Au sein de la Matmut, le « Full Stack CIO » à l’épreuve des transformations de fond pour les métiers 

La Matmut a lancé une transformation profonde en 2021, pour tourner la page de l’obsolescence de son SI. David Quantin, directeur du numérique et de l’innovation, revient sur l’intégration des métiers dans le projet de refonte du SI, entre gestion des craintes et structuration d’une vision d’avenir. 

Cet entretien est issu de notre série d’interviews « What’s next, CIO ? » qui revient tout au long de l’année sur les priorités et visions d’avenir des CIO stratèges

En 2024, quelles sont les priorités de votre direction ?    

Nous sommes au milieu d’un grand plan de transformation du SI, de la DSI et de la gouvernance des portefeuilles projets, entamé il y a trois ans. La première étape a été de rénover notre infrastructure et notre architecture, en redéfinissant le « plan d’occupation des sols ». Nous avons réurbanisé le SI, quartier par quartier, et processus par processus. Aujourd’hui, nous en sommes à la réécriture du SI sur la base d’une nouvelle architecture, processus par processus. Ma priorité est d’avancer sur ce grand mouvement de réécriture stratégique qui durera encore jusqu’en 2026.    

L’arrivée de nouveaux acteurs de l’assurance, apportant une forte promesse de digitalisation, a-t-elle été à l’origine de votre évolution ?    

De nouveaux acteurs sont, en effet, apparus entre 2015 et 2017. Cela nous a impactés parce que le e-commerce s’est transformé avec l’UX. Ils ont « réveillé » les assureurs. Mais en quelques années, nous les avons rattrapés, en faisant le nécessaire pour mettre à niveau notre présence digitale et nos sites Internet, selon les nouveaux standards du marché. Nous sommes aujourd’hui tous des acteurs digitaux. Ce qui a réellement été à l’origine de notre transformation était l’obsolescence technologique de notre SI. Ce dernier avait l’âge de notre entreprise, avec des codes qui avaient plus de 40 ans. Il n’était plus adapté à l’expérience client digitale que nous souhaitions mettre en place. On arrivait à une impasse. Mais cette transformation est également un moyen de préparer l’avenir et d’accompagner la modernisation des outils, afin de repenser les processus métiers.   

Dans ce projet, quelle place accordez-vous au métier ?    

Le DSI qui prend les commandes du projet et qui définit des systèmes d’information dans son coin, c’est terminé. Dans cette refonte de la gouvernance, nous avons créé différents domaines qui suivent la chaîne de valeur de l’assurance, autour de l’expérience client, des offres – avec les parcours de souscription, ou encore de l’indemnisation. Pour chaque domaine, il existe une cogouvernance entre la DSI et les métiers afin de décider des priorités et des financements. Nous sommes désormais dans un copilotage du portefeuille projets, qui permet aux parties prenantes d’établir ensemble des priorités, dans un intérêt général bien compris.    

Comment vous prémunissez-vous d’un potentiel risque d’incompréhension du changement par les métiers ?   

Nous n’avons pas une vision défensive de l’accompagnement au changement, mais plutôt une vision constructive et positive, au sein de l’entreprise, qui est une structure vivante et adaptable. L’obsolescence du SI étant très forte, le marché bougeant et les attentes des sociétaires évoluant, nous devions donc agir et mener menons ce projet avec un rythme soutenu intense. Beaucoup de choses vont changer pour les utilisateurs. Il est donc nécessaire d’introduire un accompagnement au changement dès l’amorçage des projets à travers des change managers. Ces derniers interviennent au niveau de chaque domaine pour analyser les écarts avec les usages passés et faciliter l’acceptation de la transformation.    

Dans ce contexte, un programme global a notamment été déployé à partir de 2018 pour centraliser des informations provenant des métiers. Certains ont pu craindre la mise en place d’un système de surveillance. Quelle a été votre approche pour répondre à ces craintes ?    

Il ne faut pas se tromper de débat. Les outils informatiques sont toujours l’expressiond’un processus de l’entreprise, dans le cas que vous mentionnez, pour avoir un pilotage fiable des activités, afin notamment de mieux maîtriser la charge de travail des collaborateurs. La coconstruction, les échanges, les débats, ont été réguliers avec les utilisateurs et les changements accompagnés.Nous revoyons les façons de faire et tentons de les guider du mieux possible. Ce n’est en aucun cas un applicatif qui fait ce qu’est l’entreprise, mais les logiciels doivent permettre de savoir si un sujet a été traité ou non ; ce sont d’ailleurs des standards, sur le marché. On ne peut pas nier cette réalité, sinon nous faisons peser un risque opérationnel sur l’entreprise.    

En ce sens, la digitalisation améliore-t-elle ou menace-t-elle l’autonomie des métiers ?    

La réalité, c’est que le monde est numérique. La révolution est en cours et elle s’intensifie. Il n’y a pas une seule entreprise qui reste dans son coin, car nous sommes maintenant dans des chaînes de valeurs numériques étendues, que ce soit en France ou dans le reste du monde. Stratégiquement, on ne peut pas se mettre en dehors de cette révolution. Nous souhaitons être dans le tiers supérieur, en étant un assureur digital. Cette transformation a un impact sur les employés et il faut être en mesure de répondre à leurs craintes, dans le respect des valeurs de l’entreprise. Mais le futur du travail sera celui d’une hybridation entre les robots et l’humain. Dans un même processus, des parties seront accélérées par le robot et permettront aux collaborateurs de se concentrer sur ce qui a de la valeur ajoutée, technique et empathique. Cela concernera tous les métiers, d’une manière ou d’une autre. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette hybridation laissera, toujours, une large place à l’autonomie des collaborateurs.    

Vous l’avez dit, la révolution numérique s’accélère, notamment avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle générative. Comment voyez-vous votre rôle de DSI évoluer au fil de cette révolution ?    

Nous avons décidé, avec le directeur général, de modifier le nom de ma fonction et de ma direction. Nous sommes passés d’une direction des SI à une direction du numérique et de l’innovation. Le numérique ne passe pas seulement par le périmètre historique des systèmes d’information. J’observe trois grands leviers de transformation complémentaires, qui appellent à faire évoluer notre rôle. D’abord, on observe un grand retour de la tech à travers la data, l’IA ou encore le quantique. Le DSI de demain doit donc redevenir un Chief Technology Officer. Ensuite, la résilience prend une place particulièrement importante : dans ce monde numérique, sans elle, plus rien ne pourra fonctionner. C’est, selon moi, le premier risque des entreprises et le CIO est devenu le garant de cette résilience numérique. Enfin, la durabilité s’impose aujourd’hui sur le marché. Se pose alors la question de comment inscrire l’entreprise dans un futur durable. Ce n’était pas un sujet pour le CIO d’hier, mais dorénavant, et encore plus demain, il en est partie prenante à part entière. Tous ces aspects sont en train de changer notre profil de responsabilité, vers un rôle plus global, avec une vision à 360 degrés. On peut parler de « full stack CIO », qui couvre tous les domaines du numérique pour être dans un support beaucoup plus avancé de toute l’entreprise et de ses métiers.