Yves Caseau : « La robotisation et l’IA créent des opportunités nouvelles »

Ce 7 mars, G9+* organise sa rencontre annuelle (Cycle RH) autour de la problématique du « Travail 4.0 ou la révolution numérique de l’emploi ». En ouverture de l’événement, Yves Caseau revient sur sa vision d’un monde envahi par les robots et les systèmes intelligents. Entretien.

CASEAU Yves

Yves Caseau, membre de l’Académie des Technologies, membre de l’Académie catholique de France, directeur de la Digital Agency du Groupe AXA depuis 2014

Alliancy. Le travail demain face à la robotisation et l’intelligence artificielle, vous vous dites : prudence, risque ou complémentarité ?

Yves Caseau. Il y a un vrai risque ! Le débat en ce moment se situe surtout entre les études qui ont pu annoncer jusqu’à 47 % des emplois menacés aux Etats-Unis par exemple par l’automatisation… Depuis, l’OCDE ou d’autres ont revu ces données un peu à la baisse. Le « Quand » n’est pas évident, mais le nombre d’emplois qui seront touchés sera important. Ce qui n’est pas facile à définir est la vitesse à laquelle les choses vont évoluer. Ce n’est pas du tout linéaire comme progrès…

C’est-à-dire ?

Yves Caseau. La robotisation et l’IA vont permettre de construire des opportunités nouvelles. A long terme, c’est plutôt complémentarité et opportunité de faire mieux et d’aller plus loin, c’est un progrès. Mais, la vitesse à laquelle on peut substituer des emplois versus la vitesse à laquelle on peut créer de nouvelles opportunités ne sont pas forcément les mêmes et rien nous garantit que cela marche dans le bon sens. C’est pour cette raison que c’est un bon sujet de débat public.

Quelles tâches seront les plus touchées et quelle place restera-t-il pour l’humain dans ce monde où tout devient interconnecté et intelligent ?

Yves Caseau. Ce sont ni les plus simples, ni les plus complexes ! Ce sont celles pour lesquelles ce que l’on cherche à faire est bien défini. Cela peut être du travail d’expert, comme du travail très simple. Et cela on le voit bien désormais, car on a déjà des exemples. Le deep learning par exemple a besoin d’une énorme quantité de données pour s’entraîner, que ce soit dans le médical ou la finance, où le problème posé peut-être bien défini. Ainsi, chaque fois que ce sera le cas, ce sera rapidement automatisable. Et cela même si ce sont des emplois de haute technicité. A l’inverse, des travaux très variés où l’apprentissage se fait plus difficilement seront moins vite automatisés.

Comment voyez-vous l’homme évoluer dans un tel système ?

Yves Caseau. Il lui reste deux choses. Clairement tout ce qui est interaction humaine et cela pour encore longtemps, voire très longtemps. Et il reste aussi tout ce qui est, en référence au livre de Daniel Pink [L’Homme aux deux cerveaux], le sens de l’histoire, la créativité, la mise en relation, le savoir jouer avec les émotions… Tout cela va rester pour longtemps dans le domaine du travail humain et c’est plutôt une bonne chose.

Faudra-t-il compter seulement sur les emplois de services ? A l’image de ce que l’on connaît déjà ou seront-ils différents ?

Yves Caseau. Oui, mais ils seront différents. Dans le monde de demain et des plateformes extrêmement intelligentes, la plupart des métiers d’interactions, même simples, peuvent être développés. L’évolution vers l’économie quaternaire, qui permet d’apporter des services personnalisés sur le lieu précis où ils sont nécessaires, comme le rappelle Michelle Debonneuil, est fort logiquement liée au progrès des TIC.

Face à ces vagues d’automatisation nouvelles qui se profilent, n’assiste-t-on pas à une révolution des modèles et non à une évolution comme on l’a vécue jusqu’à présent ?

Yves Caseau. C’est le sujet de notre travail à l’Académie…. L’IA est-elle une évolution ou une révolution ? L’IA est une évolution très mouvementée, avec une accélération très forte qui s’est produite entre 2012-2015, suivie de secousses secondaires actuelles. L’ensemble des secteurs sera concerné. On va voir apparaître ces technologies d’automatisation, d’apprentissage, de machine learning, d’IA, un peu partout. C’est-à-dire dans les processus de fabrication, dans les processus de commandes… dans tout ce qui est transaction ou calcul. Et, de ce fait, l’interaction humaine sera de plus en plus valorisée. C’est ce qui sera créateur de valeur pour le client.

