« AXA a mis la simplicité au cœur de sa stratégie et elle se retrouve dans notre système d’information »

 

Philippe Kurzweil, Deputy CIO d’AXA France, explique comme l’ambition de simplifier les métiers de l’assurance est appliquée par l’ensemble « Transfo et Tech » de l’organisation, notamment autour de deux programmes ambitieux.

 

La complexité des systèmes d’information des grandes organisations peut entraver les transformations numériques qu’elles mènent. Comment votre entreprise aborde-t-elle cet enjeu ?

 

AXA a mis la simplicité au cœur de sa stratégie. Et cette notion dépasse le seul cadre du système d’information. Elle part du constat que la simplicité est l’un des enjeux majeurs dans notre industrie de l’assurance, car la complexité inhérente de notre métier est souvent perceptible de l’extérieur pour nos clients. Quand on écoute nos équipes en interne également, c’est une préoccupation de premier plan : l’expérience sur les postes de travail et au niveau des espaces clients est comparée avec celle proposée par les plateformes les plus modernes du web. Et on le sait, une symétrie des attentions est nécessaire en la matière : pour que les clients soient bien servis, il faut aussi parfaitement s’occuper de nos collaborateurs. « Axa Simplement » est en ce sens une vision stratégique portée au plus haut niveau : elle est incarnée par Guillaume Borie, directeur général d’Axa France, et au niveau du Comité exécutif et du Forum, qui regroupe le top 100 des managers de l’entreprise, pour modéliser cette prise en compte de la simplicité et agir à tous les niveaux de l’organisation.

 

Comment cela se décline-t-il côté IT ?

 

Notre ensemble « Transfo et Tech » est plus qu’une DSI : son mandat est d’aider sur les grands sujets de transformation, notamment pour transversaliser les activités d’assurance historiquement silotées. La stratégie de simplicité se décline principalement autour de deux facettes. D’abord, le programme « KISS », pour « keep it super simple ». Il se concentre sur les enjeux du poste de travail, afin de coller au plus proche des usages des utilisateurs et organiser une fabrique industrielle pour traiter tous les irritants, avec des campagnes pour gérer le « stock » de problèmes identifiés. Nous avons une responsable de programme qui porte spécifiquement cette mission. En complément, nous avons le programme « Tous architectes » que je porte au sein du Forum, et mené par notre Chief Architect. Il consiste à faire comprendre les grandes batailles de la transformation globale de notre système d’information, à toutes les parties prenantes de l’entreprise, afin que l’enjeu d’architecture soit partagé avec les métiers. Cela demande beaucoup d’acculturation car l’idée est d’avoir une approche partenariale, qui ouvre la voie à une copropriété du système d’information, essentielle pour les années à venir. Il nous faut un cadre de dialogue, une « burning platform » (c’est-à-dire un sentiment d’urgence poussant à remettre en cause le statu quo, NDLR), qui permette de partager notre situation, les défis d’avenir, les ressources et investissements nécessaires pour les grands programmes… Derrière la simplicité, nous faisons toujours comprendre que la finalité c’est l’efficacité, la résilience et une grande qualité d’expérience utilisateur.

 

Concrètement, en quoi consiste ce programme ?

 

Tout repose sur le fait de partager des principes d’architecture clairement nommés autour de trois batailles. La première, c’est la rationalisation du système d’information ; la seconde c’est « l’orientation data » ; la troisième c’est l’industrialisation. Derrière chaque bataille, il est évidemment question de sujets technologiques. Pour embarquer les métiers, nous avons donc mis en place une communication spécifique, qui leur parle et qui est reliée à des leviers de différenciation auxquels ils sont attachés : efficacité, rapidité, expérience utilisateurs. Par exemple, pour la rationalisation du SI, nous avons diffusé un slogan : « Pas d’usage, ça dégage ». Il résume le plan de décommissionnement qui doit permettre d’agir sur notre patrimoine de 500 applications. Dans le cadre de notre plan stratégique 2024-26, celui-ci doit en effet baisser de 20%. Très concrètement cela veut dire que chacun doit faire le tour du propriétaire, pour déterminer ce dont on ne peut pas se passer, et participer activement au décommissionnement. Autre principe de rationalisation : « un besoin, un seul outil ». Nous ne voulons pas d’un CRM différent pour chaque métier. Idem pour un outil de souscription d’une assurance donnée, que ce soit dans le cadre d’une vente en ligne ou dans une agence physique. Historiquement certains composants ont été verticalisé dans nos métiers et cela a créé des complexités, par exemple de mise à jour de règles, avec des coûts associés.

 

 

Qu’en est-il de la bataille sur la data ?

