Modèle SaaS, l’heure de la mue

Le mode SaaS – Software as a Service – poursuit son ascension dans le monde du logiciel. Les éditeurs, qui souhaitent prendre la vague, doivent s’attendre à des changements profonds. A tous les niveaux de leur organisation.

 

Alliancy - Modèle SaaS, l'heure de la mue

En 2020, le niveau de dépenses SaaS – ce concept qui fait du logiciel non plus un produit à acheter, mais un service à louer via le Web – s’élèvera à près de 60 % de la dépense logicielle globale, selon le cabinet Pierre Audoin Consultants. Autrement dit, en moins d’une décennie, le Software as a Service sera devenu l’équivalent, à part entière, de la traditionnelle licence.

Ce concept du SaaS s’est réellement développé au tournant du XXIe siècle. En 2000, il était question d’ASP (Application Service Provider ou fournisseur d’applications hébergées). Aujourd’hui, le SaaS s’inscrit dans le cadre plus large des services cloud. Dans tous les cas, les impacts sont nombreux pour les éditeurs qui doivent évoluer vers ce modèle. En 2012, 60 % d’entre eux admettent enregistrer un revenu lié à la souscription supérieur à 10 % de leur chiffre d’affaires*. Ils n’étaient que 30 %, deux ans auparavant.

Mais pourquoi changer ? Si la licence conserve sa pertinence dans des domaines où les données sont très sensibles, sur d’autres marchés, comme les solutions métiers de type CRM (Customer Relationship Management, gestion de la relation client), le risque est grand pour un éditeur traditionnel de se faire distancer par de nouveaux entrants pure player du SaaS (voir l’ascension de Salesforce.com). Les offres de ces derniers sont souvent beaucoup plus souples et dynamiques, et s’adaptent bien à un contexte économique tendu où la flexibilité est devenue une priorité.

Une culture d’entreprise spécifique

« Le passage en mode SaaS peut paraître impressionnant et synonyme de difficultés. Il est plus profond qu’un changement de business model. C’est un projet d’organisation de l’entreprise à part entière », résume Olivier Rafal, principal consultant marché logiciels chez Pierre Audoin Consultants. Ce changement concerne autant l’émergence d’une culture d’entreprise spécifique, que le développement de l’offre (les rythmes de sorties de versions sont accélérés et harmonisées entre les clients) et l’évolution de sa commercialisation, ou encore les enjeux stratégiques de l’hébergement.

 

Le passage au mode SaaS implique, pour l’éditeur, de prévoir une conduite du changement millimétrée. Fabrice Jarry, PDG de Nomalys, éditeur d’une solution graphique mobile, parle de « l’apprentissage de changements radicaux ». Pour lui, un acteur qui prépare son passage au SaaS en se concentrant uniquement sur la technologie, finira par se rendre compte trop tard qu’il est passé à côté d’un « aspect culturel » fondamentalement problématique. « J’ai pris conscience que le SaaS nécessitait avant tout une culture d’entreprise, explique-t-il, en insistant sur l’effort de pédagogie et de formation. Pour ne pas risquer l’échec, il faut prévoir et encadrer les réactions de ceux qui auront du mal à s’emparer des nouvelles logiques du SaaS. »

Jean-Baptiste Dumont partage cet avis. Directeur général de Planon Site Alpha, cet éditeur spécialisé dans la gestion technique immobilière a évolué vers l’ASP dès 2002. Six ans ont été nécessaires à son entreprise pour obtenir une véritable maturité sur le sujet : « Nous pensions que nous allions pouvoir nous concentrer uniquement sur notre coeur de métier, mais la tâche s’est avérée plus compliquée », se souvient-il. La tentation est en effet forte pour un éditeur de se contenter de dupliquer le modèle traditionnel de la licence en l’associant à une gestion distante de maintenance. Daniel Pusset, directeur associé du spécialiste du covoiturage 7ème Sens, conseille au contraire de ne pas hésiter à intégrer le redéveloppement de l’application dans le business plan de l’entreprise : « Cela a représenté un coût direct, mais il faut en passer par là pour avoir un “retour sur investissement” rapide », détaille-t-il. Chez Planon Site Alpha, « il a fallu changer de stratégie, mais aussi de façon de penser », admet Jean-Baptiste Dumont.

L’hébergement : un métier à part

La culture SaaS recouvre l’obligation d’adapter la commercialisation de son offre logicielle aux réalités du « as a service ». Les équipes commerciales doivent évoluer (lire l’encadré ci-contre), mais l’éditeur doit aussi revoir son argumentaire. Un exercice rendu difficile par la confusion des genres. « Du point de vue duclient final, l’utilisateur, les produits en licence et en modeSaaS sont identiques. Il faut faire prendre conscience del’ensemble des services que l’éditeur développe autour del’hébergement en SaaS », détaille Imad Ben Mariem, directeur général de Datalog Finance, qui édite des logiciels de gestion de trésorerie et de paiements. Ces services offerts par les équipes de l’éditeur regroupent généralement l’exploitation fonctionnelle et technique, qui assure maintenance, qualité de service et réaction rapide en cas de problèmes.

