L’Europe se revendique championne du logiciel libre et en fait un pilier de sa souveraineté numérique. Mais, derrière les discours enthousiastes, la réalité est plus fragile : l’open source européen repose surtout sur des communautés sous-financées, des mainteneurs isolés et des géants américains qui industrialisent ce que nous célébrons. Une dépendance silencieuse, mais stratégique.
En Europe, on adore l’open source. Mentionné dans les discours, cité dans les stratégies, le monde du libre est régulièrement brandi comme l’étendard de souveraineté numérique. Transparence, indépendance, collaboration, sécurité, innovation « collective », tout y passe. Sur le papier, la magie opère mais dans la réalité, on est plus proche de l’illusion.
Car, si l’Europe est la plus grande consommatrice d’open source au monde, elle reste étrangement absente lorsqu’il s’agit de le produire, de le financer ou de l’industrialiser. On défend le logiciel libre comme un principe, oui, mais on laisse son infrastructure, ses mainteneurs et son économie dépendre largement des États-Unis. Résultat, l’open source devient un peu comme l’air : tout le monde en profite mais personne ne le paie.
Le paradoxe est frappant jusque dans les DSI : Linux partout, Kubernetes partout, Python partout, PostgreSQL partout. Mais combien d’équipes financent ou contribuent réellement ? Très peu. Selon le rapport « State of Open Source Report 2025 » d’OpenLogic, 90 % des entreprises utilisent de l’open source, mais seulement 38 % d’entre elles déclarent contribuer à des projets ou fondations. « Open source first » est devenu un mantra, pas un modèle industriel. On télécharge, on déploie, on customise… et on croise les doigts pour que les mainteneurs continuent, gratuitement, à corriger des failles critiques à trois heures du matin.
Pendant ce temps, les gros acteurs américains, ceux-là mêmes que l’Europe veut rattraper, ont parfaitement saisi l’enjeu. Ils industrialisent, packagent, monétisent, cloudifient. Résultat : l’open source européen vit souvent… dans un cloud américain. Etonnant, non ?
Pas tant que ça : l’Europe confond open source et gratuité. Elle célèbre la liberté du code, mais oublie qu’un mainteneur doit payer son loyer. Les talents qui portent des projets stratégiques sont sous-financés, les start-up open source peinent à lever des fonds et les initiatives publiques manquent de continuité. Et, quand un projet open source européen commence à rencontrer le succès, il est souvent racheté ou absorbé par un acteur extra-européen.
Nous avons pourtant tous un intérêt vital à ce que l’open source européen existe : pour la souveraineté, pour l’innovation, pour la résilience. Un continent entier construit sa vie numérique sur des briques dont il ne contrôle ni la gouvernance ni la pérennité. Un DSI le sait : quand la chaîne de dépendance casse, tout casse.
Alors oui, l’Europe proclame qu’elle soutiendra l’open source. Mais un soutien sans financement, c’est du vent. Sans infrastructure, c’est du symbole. Sans stratégie industrielle, c’est une belle idée perdue dans un océan de bonnes intentions.
Si l’open source est réellement un enjeu de souveraineté, ce qu’affirment tous les rapports, toutes les tribunes, toutes les feuilles de route, alors il est temps de le traiter comme tel. Pas comme un idéal moral, mais comme un actif stratégique. Il faut des budgets, des usines logicielles, des incubateurs, des contrats publics récurrents, des compétences. L’open source a assez servi de vitrine, il est temps d’en faire une industrie.
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