la preuve que votre modèle est efficace et donc développer du chiffre d’affaires ici », explique Benoît Buridan, président de French Founders, une société française qui s’est spécialisée dans l’accompagnement des entreprises hexagonales souhaitant traverser l’Atlantique. L’an dernier celle-ci en a aidé 200. « Il ne faut toutefois pas rester entre Français, ce qui est plus simple. Il faut impérativement s’ouvrir aux acteurs américains », prévient toutefois Jérôme Lecat, président de Scality. Si, selon Frédéric Montagnon, ancien président d’OverBlog, 6 à 7 % des start-up, qui ont levé de l’argent auprès de capital-risqueurs ces cinq dernières années, ont été fondées par des Français, le nombre d’élus demeure restreint… Une réalité que le marché semble accepter puisque d’après Romain Serman : « Les entreprises sont clairement mieux armées aujourd’hui. Elles arrivent aux Etats-Unis, mieux financées qu’auparavant. Elles viennent également, ici, avec une force marketing et un vrai produit… et non plus seulement une technologie, tel que cela pouvait être le cas par le passé. » 

  1. Quelques bons conseils 

Avant d’ouvrir un bureau sur place, bien avant de cibler ses investisseurs, il est conseillé d’y faire plusieurs séjours afin d’y engranger les conseils, de rencontrer les entrepreneurs présents sur place depuis plusieurs années et de s’y constituer un carnet d’adresses. Présente à  New York depuis le début de l’année 2015, Hannah Oiknine, la jeune entrepreneure conseille de se renseigner « auprès de BPIfrance qui créé beaucoup d’événements autour de la French Tech »,  comme l’organisation, fin juin, de la French Touch Conference à New York.  « Il faut savoir se  montrer patient  », conseille Benoît Buridant, dirigeant de French Founders. « Trouver le bon timing à la fois en termes de business et de développement de l’entreprise se prépare très en amont, d’autant que comprendre la logique de l’administration américaine ne va pas de soi. C’est pourquoi nous proposons l’accès à un réseau qui permet de croiser les expériences notamment en fonction du secteur d’activité. Ceux qui réussissent le mieux font des navettes régulières pendant un an », avancet-il. « J’ai fait le French Tech Tour, dit Rachel Delacour de Bime Analytics. Cela m’a été très bénéfique parce qu’en deux jours, on comprend mieux. On devient beaucoup plus à l’aise, et cela donne un panorama à 360 degrés sur les difficultés que l’on peut rencontrer lors de son installation », soutient-elle. Certains incubateurs comme EuraTechnologies à Lille organisent régulièrement des voyages d’études, pour permettre aux entreprises de se frotter à l’Amérique à moindre coût : « Depuis 2008, nous avons un bureau à San Francisco et nous avons envoyé plus de vingt entreprises qui y sont encore pour certaines, et y développent du business  », explique Raouti Chehih, directeur général d’EuraTechnologies. Pour les autres, il y a la solution de location d’espace de coworking, telle la plate-forme wework.com, proposant de Los Angeles à Boston, en passant par Austin, des espaces de location de bureaux ou salle pour une durée de quelques heures. 

Afin de perdre le moins de temps possible, Rachel Delacour a recruté des gens du cru dès sa décision prise d’installer un bureau outre-Atlantique. Aujourd’hui, composée de 15  personnes, son équipe s’est constituée autour d’un noyau américain. « Nous avons fait le choix de prendre le temps de chercher de bons managers locaux qui connaissent la culture administrative et business, conseille la dirigeante. En travaillant directement avec des Américains, nous avons pu nous montrer opérationnels de façon efficace. » 

  1. Combien ça coûte ? 

S’installer aux Etats-Unis coûte, dans un premier temps, de nombreux voyages destinés à se familiariser avec l’environnement économique local. BPIfrance, de son côté, propose des prêts de développement à l’export pour des montants allant de 30 000 à 5 millions d’euros, remboursables en sept ans, sans caution personnelle, ni garantie. « Le cash burn est considérable »,  convient Rachel Delacour. 