 

Cette bataille recouvre aussi aujourd’hui les enjeux d’intelligence artificielle et plus spécifiquement de « l’agentic AI ». Dans les transformations digitales qu’a connues l’entreprise, nous avons toujours eu une très forte influence de « l’UX » pour dessiner les projets et programmes. Mais dans la révolution IA que l’on connaît actuellement, bien plus rapide que la précédente, tout doit commencer par un questionnement profond sur la source des données et leur consommation. Cela veut dire qu’il est nécessaire de s’orienter à partir du parcours de la donnée plutôt que directement du parcours des utilisateurs. Ce paradigme implique d’avoir des « consommacteurs de la donnée » : qu’il soit issu de la tech ou des métiers, chacun doit se préoccuper de la data. En effet, si ce sont les actuaires qui s’occupent des tarifs pour les produits d’assurance, les moteurs de règles étaient traditionnellement toujours tenus par l’IT. Or, avec un bon choix d’architecture, il est possible de découpler l’injection de données dans le système et le fait que les métiers aient la main pour être autonomes sur l’algorithme de calcul. Cela change tout pour transposer la règle en code. Nous sommes passés de délai de deux mois à moins de deux semaines : un véritable révélateur d’impact pour les métiers. Les principes que l’on donne doivent permettre d’amener des transformations aussi fortes dans les prochains mois, pour cadrer la révolution de l’agentic AI.

 

Et la troisième bataille ?

 

C’est donc celle de l’industrialisation. L’objectif est de sortir des réflexes de développements spécifiques qu’ont souvent les équipes tech vis-à-vis des éditeurs. Nous devons en ce sens clarifier les objets d’architecture et bien les séparer. La « customisation » ne fait souvent plus de sens d’un point de vue économique : vous payez de la maintenance supplémentaire et les montées de versions sont à la peine. Il est donc essentiel d’avoir une « cote d’alerte » sur l’emploi des progiciels, pour éviter cet accroissement progressif de la complexité.

 

Comment ce programme a-t-il été accueilli par les collaborateurs ?

 

Nous avons bien conscience que l’on ne devient pas tous architecte du jour au lendemain. Des étapes claires sont nécessaires : il faut par exemple que les architectes eux-mêmes soient tous bien alignés pour créer un effet d’entraînement. Ensuite, parler le même langage avec les métiers et bien modéliser le sujet grâce à des exemples clés, est obligatoire. Avoir des « flagship » qui ont du sens pour toute l’entreprise et un sponsor au niveau du comité exécutif qui s’empare des sujets est le meilleur moyen pour fédérer. En termes de gouvernance, cette approche nous a amenés à créer également un sous-ensemble du comex, le comité stratégique techno, au sein duquel siège le Directeur Transformation & Technologie d’AXA France Christophe Vermont, aux côtés des directeurs généraux délégués d’Axa France, le CFO, le directeur de la Distribution et celui de l’IARD. C’est avec eux que l’on coconstruit toute la démarche : or ils étaient peu acclimatés aux sujets de l’architecture au départ ! Mais leur regard sur le sujet nous a permis de définir comment capter l’intérêt de tous.

 

De quelle façon ce travail de simplification a-t-il un impact sur votre relation avec vos partenaires technologiques ?

 

Le dialogue peut être assez complexe, d’autant plus que les lignes bougent avec l’IA générative : beaucoup d’acteurs font évoluer leur activité et leurs modèles… On le voit bien chez les champions du CRM, dont les outils veulent aller maintenant bien au-delà de leur périmètre initial, et donc se rattacher à d’autres éléments du SI et de l’activité de l’entreprise. C’est une complexité supplémentaire pour l’architecture de la donnée. Dans quel cas faut-il envoyer de la donnée vers un progiciel ? Qui en garde la maîtrise in fine ? Comment éviter la duplication ? Le but des éditeurs est d’être le plus englobant possible en proposant des services à valeur ajoutée (IA générative, agentique) et en captant la donnée. Donc la discussion est stratégique, car à la fin nous sommes responsables de nos choix sous le regard du régulateur. Par ailleurs, avoir une stratégie « numérique responsable » crédible dépendra aussi beaucoup des choix faits en matière d’architecture et de données pour viser un maximum de frugalité et un usage responsable. Derrière la logique de simple « consommateur de la donnée », nous préférons donc celle de producteurs : dans la conception de nos produits de demain, un catalogue et un portail permettent d’accéder aux données avec des interfaces efficaces, munies d’un « datascore » pour qualifier la fraîcheur des données, leur disponibilité et les usages concernés. Nous sommes donc lucides sur nos choix « make or buy » : nous avons en tout cas besoin de modularité et de maîtriser nos données pour tenir notre vision et c’est à nous d’être proactifs pour y parvenir.