Le combat pour débloquer le « Choose Europe »

 

Le sommet « Choose France » est un atout, mais c’est toute l’Europe qui doit se mobiliser et changer ses règles si l’on veut voir le Vieux Continent vraiment jouer la carte de l’attractivité.

 

Versailles va encore une fois accueillir les grands patrons du monde entier pour une nouvelle opération séduction. Le sommet « Choose France », initié par Emmanuel Macron au début de son premier mandat, fait son retour dans la ville royale le 19 mai. « Chaque année, ce sont près de 400 entretiens bilatéraux qui sont organisés entre le Président de la République, les ministres et les dirigeants d’entreprises, étrangères et françaises, pour échanger sur leurs projets d’implantation dans l’Hexagone », rappelle l’Élysée. Au total, depuis 2018, ce seraient ainsi environ 47 milliards d’euros qui auraient été injectés de cette façon sur le territoire national. Mais l’édition 2025 se déroule dans un contexte particulier, alors que les pays européens – la France en tête – se mobilisent largement pour profiter de l’effet repoussoir que peuvent avoir les décisions de l’administration Trump. Mais surfer sur cet « effet d’aubaine » suffira-t-il à compenser les fondamentaux fragiles du « Choose Europe » ?

 

Energie, agroalimentaire… et IA

 

Il faut reconnaître au « Choose France » d’Emmanuel Macron la volonté de forcer le destin face au french bashing et à la morosité politico-économique ambiante. C’est d’ailleurs l’un des chevaux de bataille du Président depuis toujours. Non sans un certain succès d’ailleurs, comme le rappelle une nouvelle fois le Baromètre de l’Attractivité que le cabinet EY sort opportunément chaque année à la même période. Depuis six ans, l’Hexagone arrive ainsi en tête des 45 pays européens évalués en termes de nombre de projets annoncés par des investisseurs étrangers. En 2024, ce sont ainsi 1025 projets qui ont été recensés. L’énergie et l’agroalimentaire s’imposent parmi les secteurs privilégiés. Mais il est également satisfaisant pour l’écosystème du numérique de voir qu’il en est de même pour les projets liés à l’intelligence artificielle. Et nul doute que le coup de poker du Sommet pour l’Action sur l’IA de février dernier, qui avait fait sensation, contribuera à maintenir l’attractivité sur ce sujet technologique parmi les plus structurants pour l’avenir.

 

A la recherche de stabilité politique

 

La machine paraît donc bien huilée : une approche « intuitu personae » pour convaincre les dirigeants étrangers, assortie d’un argument de stabilité « pro-business » de la part d’un Président centriste. Cependant, le baromètre EY pousse aussi à voir les défis qui se présentent : le nombre de projets pour 2024 est en recul de 14 % sur un an, après déjà une légère baisse entre 2022 et 2023. La France se positionne aussi au 9e rang quand on regarde le nombre d’emplois moyens créés par projet, avec seulement 30. Les analystes se montrent aussi critiques sur la nature des projets eux-mêmes : plus souvent des extensions de l’existant plutôt que de nouveaux sites industriels. Quant à la stabilité politique, elle a été largement écornée depuis un an et la dissolution hasardeuse de l’Assemblée nationale, entraînant une baisse de confiance légitime des investisseurs. L’incertitude sur les futures élections ne manque pas d’inquiéter.

 

Pour l’Europe, l’attractivité viendra de la réforme

 

À décharge, la situation n’est pas l’apanage de notre pays. La baisse du nombre de projets est en moyenne de 5 % en Europe, avec un fort recul au Royaume-Uni et en Allemagne, pourtant terre d’initiative industrielle s’il en est. Et l’inquiétude politique prévaut aussi outre-Rhin, sur fond de montée en puissance du parti extrémiste AfD. Au sein de l’Union européenne, les exemples de tensions se multiplient, comme l’a encore rappelé le cas de l’élection présidentielle en Roumanie. Et c’est bien cette situation qui appelle à ce que l’Europe double la mise en termes d’attractivité. Car nos tensions restent malgré tout beaucoup plus faibles que celles qui montent outre-Atlantique. C’est donc à raison que de plus en plus de pays de l’UE déroulent ainsi le tapis rouge pour les entrepreneurs et les corporates mais aussi pour les scientifiques qui pourraient vouloir quitter l’Oncle Sam. Procédures d’embauches accélérées, incitations à la création d’entreprise… l’opération séduction doit dépasser le seul cadre d’un sommet annuel, aussi médiatique soit-il. Emmanuel Macron semble l’avoir compris en proposant « l’asile scientifique » aux chercheurs du monde entier. La Belgique et les Pays-Bas n’ont pas manqué d’adopter la même approche. L’Autriche également en proposant l’accélération du financement pour la recherche et l’ouverture de postes universitaires.

 

L’atout Letta

 

De quoi donner un avantage dans la course à l’IA ? Peut-être. Mais il ne suffira pas de faire des déclarations d’amour aux scientifiques et encore moins aux businessmen. « Les paroles s’envolent, les actes restent » : ce sont les réformes profondes pour l’environnement économique et l’innovation que l’UE et ses pays-membres arriveront (ou non) à mettre en œuvre qui feront la différence. Là encore, l’IA est l’exemple parfait : l’émergence de champions continentaux restera en effet une gageure si l’on ne change pas les règles du jeu auxquelles ces aspirants sont confrontés en Europe, par rapport à leurs concurrents américains. Unification des marchés financiers, création d’un 28e « état virtuel » pour compenser la fragmentation du droit commercial européen, montée en puissance de la Banque européenne d’investissement pour mobiliser des moyens massifs sur le numérique… Les actions concrètes proposées par l’ancien chef du gouvernement italien Enrico Letta dans son rapport éponyme l’an dernier tracent une route claire. Elles sont essentielles si l’on veut que le « Choose Europe » soit plus qu’un gentil slogan.