Les nouvelles frontières d’Imaginove

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« The Crew », jeu de voiture, multijoueur et 100 % connecté, édité par Ubisoft et créé avec le studio lyonnais Ivory Tower.

Recentré sur les contenus et les usages, le pôle de compétitivité cultive ses convergences numériques. Sans négliger ses compétences dans l’image, au sens large.

C’est une ardoise magique qui permet de donner une existence numérique à des créations faites sur papier. Grâce à un aimant, une bague universelle, qui peut se glisser sur n’importe quel stylo pour le transformer en objet connecté à une tablette tactile. Cette technologie issue de quatre ans de travaux de R&D menés en collaboration avec le CEA-Leti ouvre de nouvelles interfaces homme-machine 3D très précises, au millimètre près.

Un revirement paradigmatique

Pour Jean-Luc Vallejo, patron de la start-up grenobloise ISKN : «Nous sommes à l’aube d’un changement de paradigme, celui de l’ouverture du monde numérique à notre monde physique. Désormais, il va être possible d’agir naturellement dans le digital en manipulant toutes sortes d’objets de notre quotidien.» Preuve de l’intérêt suscité par cette innovation, présentée lors d’un Talent Day, organisé par le pôle Imaginove, ISKN a pu boucler fin octobre 2014 une levée de 1,8 million d’euros. Ceci avec le soutien du fonds d’amorçage ATI de CEA Investissement et de Kima Ventures, ce dernier a été lancé par Xavier Niel et Jérémie Berrebi, après avoir suscité l’engouement des internautes sur la plate-forme de crowdfounding Kickstarter.

ISKN est pour Olivier Tomat emblématique de ce « revirement paradigmatique » qui ébranle la sphère économique, au coeur des activités d’Imaginove, le pôle de compétitivité qu’il dirige depuis juin 2014. Centré originellement sur l’image, les jeux vidéo, l’audiovisuel, le cinéma et le cinéma d’animation, Imaginove se consacre, aujourd’hui, aux contenus et aux usages numériques en s’appuyant sur ses compétences et expertises initiales qu’il entend diffuser vers d’autres marchés applicatifs comme la santé et le vieillissement, la ville intelligente et la mobilité, la robotique et les objets connectés, l’e-éducation. En matière de robotique, sans vouloir empiéter sur ce que fait le pôle Via- Méca dans le « hard », Imaginove se penche sur la question des usages. Avec des roboticiens, des ensembliers, des spécialistes de jeux vidéo, de l’e-santé, a été créé un think-tank hébergé par Imaginove pour réfléchir à ce que sera le futur.

Symptomatique de cette évolution : les jeux vidéo. Pour Olivier Tomat, le storytelling qui entoure cette filière est parfois réducteur. «On présente souvent le jeu vidéo à Lyon comme ayant eu son heure de gloire
avant de s’effondrer. Or, constate le directeur d’Imaginove, quand on regarde en détail la réalité de cet écosystème, il est encore foisonnant, avec de vrais succès entrepreneuriaux et industriels, et des boîtes fantastiques comme Arkane Studio et Ivory Tower.»

The Crew est pour beaucoup d’observateurs de la vidéosphère le succès international de l’année 2014. Ce jeu de course communautaire, qui invite à une « expérience de conduite inédite », est la création du studio lyonnais Ivory Tower, fondé par des « vétérans » de cette industrie, en partenariat avec Ubisoft Entertainment. Après avoir contribué au succès de plusieurs franchises mondiales comme V-Rally et Test Drive Unlimited (édités chez Atari/Infogrames), les fondateurs de cette société discrète ont signé un partenariat d’exclusivité avec l’éditeur français pour le lancement de ce jeu. L’univers gothique de Dishonored a lui été développé par les équipes lyonnaise et texane d’Arkane Studio, société intégrée depuis 2010 au groupe américain ZeniMax Media. Une approche biculturelle gagnante. D’autres studios intermédiaires sont en pleine mutation à l’image du villeurbannais Artofact qui réfléchit à devenir éditeur.

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Des desseins animés

L’autre marque de fabrique d’Imaginove est l’image animée. La dix-septième édition de Cartoon Movie, début mars à Lyon, a été l’occasion pour TeamTO de présenter son dernier longmétrage d’animation 3D, Gus. Sorti le 4 février sur les écrans français, ce petit oiseau a déjà attiré plus de 250 000 spectateurs. A Lyon, le patron du studio parisien, Guillaume Hellouin, a pu rencontrer des partenaires potentiels pour assurer le rayonnement international de sa dernière production. Gus est le premier film d’animation du TeamTO intégralement réalisé en France, principalement dans les locaux de la Cartoucherie à Bourg-lès- Valence. Alors qu’elle sous-traitait auparavant une partie de ses tournages en Roumanie, en Inde ou en Chine, la société parisienne a relocalisé toutes ses activités en France pour des questions financières et fiscales, et de qualité. Dans la Drôme, elle peut puiser en particulier dans le vivier de la Poudrière, «la seule école au monde qui forme des réalisateurs de film d’animation», selon Guillaume Hellouin, le père spirituel d’Angelo la débrouille (vendu dans 140 pays). Pour accompagner son développement, TeamTO participe même au financement de l’extension de la Cartoucherie qui lui permettra de porter ses effectifs à près de deux cents personnes dans la Drôme.

