F. Novello (Transilien) : « L’exigence de réduction des coûts me donne un mandat clair de transformation »

Frédéric Novello est le directeur des systèmes d’information de Transilien, au sein du groupe SNCF. Il détaille les changements dans son entreprise depuis la crise du Covid-19 et les transformations encore à venir.

Article initialement publié le 9 juin 2020

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Frédéric Novello, directeur des systèmes d’information de Transilien, au sein du groupe SNCF.

Alliancy. Quel regard portez-vous sur l’adaptation de l’organisation chez Transilien, telle que vous l’avez vécu au début de la crise ?

Frédéric Novello. Schématiquement, nous avons comme beaucoup été confrontés une phase de crise et de mise en place rapide de tous les outils qui permettent de continuer le travail. Plus précisément, nous utilisions majoritairement Skype et les premiers jours, les passerelles internes se sont retrouvées saturées. Nous avions déployé Teams il y a un moment déjà, mais la solution était moins utilisée. Nous avons donc immédiatement mené un important travail de communication pour convaincre de passer d’une solution à l’autre et mieux assurer la continuité de l’activité. Aujourd’hui, nous imaginons que les collaborateurs resteront plus naturellement sur Teams ce qui nous permettra de décommissionner Skype.

Mais on imagine que vu l’activité de Transilien, il n’était pas question de télétravail pour 100% des salariés ?

Frédéric Novello. Evidemment, et même au-delà des conducteurs de train par exemple, de nombreux collaborateurs devaient rester sur site au départ pour utiliser des outils informatiques spécifiques. Il a donc fallu multiplier les accès VPN, pour accéder à des outils « lourds » notamment. J’ai la chance quelque part, en tant que DSI de branche, de ne pas avoir à m’occuper des questions d’infrastructures générales, gérées au niveau du groupe : mon rôle c’est le lien avec les utilisateurs. Nous avons pu nous concentrer sur le fait de coacher, de rassurer, d’aider à prioriser et de donner du souffle aux échanges et aux projets en cours.

Priorités des dsi face à la crise Comment a été perçue cette action de la DSI ?

Frédéric Novello. Cela a été excellent pour le marketing des équipes IT ! Les gens nous ont appelé « les magiciens » en interne, c’est exceptionnel ! Pendant les deux premières semaines de crise, la perception de l’IT s’est complètement inversée. Même si cette période a été courte, cela a marqué les esprits pour la suite. Et on était vraiment sur des sujets « tout venant », pas de l’innovation numérique de haut vol. C’est là que l’on voit que ces aspects sont un des points fondamentaux d’une bonne relation IT-Métier. L’accès au SI était encore plus critique, ne serait-ce que pour mettre à jour les plans de transport : notre rôle a donc été perçu lui aussi comme critique.

Avez-vous du revoir l’organisation des équipes IT en tant que telle ?

Frédéric Novello. Oui, nous avons dû nous organiser. Toutes les mises en production des projets ont été mises en pause. Les développeurs ont continué à travailler et les recettes ont pu continuer elles aussi quand elles ne demandaient pas de présence sur site. Nous avons empilés quelques versions. Depuis le 11 mai, nous sommes dans une phase de production beaucoup plus intensive. Nous sommes revenus à 70-80% de la capacité habituelle. De manière générale, l’expérience du télétravail forcé a été très intéressante, car il y a eu une énorme prise de conscience. La SNCF fait partie des grandes entreprises avec un fort héritage administratif, donc c’était important d’avoir cette vision de l’efficacité avec 100% de télétravail, pour convaincre. Dans mon cas, j’ai beaucoup d’équipes à distance en temps normal. Une bonne partie de mes équipes sont basées à Nantes : jusque-là c’était vu comme un handicap !

Comment s’est passé l’après 11 mai ?

Frédéric Novello. Au sein du groupe SNCF, la stratégie de déconfinement a été définie comme suit : du 11 mai au 8 juin, le télétravail est resté la norme. Puis jusqu’à septembre, cette approche est maintenue avec plus de flexibilité en cas de besoin pour revenir sur site. Seuls les postes essentiels (train, datacenters…) ont été activé avec des mesures de sécurité sanitaire (4m² d’espace de distanciation, masques, gel…). Durant l’été, les collaborateurs auront la possibilité de revenir un jour par semaine, mais un bureau sur deux sera interdit et l’on sera dans une logique de « free-siting », plutôt que de faire retourner systématiquement les équipes dans leurs anciens bureaux. A noter qu’en septembre, nous n’occuperons qu’à 50% les bureaux. Nous sommes cependant très prudents par rapport aux déclarations actuelles des entreprises qui parlent déjà de réduire drastiquement leurs mètres carrés sur site ! Face au choc économique, cette réflexion devra avoir lieu mais il ne faut surtout pas la précipiter, il reste encore trop d’inconnues.

