« Les ministres passent, l’administration reste ». Cet adage bien connu est tour à tour utilisé pour stigmatiser un « État profond » souvent fantasmé dans la bouche de certains ou pour saluer la stabilité des institutions malgré les aléas politiques, chez d’autres. Les principaux concernés dans la haute administration, y compris au niveau des directions des systèmes d’information des ministères régaliens par exemple, ne sont pas les derniers à l’utiliser pour souligner le temps long des projets… et parfois la résistance au changement qui va avec. Dans le contexte de la rentrée chaotique de la politique française actuelle, les regards se tournent donc aussi naturellement vers les actions de transformations numériques impulsées ces derniers mois au sein de l’État. En la matière, la direction interministérielle du numérique (Dinum) avait pour sa propre rentrée un rendez-vous de taille : le déploiement à l’échelle au sein du gouvernement de la solution souveraine de communication Tchap.
Sus à WhatsApp
La « messagerie instantanée du secteur public » est officiellement déjà utilisée par 600 000 agents des trois fonctions publiques. Le 1er septembre était cependant une date symbolique puisque c’était l’échéance de la circulaire signée le 25 juillet par le premier ministre François Bayrou qui a pour objet le « Renforcement de la sécurité des communications électroniques par messagerie instantanée au sein de la sphère publique et des cabinets ministériels ». Autrement dit : au-delà des bonnes intentions, la demande est devenue claire cet été pour que les cabinets rentrent dans les rangs. L’instruction est donc d’arrêter l’utilisation de l’application française Olvid, qui devait servir de référence depuis l’époque du Covid. De façon plus réaliste, c’est aussi et surtout une demande nette de mettre fin aux usages de WhatsApp ou Telegram, très appréciés par les collaborateurs ministériels. Alors que les tensions géopolitiques, avec les Etats-Unis notamment, ont largement augmenté depuis la réélection de Donald Trump, les thématiques de maîtrise technologique et de souveraineté ont en effet connu un retour en grâce au cœur de la machine étatique face aux soupçons d’ingérences ou d’espionnage.
Besoin d’un signal fort
Le 26 août dernier étaient donc réunis en grande pompe tous les directeurs de cabinet des ministères, devant la Dinum, afin de présenter l’initiative à ceux qui auraient pu persister à faire la sourde oreille. Un moment qui « a confirmé l’adhésion à la généralisation de Tchap prévue par la circulaire du Premier ministre. Un signal clair de renforcement de la sécurité des communications électroniques au sein de l’État » selon Stéphanie Schaer, la directrice interministérielle du numérique. L’application est en effet placée sous le contrôle du ministère de l’intérieur pour mettre l’accent sur la dimension sécuritaire de l’initiative. Le taux d’adoption de Tchap au plus haut niveau de l’État est également regardé de près car son développement par la Dinum a coûté plusieurs millions d’euros : sa généralisation rapide et un bon taux d’usage sont donc clés pour considérer que cet argent n’a pas été investi en vain par rapport à une solution française préexistante issue du privé comme Olvid.
Le « ruissellement numérique »
Le sujet est d’autant plus sensible qu’en parallèle le projet de « Suite numérique collaborative » de l’État, lancé en 2024 pour remplacer les usages de Microsoft Office, a rapidement été mis sous le feu des projecteurs. En cause, les investissements nécessaires – épinglé par la Cour des Comptes – mais aussi l’Appel à manifestation d’intérêt (AMI) initial sur lesquels se sont signalés une dizaine d’« alternatives » françaises, qui n’ont finalement pas été retenues. Pas assez souveraines ? « Si l’analyse de la Cour des Comptes sur les coûts est intéressante, elle ne prend pas en compte l’ensemble des dimensions stratégiques qui justifient le développement de suites souveraines » a témoigné le responsable de la Suite numérique au sein de la Dinum auprès du CSIRT-Universitaire. L’expert met notamment en avant l’intérêt de la dynamique open-source impulsée par ce travail, avec par exemple la conception du protocole Matrix, réutilisé par d’autres acteurs de l’écosystème, mais aussi de l’exemplarité de Jitsi et BigBlueButton comme solutions open source françaises. Autrement dit, les investissements dépassent le seul périmètre des outils et créeraient un effet de ruissellement sur le numérique français, en termes de compétences et de briques techniques. D’autres effets de bord vertueux seraient alors à attendre : les témoignages récents d’acteurs de la sphère sociale sur leur volonté de remplacer Microsoft en leur sein, rappellent qu’un succès potentiel de la Suite numérique de l’Etat serait pour eux un facteur d’accélération de leurs propres projets.
Rentrée chargée pour la Dinum
Reste que la Dinum et ses équipes, qui ne sont pas extensibles à l’infini, font face à une montagne avec de tels projets de transformation. Dans un contexte de pression budgétaire sans précédent, où le gouvernement cherche les économies partout, la friction avec l’ambition de supporter ses propres solutions souveraines de la façon la plus « pure » possible, est évidente. D’autant que la DSI de l’État est engagée sur de nombreux fronts à la fois : le 3 septembre, Stéphanie Schaer enchainait ainsi sur un tout autre sujet avec la rentrée de « data.gouv.fr » et une journée dédiée aux données publiques, à la stratégie data de sa direction, et à la gouvernance citoyenne des données. Durant l’été, elle avait par ailleurs fêté les 10 ans du programme « beta.gouv.fr », vu comme un environnement interministériel d’innovations numériques. Et en collaboration avec la Direction générale des entreprises, la Dinum a également dressé une cartographie de 100 solutions IA pour les usages du secteur public. Sans oublier que si le gouvernement Bayrou chute le 8 septembre, comme cela parait de plus en plus probable, la Dinum devrait aussi peut-être briefer, convaincre et embarquer à nouveau les directeurs de cabinet des néo-ministres. Si l’administration reste, espérons que les progrès numériques aussi… et que cet argent public aura été bien dépensé.
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