De la parole à la méthode : comment se « défaire » de nos dépendances numériques

 

Face à l’urgence de reconquérir la maîtrise de nos technologies, le Do Tank Alliancy rassemble depuis six mois une quinzaine d’organisations publiques et privées pour passer du constat à l’action. Leur credo : mesurer la dépendance, planifier la réversibilité, déployer des alternatives concrètes. Une méthode du “faire” qui transforme la souveraineté numérique en levier de gouvernance, de compétitivité et de résilience.

 

1. Le constat : la dépendance est devenue un risque stratégique

 

Le constat n’est plus à débattre. 77 % du marché européen des suites de productivité est capté par un seul acteur, 80 % des dépenses cloud partent hors d’Europe et 9 organisations sur 10 ont subi un incident critique lié à un fournisseur ces cinq dernières années.

Ce ne sont plus des chiffres techniques, mais les indicateurs d’un déséquilibre structurel.
Ils traduisent une perte de maîtrise sur nos outils, nos coûts, nos données et, in fine, sur notre capacité à décider.

Les hausses de prix arbitraires, les clauses contractuelles inapplicables, les audits coercitifs sont devenus des leviers de contrôle économiques.
La dépendance technologique n’est plus une question d’IT : c’est un risque de gouvernance, un sujet d’indépendance stratégique et de résilience économique.

Pendant que le marché se fragmente en slogans et initiatives opportunistes, des acteurs publics et privés ont décidé d’agir sérieusement.

 

2. Le Do Tank Alliancy : six mois d’action, des résultats concrets

 

Depuis six mois, le Do Tank “Maîtriser ses dépendances technologiques” réunit une quinzaine d’organisations — parmi lesquelles la Cnam, l’Urssaf, EDF, Thales, et plusieurs grands groupes industriels.
Elles partagent un objectif : passer du constat à la méthode, et de la méthode à l’action.

Ce n’est pas un think tank, mais un laboratoire d’action collective, ancré dans le réel, outillé et documenté.

Les premières conclusions sont claires :

  • La dépendance se mesure : les organisations doivent identifier leurs zones critiques — économiques, contractuelles, techniques ou géopolitiques.
  • Les alternatives existent : de nombreuses solutions souveraines, open source ou multi-fournisseurs sont déjà en production dans des environnements exigeants.
  • La sortie est possible : plusieurs membres ont lancé ou finalisé des plans de dual sourcing, des renégociations tarifaires ou des transitions partielles vers des solutions européennes.
  • La réussite repose sur la gouvernance : là où les Comex s’impliquent, les résultats sont immédiats. L’adhésion du terrain suit la conviction stratégique.

 

3. Les leviers d’action : la méthode du “faire”

 

SENSIBILISER : créer l’électrochoc stratégique

Le premier pas, c’est de faire du sujet une priorité de direction générale.
Une DSI isolée ne peut pas porter seule ce combat.
Chaque comité exécutif doit comprendre les risques et les opportunités de la souveraineté numérique.

  • Rendre le risque palpable : chiffrer les impacts d’une hausse de licence, d’un audit ou d’une rupture de service ; mettre en perspective le coût de l’inaction.
  • Parler le langage du business : montrer au DAF le risque financier, au DRH l’impact sur les talents, au COO le risque de rupture opérationnelle.
  • Impliquer la gouvernance : inscrire la dépendance numérique au Conseil d’administration, identifié comme un risque stratégique à part entière.

Dans un grand organisme du secteur social, un audit a déclenché un plan de sortie complet et une nouvelle gouvernance des relations fournisseurs. En un an, l’organisation a regagné 12 % de flexibilité budgétaire.

 

PLANIFIER : cartographier pour mieux régner

 

La lucidité ne suffit pas, il faut de la méthode.
Une fois la prise de conscience actée, il faut objectiver la situation et prioriser les actions.

  • Diagnostiquer sans complaisance : il faut évaluer les fournisseurs selon des critères techniques, juridiques, économiques et géopolitiques. L’obsolescence peut devenir une porte d’entrée pragmatique pour engager la discussion.
  • Faire de l’achat un levier stratégique : les directions Achats sont le point d’ancrage du changement.
    Les appels d’offres doivent intégrer des critères de non-dépendance : réversibilité testée, portabilité, standards ouverts …
  • Sanctuariser un budget de résilience numérique : investir dans la réversibilité, c’est éviter les mauvaises surprises Ce n’est pas un coût, c’est un levier de négociation et un facteur de compétitivité.

L’un de nos membres a obtenu, dès la première renégociation, une baisse de 28 % sur ses licences logicielles après avoir documenté son plan de diversification.

 

INTÉGRER : faire du Plan B le Plan A

 

La crédibilité se joue dans la mise en œuvre.
Les alternatives doivent devenir opérationnelles, pas seulement conceptuelles.

  • Le dual sourcing comme norme : plusieurs acteurs publics combinent désormais leur solution historique avec une alternative souveraine sur les usages critiques. Cela change immédiatement le rapport de force.
  • Maîtriser ses données : la vraie réversibilité repose sur la capacité à extraire, comprendre et gérer son propre modèle de données. C’est le socle de la liberté numérique.
  • Évoluer vers le “Make, Buy and Contribute” : contribuer activement à des projets open source c’est investir dans la maitrise de ses technologies et la pérennité collective.

Une grande administration a fait le choix de contribuer au développement d’un outil open source utilisé par plusieurs ministères. Résultat : une maîtrise complète de la feuille de route et un coût divisé par deux sur trois ans.

 

ACCOMPAGNER : instaurer un cycle vertueux

 

La souveraineté n’est pas une campagne ponctuelle : c’est un processus de transformation culturelle.

  • Piloter par la valeur : un reporting régulier au COMEX, 2 à 3 fois par an, avec des indicateurs clairs : évolution du TCO, réduction des dépendances critiques, taux de réversibilité.
  • Construire un storytelling des succès : montrer comment les économies dégagées sur les licences permettent de financer l’innovation métier.
  • Former et autonomiser : chaque sortie de dépendance doit renforcer la compétence interne, pas créer une dépendance à un nouveau prestataire.

 

4. Un appel collectif : arrêtons les injonctions, aidons ceux qui agissent

 

Trop d’initiatives, trop de discours, pas assez de cohérence.
Pendant que l’on parle de souveraineté, certains sortent déjà de leurs dépendances.
Leur retour d’expérience est précieux. C’est eux qu’il faut écouter.

Notre rôle, à Alliancy, n’est pas de refaire le marché : c’est de montrer ce qu’on peut faire, tout de suite, avec sérieux et méthode.
Nous voulons aider ceux qui veulent agir à ne plus le faire seuls, à s’appuyer sur les acteurs de l’écosystème — services, conseil, technologies — qui ont déjà des réponses.

 

5. Le 13 novembre : la restitution du concret

 

Le 13 novembre, nous partagerons les résultats du Do Tank :

  • les indicateurs de dépendance réels,
  • les plans de diversification en cours,
  • les alternatives testées et éprouvées,
  • les outils disponibles pour agir dès 2026.

Les organisations que nous avons « suggéré » vont vous présenter l’impact de leurs travaux. Ce sera un moment de clarté et de passage à l’échelle : la lucidité devient une dynamique.

La souveraineté ne se décrète pas. Elle s’organise.
Et elle commence ici, avec ceux qui ont décidé de faire.