Concernant le déconfinement, un autre point spécifique, c’est qu’en tant que transporteur, nous sommes largement intervenus auprès des entreprises pour encourager une gestion intelligente du déconfinement et des transports pour les salariés. Nous avons notamment insisté auprès d’elles sur l’intérêt des horaires décalés, afin d’éviter les situations d’heure de pointe. Il faut en effet garder en tête que pour appliquer toutes les gestes barrières, on divise de manière générale par cinq le taux d’occupation d’un train, cela a des conséquences sur le trafic dans son ensemble.

A quel point jugez-vous probable un retour aux modes de travail d’avant crise ?

Frédéric Novello.  A long terme, il est clair que l’environnement de travail va évoluer. Chez Transilien, toutes les équipes du siège sont équipés avec un laptop, avec la paire écran-clavier au bureau. Dans les faits, cela pourrait s’inverser, avec l’écran et le clavier au domicile et les collaborateurs qui viennent uniquement avec leur pc portable quand ils ne font pas du télétravail. Ce genre de nouvelles logiques aura des impacts sur les infrastructures, sur les pratiques autour des VPN qui évolueront vers une gestion plus souple des droits d’accès. Il nous faudra repenser la façon d’accéder au système d’information de partout depuis Internet et donc forcer la transformation de nombreux anciens aspects du SI.

Jusqu’où cela pourrait-il aller ?

Frédéric Novello. Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour, mais à long terme, il serait peut-être intéressant de tester le potentiel pour un centre opérationnel (le lieu où les opérateurs voient la circulation des trains et gèrent les incidents potentiels, ndlr) de ce type de pilotage à distance. Technologiquement, il serait possible de le rendre « virtuel », mais dans les faits, les opérateurs se coordonnent énormément avec des communications verbales et les prérequis en matière de vidéo sont très importants. Serions-nous capable d’avoir un centre opérationnel virtuel ? C’est un cas d’école de ce qui est très difficile à gérer hors présence sur site.

Mais a contrario, nous avons pu voir que d’autres croyances que nous avions ont été mises à mal par la crise. La cellule de gestion de crise est un bon exemple. Après le 11 mai, nous avons en effet rouvert une salle de crise, mais il n’y avait au final que 3 personnes sur 10 en présentiel ! Il y a 6 mois personne n’aurait dit qu’il était possible d’avoir des responsables de cellule de crise opérant à distance…

Quels sont vos enjeux prioritaires à la DSI pour les mois à venir ?

Frédéric Novello. L’enjeu numéro un des mois à venir est clairement un plan de performance. Et dans le cas de ma business unit celui sera accès exclusivement sur la gestion des coûts opex. En effet, par nature chez Transilien, tous nos investissements sont financés par notre autorité administrative, c’est-à-dire schématiquement par la région Ile-de-France. La différence fondamentale pour les prochains mois, c’est que par le passé, on me demandait plus de délivrer les projets que de faire des gains sur l’opex. C’est complètement nouveau et cela me met en posture de défendre bien mieux les projets de transformation IT très importants comme la migration cloud. C’est aussi un mandat clair pour réduire mon stock d’obsolescence et la dette technique du SI. Pour la première fois, la priorisation des investissements va donc pouvoir se baser sur des ROI qui pourront être également informatiques !

Comment priorisez-vous ces investissements ?

Frédéric Novello. Nous sommes dans une phase où il faut être très attentif, pour garder cet élan positif que la DSI a acquis durant le confinement autour de trois aspects : une crédibilité en termes d’optimisation de l’environnement de travail, une généralisation des mode de travail à distance efficace, un l’IT vu comme un facteur clé de réduction des coûts.

Pour en tenir compte, nous avons réalisé un plan d’action autour de quarante leviers, sur lesquels nous comptons mener une forte évangélisation. Parmi ces leviers, il y aura notamment le travail sur les infrastructures, avec la migration vers le cloud et notamment le PaaS, mais aussi la réduction de la dette technique aujourd’hui à 6 dollars par ligne de code alors que la référence moyenne est de 4… De même dans la gestion des multiples demandes des métiers : la contrainte financière me donne plus de crédibilité vis-à-vis des priorisations. De la même manière, cela va réinterroger naturellement les choix de mutualisation intense décidés par le groupe, face à la complexité et l’hétérogénéité que cela peut imposer à certaines business units, en particulier sur la gestion et l’analyse de la data ou sur les processus d’exploitation SI très centralisés, souvent incompatibles avec les exigences du DevOps et du Cloud.

C’est aussi l’occasion de mettre fin à un mythe dans lequel croit encore beaucoup de directions générales : les gains économiques immédiats en matière de décommissionnement. Il est illusoire de faire beaucoup d’économie en arrêtant toutes les « petites applications » qui se sont souvent multipliés dans les grands SI. Bien souvent, elles ne coûtent pas si cher que cela. Par contre, il s’agit de véritables verrues techniques, et ces « bouts » d’applications qui multiplient les flux, sont en grande partie responsable de l’image du fameux « plat de spaghettis » pour décrire des systèmes d’information trop complexes, difficiles à gérer et à transformer. Le chantier de décommissionnement est donc celui de la simplification. Et nous avons besoin de cette simplification pour continuer à transformer l’entreprise efficacement, et ce malgré les crises