Face au stress hydrique croissant, le numérique doit apprendre à anticiper et réduire sa consommation d’eau. Fabrication, data centers, tertiaire, stations d’épuration : la ressource devient un risque opérationnel autant qu’un levier d’optimisation.
2021, Taïwan connaît sa plus grande sécheresse depuis 56 ans. Et, quand l’île a soif, le monde manque de microprocesseurs. L’eau disponible est réservée et acheminée vers les civils, excluant l’usage industriel et, avec elle, la production du fabricant local de semi-conducteurs, TSMC. L’événement va renforcer et prolonger la crise mondiale des microcomposants démarrée en 2020 par la pandémie. “Produire un seul microprocesseur nécessite plusieurs milliers de litres d’eau ultra pure”, explique Hajar Achaaban, consultante numérique responsable chez IJO, lors du Green Tech Forum 2025 à Paris. Une dépendance structurelle largement sous-estimée.
“L’usine TSMC consomme plus de 150 000 m³ d’eau par jour, l’équivalent de la consommation quotidienne de la ville de Toulouse”, ajoute la consultante IJO. Derrière les avancées du cloud et l’essor voraces des intelligences artificielles, l’eau apparaît comme le défaut de la cuirasse technologique. Un nouveau cluster GPU représente un bond de consommation hydrique indirect (électricité) et direct (refroidissement). Quant aux data centers français, ils consomment 681 000 m³ d’eau, en considérant uniquement le direct. L’eau n’est plus seulement un sujet RSE, mais un risque opérationnel et de continuité d’activité pour le numérique.
Derrière les watts, des mètres cubes d’eau
La bataille commence par la data. Reste que pour réduire notre consommation d’eau, encore faut-il la mesurer. Le problème ? L’empreinte hydrique numérique reste dans l’angle mort. “L’évaluation de l’eau est encore à ses débuts, contrairement au carbone, où l’on dispose de référentiels solides”, souligne Hajar Achaaban. Pourtant, cet impact apparaît sur tout le cycle de vie : de la fabrication gourmande en eau ultra pure, au refroidissement des data centers, en passant par la consommation indirecte liée à l’électricité. Et ce, même sur le sol Français, présenté comme le bon élève grâce à son nucléaire. Quand on gratte le vernis, refroidir un kilowattheure nucléaire mobilise environ deux litres d’eau.
Cette réalité complexifie le calcul de l’empreinte hydrique, largement supérieur aux seules quantités utilisées pour le refroidissement des salles informatiques. Bien que des indicateurs existent – ACV, WUE (≈1,9 L/kWh), empreinte eau, facteur de stress hydrique AWARE – leur diffusion reste hétérogène. “Les bases de données environnementales donnent parfois des valeurs… étranges”, admet Gillo Alain Malpart, président et co-fondateur de Manava. Pour les DSI et les directions RSE, l’incertitude complique la prise de décision. D’autant plus que l’IA accélère la montée en puissance des cloud, alors que les seuils de stress hydrique progressent en Europe. Certains opérateurs ont donc privilégié des régions où l’eau non potable abonde, d’autres basculent sur des technologies d’immersion et de refroidissement liquide pour limiter l’évaporation.
Quand le stress hydrique fait loi
L’augmentation des tensions hydriques a accéléré le virage politique. “On a intégré un plan de sobriété hydrique pour les infrastructures numériques dans le plan national d’adaptation au changement climatique”, évoque Emma Le Boulicaut, chargée de mission numérique responsable à la Direction Générale des Entreprises (DGE). Chez nos voisins d’Espagne ou des Pays-Bas, certains data centers ont multiplié la consommation par six voire huit. La France a réagi en élargissant la collecte de données environnementales, gérée par l’ARCEP, à des centres de plus en plus réduits. Bruxelles, elle, mise sur un reporting standardisé, imposée par la directive européenne, et prépare une notation environnementale des data centers. “Pour bénéficier d’un tarif réduit sur une taxe sur l’électricité, il faut être vertueux et répondre à certaines éco-conditionnalités”, rappelle Emma Le Boulicaut. Pour l’écosystème cloud, l’eau s’érige peu à peu en critère de conformité au même titre que les émissions carbones ou que le PUE (Power Usage Effectiveness).
L’IoT met de l’ordre dans ses tuyaux
Hors des murs industriels, le constat s’aggrave. Les entreprises du tertiaire ne connaissent pas leur consommation d’eau. “90 % des entreprises n’ont pas d’obligation de compter l’eau”, constate Xavier Labouret, fondateur de Waterfloo. Ce flou engendre une incapacité à détecter des fuites, à prioriser des usages ou encore à répondre aux demandes préfectorales qui exigent, chaque été, des plans d’action en cas de stress hydrique. Mais l’IoT, grâce à sa baisse des coûts, pourrait devenir une béquille essentielle : capteurs connectés, télérelève toutes les dix minutes, cartographie d’usage, détection automatique. “Quand on commence à compter, on baisse de 30 à 40 %”, assure Xavier Labouret. Certaines entreprises poussent la stratégie en cas de stress hydrique avec des coupures automatiques d’usages non-essentiels ou des scénarios de délestage hydrique.
Traiter mieux, consommer moins
Les collectivités et les usines ne vise pas la même étape du cycle de vie. Pour elles, la cible est le traitement de l’eau. “On ne peut pas faire notre métier si on n’a pas des données de qualité”, souligne Thomas Chaumard, global lead digital sales and Customer Success chez Veolia Water Technologies. Un problème qui semble trouver sa solution dans les capteurs et l’analyse prédictive. De cette manière, les stations d’épuration deviennent pilotables en continu. Les enjeux : assurer la stabilité des procédés, éviter la surconsommation d’énergie et de produits chimiques, mais, surtout, anticiper les dérives. “On peut réduire jusqu’à 40 % la facture énergétique”, explique Thomas Chaumard. Une baisse possible en normalisant notamment l’aération des bassins, poste majeur de dépense. “On peut augmenter de 30 à 40 % la durée de vie des membranes”, ajoute le Customer Success Veolia, assurant ainsi le prolongement des équipements coûteux. Ces outils deviennent indispensables pour éviter les débordements, notamment dans les collectivités exposées aux précipitations extrêmes. Outre la simple réduction de notre consommation hydrique, il s’agit de piloter habilement.
Un casse-tête entre watts et mètres cubes
Après le comptage, place aux choix technologiques. “Les systèmes de refroidissement ne se valent pas en matière d’eau : certains sont très économes en eau mais très énergivores, et inversement”, expose Hajar Achaaban. Les data centers doivent trouver le bon compromis : refroidissement à l’air, tours évaporatives où 80 % de l’eau s’évapore, circuits hybrides, free cooling, refroidissement liquide direct ou immersion. L’équation devient stratégique et les projets d’infrastructures énergivores dans les zones arides défraie la chronique. Parmi eux, le data center Microsoft aux Pays-Bas relance les débats sur la priorisation des usages avec une consommation six fois supérieure aux prédictions. Au Green Tech Forum, les intervenants ont insisté : les critères hydriques pourraient rapidement entrer dans les critères d’appels d’offres cloud. Une bascule non sans rappeler celle du PUE en 2010. L’eau s’impose comme KPI, il ne suffit plus de compter ses gigaoctets ou ses émissions, dorénavant il faut compter et maîtriser ses mètres cubes.
Tech In Sport
Green Tech Leaders
Alliancy Elevate
International
Nominations
Politique publique