ScreenHunter_172 May. 11 10.53 La réussite valentinoise de TeamTO illustre la bonne santé économique du cinéma d’animation en Rhône-Alpes. Une soixantaine d’entreprises relèvent de cette filière régionale qui représente environ 10 % de la production française. Cette dynamique ne s’essouffle pas. Cofondateur du studio Folimage, autre pilier de la Cartoucherie, Pascal Le Nôtre a créé une nouvelle société. Foliascope a entrepris de réaliser son premier long-métrage, L’armée des lapins, après le succès de la série Polo diffusée sur Canal+. Un projet de 3,8 millions d’euros, dont le tournage devrait débuter en 2016 et faire travailler trente personnes pendant un an dans la Drôme.

L’écosystème régional de l’image animée repose sur deux autres piliers : Pixel, à Villeurbanne, qui héberge actuellement le tournage de Ma vie de courgette coproduit par la société lyonnaise Gebeka Films ; la Cité de l’image en mouvement (Citia) qui s’est développée dans le sillage du festival d’animation d’Annecy. Quelque 281 entreprises (1 210 emplois), studios d’animation, créateurs de jeux vidéo, de serious games, d’images numériques, d’édition de logiciels, sont recensées en Haute-Savoie. Ce pôle va être prochainement renforcé par l’ouverture d’une pépinière d’entreprises, d’espaces de coworking dédiés, de logements temporaires pour intermittents, dans les anciennes papeteries de Cran-Gevrier (photo).

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Le futur pôle de l’image dans les anciennes papeteries de Cran-Gevrier, dans la banlieue d’Annecy, sera opérationnel à l’automne 2015.

Des convergences numériques

Le pôle annécien et la dernière édition de Cartoon Movie démontrent également que les passerelles se multiplient avec les créateurs de jeux numériques et vidéo qui retrouvent des couleurs avec de nouveaux acteurs comme studio Pango qui fait un carton avec ses applis de jeux pour tout-petits en France et en Europe, mais aussi aux Etats-Unis et en Asie. A l’origine de ces jeux et livres numériques, quatre anciens élèves de l’école de dessin lyonnaise Emile Cohl, rejoints par un coach, Christian Larger, qu’ils ont coopté à la présidence de leur société en décembre 2013. Leur réussite : avoir créé de véritables « jouets numériques », sans règle, ni but précis, qu’un enfant peut explorer et interrompre à sa guise.

Dès le départ, ces jouets ont été conçus pour avoir une destinéeScreenHunter_173 May. 11 10.53 internationale. En octobre 2013, un programme de relations publiques établi avec l’agence Saatchi & Saatchi a ciblé des médias grand public et des bloggeurs influents dans une douzaine de pays. Pour financer son développement, Studio Pango a décroché le soutien de Microsoft qui en échange d’une exclusivité de trois mois pour un jeu leur a octroyé une aide de 20 000 euros. Autres appuis précieux, ceux du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui a accordé 40 000 euros et d’Olivier Ginon, patron de GL Events, qui héberge Studio Pango dans son nouveau siège lyonnais.

Selon l’observatoire régional créé en 2013 par le pôle de compétitivité Imaginove, la filière régionale de l’image animée regroupe globalement 1 370 entreprises, quelque 11 000 personnes. Plus du double qu’en 2008 ! Loin devant son homologue charentais autour du pôle Magelis à Angoulême, mais très loin derrière l’Ilede- France. Cette bonne santé s’explique par le développement de nouveaux contenus pour de nouveaux supports, tablettes et smartphones, et par la multiplication de petits studios créés par d’anciens salariés issus de sociétés de jeux vidéo.

Autre facteur d’attraction : l’existence d’une offre de formation spécialisée, la présence d’écoles renommées comme une antenne des Gobelins à Annecy, l’école européenne de film d’animation La Poudrière à Valence ou l’école Emile-Cohl à Lyon. Cette dernière qui tire son appellation du pseudonyme d’Emile Courter, l’un des inventeurs du dessin animé, forme chaque année une cinquantaine de diplômés très recherchés par les studios d’animation américains, des sociétés de jeu vidéo ou de bande dessinée.

Cette convergence des contenus et des usages numériques, Imaginove entend la cultiver avec d’autres pôles de compétitivité et clusters. En janvier, Imaginove a participé sous la même bannière avec Minalogic et le cluster Edit au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, avec vingt-deux sociétés rhônalpines et auvergnates. Imaginove est aussi de l’aventure de Lyon French Tech. «Ce qui est important, ce n’est pas tant l’argent qui en résultera que la dynamique créée par cette labellisation», remarque Olivier Tomat qui entend prolonger cet « élan fédérateur » au sein de la Halle Girard. Le futur lieu totem de la French Tech lyonnaise a vocation à booster l’écosystème numérique régional, une filière qui représente déjà un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros et 54 000 emplois.