Le « Software as a Service » fait donc la différence… au niveau des services. Dès lors, la relation entre l’éditeur et l’hébergeur apparaît comme une clé de voûte stratégique pour s’assurer de la satisfaction du client. « L’hébergement est un métier à part entière. Un éditeur ne s’improvise pas spécialiste de l’entretien et de la maintenance d’un site de serveurs », rappelle Jean-Baptiste Dumont. Pour assurer un service impeccable à son client autour de son logiciel, l’éditeur doit donc se reposer sur un prestataire. Vu les enjeux et la réactivité nécessaire, il a tout intérêt à consolider son partenariat. « C’est une relation de confiance qu’il faut construire, car l’éditeur doit pouvoir se décharger un maximum des questions de sécurité, connectivité, réactivité… », précise Fabrice Jarry.

La stratégie SaaS que construit l’éditeur doit donc intégrer le choix du partenaire hébergeur, qui n’est pas seulement une variable d’ajustement technique. Daniel Pusset résume cet enjeu à sa manière : « Le choix du partenaire conditionne la richesse des options, qui vont permettre à l’éditeur de s’adapter au marché, d’améliorer la qualité de ses propositions et de faciliter ses ventes. » Ce choix permettra non seulement à l’éditeur d’identifier son retour sur investissement, mais aussi de savoir ce qu’il est en mesure de proposer concrètement à ses clients.

* Baromètre Cockpit-Software Business at a Glance 2012, réalisé par l’Association française des éditeurs de logiciels (Afdel).

 

Alliancy - Didier Bonjour - AspawayTrois questions à… 

Didier Bonjour, directeur commercial et marketing d’Aspaway, fournisseur d’applications hébergées

Comment un éditeur peut-il construire un business model autour du SaaS ?

La conduite d’un projet en mode SaaS découle avant tout d’une stratégie d’entreprise. Basculer vers ce nouveau modèle pour surfer sur une tendance ne suffit pas. Une réflexion mûrement aboutie est nécessaire car l’ensemble des directions de l’entreprise va être impacté. Tous les services – fonctionnels, opérationnels et stratégiques – doivent « participer ». Les prérogatives de l’éditeur vont s’étendre au-delà du développement et de l’innovation technologique, il va devenir un prestataire de services.

Quelles questions doit se poser l’éditeur en priorité ?

Les questions préalables sont très pragmatiques. A quelle typologie de marchés s’adresser ? Sera-t-il plus efficace de se concentrer sur une partie de son portefeuille clients, sur une gamme produits ou bien sur un secteur d’activités ? L’éditeur doit fixer ses échéances et tenir compte de la demande des clients pour identifier la valeur ajoutée dont ils vont tirer parti. Faut-il contrer la concurrence en urgence ou peut-il se focaliser sur l’innovation ? En termes de compétences, peut-il dédier entièrement une partie de ses équipes au pilotage du projet ?

Quels conseils donnez-vous aux éditeurs que vous accompagnez ?

Avoir une bonne dose de méthodologie ! Il est primordial de délimiter avec précision les étapes clés du développement de l’offre SaaS. La direction générale doit être le « capitaine » du navire SaaS. Elle doit faire l’effort de dialoguer en permanence avec les directions fonctionnelles, pour bien cerner leurs réactions. Les chantiers demeurent nombreux : forme du contrat, convention de services, lettre de rémunération, fonds de roulement, mise sur le marché… en n’oubliant surtout pas une formation dédiée pour l’équipe commerciale.

 

 

Alliancy - Acteos

Siège social d’Acteos à Roubaix (Nord)

Nouvelle donne commerciale chez Acteos

Acteos édite des logiciels pour le supply chain management depuis 1986. En juin 2009, le comité exécutif décide d’évoluer vers le SaaS en optant pour la polyvalence : les équipes d’avant-vente (25 % des 60 salariés en France) ne se spécialisent pas. La première vente a lieu en avril 2010. Plus de deux ans après, le SaaS représente 15 % du chiffre d’affaires.

Formation. Pas de prestation externe, mais une vraie implication pédagogique de la direction commerciale, y compris lors des présentations. Grâce au travail préalable sur son offre Web, Acteos n’a pas fait de recrutements ad hoc. Le pôle Réseau et Système s’est ensuite étoffé de deux personnes pour répondre à la demande.

Changement. Les équipes proposent deux types de contrats radicalement différents (SaaS et Investissement), mais doivent fournir un travail « administratif » supplémentaire. Les présentations chez le client demandent plus de pédagogie et l’intervention ciblée d’un architecte technique, en parallèle du consultant et du commercial.

Modalités. Deux supports écrits : l’un pour démystifier le SaaS et l’autre pour permettre aux équipes de se projeter en vente ; et un accompagnement du partenaire hébergeur (IBM) sur les aspects juridiques. Prise en compte/valorisation de la mensualisation du revenu sur trois ans pour gérer l’intéressement des commerciaux et valoriser cette récurrence bénéfique pour l’entreprise.