Raouti Chehih complète : « La priorité est d’avoir un produit et un service déjà éprouvé en France et en Europe, de faire du chiffre d’affaires, d’avoir déjà levé de l’argent, et d’avoir du cash disponible car, contrairement à ce que l’on peut penser, ça coûte beaucoup avant de rapporter… Tous les entrepreneurs français que nous avons rencontrés là-bas, nous disent que le “set-up fee” est d’environ 500 000 dollars.  Enfin, il faut décider d’y passer du temps en s’engageant sur dix-huit mois, et cet engagement doit en priorité venir du fondateur ou du directeur général. » 

  1. New York et San Francisco  sont-elles des destinations incontournables ? 

Frédéric Salles est catégorique  : « New York  et San Francisco sont deux destinations obligatoires  si l’on veut réellement saisir le dynamisme  américain. Sachant que l’Etat de New York investit de plus en plus pour attirer les sociétés en rapport avec les nouvelles technologies, nous avons fait le choix d’installer Matooma North America à New York. » New York, c’est la ville où certains envisagent d’être introduits en Bourse, au Nasdaq, à l’instar de Teads (publicité). « New York, c’est une évidence, près de la moitié du marché mondial de la publicité et des médias s’y trouve », explique Loïc Soubeyran, l’un des dirigeants de l’entreprise aujourd’hui domiciliée au Luxembourg.

San Francisco ? Le paradis de la Tech ! La Silicon Valley et ses réussites en forme de valorisations record – 9 milliards de dollars pour Lending Club fondée en 2006 par le Français Renaud Laplanche – font également tourner les têtes… Mais avec 9 ou 10 heures de décalages horaires avec la France et des voyages coûteux, la Californie n’est pas la solution la plus simple pour travailler en symbiose avec la France. 

Certaines entreprises ont donc fait un autre choix. C’est donc à Kansas City dans le Missouri que Bime Analytics a installé son équipe. « Nous travaillons dans le cloud. Donc, on peut vendre de partout, et assurer le service de partout, résume Rachel Delacour. Nous  avons voulu reproduire ce qui a fonctionné en France. Nous sommes installés à Montpellier, pas à Paris.  Dès lors, pourquoi s’installer là où tout le monde se trouve déjà ? » Ainsi, l’entrepreneure affirme avoir trouvé sur place plus de candidats qu’elle n’en aurait probablement eus à New York ou San Francisco. « J’ai reçu très rapidement 80 curriculum vitae alors qu’à New York, noyé dans la masse, nous aurions eu beaucoup plus de mal à recruter des collaborateurs fidèles. » 

Ainsi Kansas City, à l’instar d’autres villes,  cumulerait notamment les avantages de permettre à l’entreprise de réaliser des économies de loyer, de billets d’avion, de permettre aux employés un salaire offrant une meilleure qualité de vie,  et un accompagnement suivi de la part des  autorités locales. Autre avantage : le décalage  horaire de six heures donne la possibilité de  travailler pendant une demi-journée en direct avec la France.

Des relais à connaître

French Founders

La communauté business de dirigeants français et de fondateurs d’entreprises à l’étranger est installée à San Francisco et New York. Elle met en relation des entrepreneurs en quête de clés de compréhension de leur marché, de partenaires. Ce réseau d’entraides est devenu un interlocuteur incontournable aux yeux de la communauté business hexagonale en quête d’aventure américaine. www.frenchfounders.com Tél. : 01-84-14-29-75 / +1 646-982-0882

BPIfrance

La Banque publique d’investissement organise depuis deux ans le concours ubi i/o. Il permet aux huit entreprises développant une technologie sélectionnée de passer dix semaines d’accélération dans la Silicon Valley. L’idée : venir aux Etats-Unis avec une technologie, et en repartir avec un produit. La sélection est effectuée non pas par BPIfrance, mais par un jury d’entrepreneurs américains.
Euratechnologies Le pôle d’excellence dédié à l’économie numérique dans la métropole lilloise organise des voyages d’études à l’attention des entreprises de son territoire. Doté d’un bureau à San Francisco, l’incubateur permet la location d’espace en coworking, et l’appui sur un réseau de partenaires locaux. www.euratechnologies.com

Myexperteam

Installée près de Montpellier, cette plate-forme de conseil collaboratif met en lien des entrepreneurs français désireux d’être mis en relation rapidement avec un expert (présélectionné par myexperteam et évalué par les entrepreneurs) sur le secteur souhaité. www.myexperteam.com

Wework

Cette entreprise propose des locations d’espaces de coworking à l’heure dans tous les États-Unis. www.wework.com

Frenchmorning

Ce site d’information dédié aux Français expatriés aux Etats-Unis délivre régulièrement des actualités sur les entrepreneurs français installés outre-Atlantique. www.frenchmorning.com