Sobriété hydrique du numérique : l’enjeu invisible qui devient réglementaire

 

Longtemps ignorée, la consommation d’eau du numérique s’impose désormais dans le débat public. Stress hydrique, centres de données et nouvelles obligations de transparence : au Green Tech Forum 2025, Emma Le Boulicaut décrypte la montée en puissance de cet enjeu.

 

Comment l’image du numérique a-t-elle évolué en termes de consommation hydrique ?

 

Historiquement, le numérique n’était pas perçu comme un secteur fortement consommateur d’eau. Il n’était donc pas particulièrement ciblé par les politiques publiques, les réglementations ou les obligations de transparence. Depuis quelques années, cette perception a changé. Des épisodes de stress hydrique ont mis en lumière des situations très concrètes, comme aux Pays-Bas, où Microsoft a consommé huit fois plus d’eau que prévu dans l’un de ses centres de données, notamment pour les systèmes de refroidissement. En Espagne également, de l’eau a dû être acheminée par camion pour refroidir certains data centers. Face à ces événements, les pouvoirs publics se sont saisis du sujet, à la fois au niveau national et européen. En France, cela passe par le Plan national d’adaptation au changement climatique, qui oblige les infrastructures numériques à établir un « plan eau », autrement dit un plan de sobriété hydrique. À l’échelle européenne, la directive sur l’efficacité énergétique impose des objectifs de transparence aux centres de données d’une certaine taille, qui doivent publier des indicateurs relatifs à leur consommation d’eau, mais aussi à leur consommation énergétique ou à la valorisation de la chaleur fatale.

 

Que retenir de votre table ronde sur le stress hydrique des infrastructures ?

 

Le premier enseignement est l’importance d’une approche multicritère. Aujourd’hui, les enjeux carbone sont majoritairement mis en avant, notamment parce que certaines directives européennes imposent déjà des obligations de transparence sur cet indicateur. Mais la table ronde a montré qu’il est indispensable d’intégrer aussi la consommation hydrique et celle des ressources abiotiques, en particulier les métaux rares. Un autre point clé concerne l’analyse du cycle de vie. Il ne s’agit pas de regarder uniquement la consommation d’eau à l’usage d’un produit, mais bien l’ensemble de son cycle : fabrication, utilisation et fin de vie. Cette approche globale est essentielle, aussi bien pour la consommation hydrique que pour la consommation énergétique. Enfin, la réglementation joue un rôle central. Les dispositifs européens, comme la directive sur l’efficacité énergétique, soulèvent des enjeux majeurs de transparence. Cette transparence est indispensable pour savoir de quoi l’on parle, évaluer les impacts et, ensuite, définir des objectifs capables d’accompagner les entreprises face au changement climatique.

 

Quel est l’objectif de cette réglementation ?

 

La directive poursuit avant tout un objectif de transparence, à la fois en matière d’affichage environnemental et de collecte de données. Les centres de données auront ainsi une double obligation. D’une part, ils devront collecter des données et les transmettre à la Commission européenne via une plateforme dédiée. Ces informations seront ensuite publiées de manière agrégée par la Commission, sans poser de problème de confidentialité. D’autre part, les centres de données devront mettre à disposition du public certains indicateurs environnementaux, dans le respect des contraintes liées au secret administratif et industriel. L’objectif est de disposer d’une base fiable pour objectiver les impacts, comparer les pratiques et orienter les trajectoires de transition du numérique.