Croyez-vous que, demain, nous serons majoritairement tous freelance ou autoentrepreneurs ?

Yves Caseau. Le CDI n’est pas fini, mais leur nombre sera fortement réduit. En revanche, on voit apparaître de plus en plus le travail en mode freelance, en mode projet. Cela continuera car il y a une vraie logique de la part des entreprises et une demande de la part des jeunes notamment. Par contre, tout ce qui est digital ira vers la concentration, vers les plateformes, donc il y a aura moins d’emplois de ce côté-là… A l’inverse, localement, cela peut créer plus d’opportunités pour une multiplicité d’acteurs.

Et concernant l’autoentrepreneur ?

Yves Caseau. A la différence du freelance, l’autoentrepreneur porte un risque. C’est pour cela que je soutiens l’idée d’un revenu universel, pas du tout en mode RSA… mais en prime qui permette à des gens qui ont un savoir-faire, une passion, une activité qui ne serait pas rentable… de le devenir. Ce revenu universel serait un facilitateur pour les gens d’aller explorer des activités locales, moins rentables et qu’il faut donc soutenir. C’est un peu l’idée de l’emploi d’intermittent du spectacle. Avec un coup de pouce, on pourrait permettre à plus de gens de vivre localement de leur passion. Cela permettrait de compenser le déclin probable du salariat… Il y a moyen de construire un projet de société où la technologie cohabite avec un monde local et plutôt humain.

 « L’automatisation des emplois peut commencer
par du travail d’expert, comme du travail très simple. »

En cette année d’élection présidentielle, quel rôle attendriez-vous du politique au sens large pour adapter les institutions à ces nouveaux défis ?

Yves Caseau. Je ne crois pas du tout à l’action des entreprises pour gérer ces évolutions. Ce n’est pas la loi du marché qui nous apportera des solutions. On a besoin d’une régulation sociétale pour savoir comment on y va… Il faut éviter trop de casse. Et là, je crois à l’action des Etats, qui représentent une société. Avant tout, c’est un choix de société.

Et on le fait comment ?

Yves Caseau. Tout d’abord, il faut que les politiques prennent conscience qu’il y a un risque. Tout va très vite aujourd’hui et trop de gens se retrouvent en dehors du marché du travail. Ensuite, il faut être lucide : il y a des sujets pour lesquels la régulation est mondiale et d’autres, où elle doit rester locale. Par exemple, « taxer les robots », ce n’est pas une bonne idée. Si on le fait en France, ils seront mis ailleurs, là où ils ne seraient pas taxés. En revanche, « mettre une taxe carbone »… peut être fait pour protéger une activité locale, non concurrente avec les Chinois par exemple. Mais eux aussi sont également très touchés. Ce nouveau monde de l’automatisation peut être fait n’importe où – c’est la bonne nouvelle –, mais quoi qu’il en soit, ne génère que peu d’emploi – c’est la mauvaise nouvelle pour nous tous.

Aussi, quelle est la solution ?

Yves Caseau. Il faut d’une part préserver les emplois que l’on a, mais pour en créer d’autres, nous devons être créatifs… D’où l’idée d’un revenu universel… En fait, tout ce qui favorise l’auto-entreprenariat est bon à prendre et doit être fait. Le monde qu’il faut créer est un monde plus humain, offrant plus de services à la personne, dans lequel l’Etat a un rôle clé à jouer en changeant les règles du jeu, en créant de la valeur sociétale. Mais cela, les politiques ne l’ont pas encore compris… Pourtant, si on fait de la politique à vingt ans, il faut absolument le prévoir.

  * G9+ fédère plus de 50 000 anciens élèves des plus grandes écoles et universités de France, y compris à l’international.

 

Pour aller plus loin :

 1/ Retrouvez la centaine de contributions d’experts sur notre plateforme « Vive et travailler en 2030 »

 2/ Luc Bretones (G9+) : « Plaçons le numérique et ses enjeux au cœur de la stratégie de l’Etat français »

 3/ Le futur du travail et la mutation des emplois, par Yves Caseau