[Interview Benoit Tiers] C’est grâce aux efforts de normalisation que les projets data apportent toute leur valeur

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Chief data & digital strategy officer de Geodis, Benoît Tiers revient sur les nombreux équilibres à trouver pour mener l’industrialisation des projets digitaux, notamment centrés sur la data, dans l’entreprise. Il analyse également le rôle attendu de la DSI du groupe dans ces transformations.

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Benoît Tiers, Chief data & digital strategy officer de Geodis

Comment résumer la place que prend aujourd’hui la data dans la transformation de votre activité ?

La data est un sujet opérationnel récent, même si c’est un buzzword dont on parle depuis longtemps quand il est question de transformation numérique. Le sujet est important pour toutes les entreprises et tous les secteurs ; j’ai eu des expériences au sein de grands groupes variés et dans tous ces environnements différents, à chaque fois, le traitement de la donnée est clé.

Au sein de Geodis, le sujet comporte une dimension supplémentaire : nous sommes dans un business particulièrement complexe, avec des interactions très fortes au sein d’un marché atomisé au niveau mondial, plus de 50 % étant sous-traités ; sans compter l’impact énorme des frontières et des diverses réglementations. La data est donc pour nous, dans ce contexte, un moyen d’optimisation primordial pour gagner en efficience. Savoir en permanence où est la marchandise, anticiper et suivre son mouvement, tout ceci s’avère central pour améliorer la qualité du service rendu. Or, cela fait vraiment très peu de temps qu’elle est concrètement utilisable dans un environnement aussi complexe.

Quelles sont les grandes étapes qui ont fait évoluer votre « stratégie data » jusqu’à vos partis pris actuels ?

Notre univers est soumis à une nouvelle compétition, issue de nouveaux entrants qui entendent proposer de nouveaux services. La disruption peut donc avoir de nombreuses origines. D’autant plus que nous sommes clairement à un carrefour technologique, car autour de la data et de l’IA, il est aussi nécessaire de prendre en compte des sujets comme l’edge computing et la 5G qui vont changer la donne.

Nous envisageons désormais la data comme une source d’efficience dans le cadre d’une entreprise étendue. Nous ne voulons pas seulement que la data serve une approche supply chain, mais qu’elle permette de passer de la supply chain au « supply ecosystem ». Celui-ci se caractérise par du multimodal, du temps réel, mais aussi une bien plus grande efficacité écologique et sociétale, qui est un enjeu fort pour Geodis et notre secteur. La data doit assurer un « passage de relais » pour nous permettre de passer d’un mode « point à point » à un modèle de partage de la donnée au sein d’un écosystème logistique beaucoup plus large (voir encadré).

« Nous ne voulons pas seulement que la data serve une approche supply chain, mais qu’elle permette de passer de la supply chain au supply ecosystem. » Cliquez pour tweeter

À quel point faites-vous face à un défi d’industrialisation pour vos projets ?

Le monde du digital est effectivement un grand spécialiste du proof of concept qui ne s’arrête jamais. L’industrialisation est un sujet clé. Pour être pertinente, la data doit être partagée de manière transverse dans l’entreprise, car elle est souvent plus pertinente pour celui qui va l’utiliser que pour celui qui l’a directement créée. Pour parvenir à cet échange, tout le monde doit être aligné sur la signification des données, leur contexte et le vocabulaire qui y est associé. Pour un système automatisé, la compréhension de ces détails n’est pas immédiate et intuitive comme elle peut l’être pour un humain.

Or, c’est l’automatisation qui permet l’industrialisation, ce qui implique que l’entreprise puisse s’appuyer sur une single source of truth. Cet impératif « architectural » est à prendre en compte avant même le déploiement à l’échelle en tant que tel.
L’autre défi que l’on a trop tendance à oublier, est de réussir à « décorseter » les données de leurs applications d’origine pour répondre à un enjeu de sérendipité. Mettre ces données sous des yeux compétents permet de trouver des usages que l’on ne cherchait pas forcément et favorise l’autodisruption.

Quels sont les rôles pour les acteurs de la DSI dans cette montée en puissance ? Quels services IT doivent-ils rendre en priorité ?

Dans tous les projets data, son implication est clé, en particulier au niveau des déploiements et de la gestion des infrastructures. L’entreprise étendue n’est pas un vain mot : les données sont partout et souvent de moins en moins structurées, ce qui oblige à avoir une discipline énorme au niveau de toute la gestion numérique de l’entreprise. La DSI a un rôle important en ce sens, car elle possède à la fois la vision et la maîtrise du legacy et du carrefour technologique dont je parlais précédemment, qui transforment tous nos assets. C’est en particulier grâce aux efforts de normalisation que les projets data pourront vraiment apporter toute leur valeur dans l’entreprise. Il faut donc que cette dernière assure efficacement les fondamentaux, comme elle l’a fait jusqu’à présent, tout en ajoutant de nouvelles missions liées à la data. Les nouvelles coopérations entre mon organisation et la DSI sont ainsi primordiales.

Pour y parvenir, nous avons créé conjointement avec le DSI, une entité digital factory au sein de la DSI, pour faire le lien avec nos travaux. Cette entité a notamment la responsabilité de la unique Geodis data layer, qui est l’un des fondamentaux architecturaux de l’entreprise pour nos projets. Elle permet également de renforcer les logiques agiles, DevOps et NoOps dans l’organisation, pour faire le lien entre nouveau et ancien monde. Pour juger de la montée en puissance de la place de la data dans l’entreprise, nous observons de très près l’augmentation du nombre d’interactions entre les équipes data, la digital factory et donc la DSI, mais aussi le nombre de projets qui se raccrochent à notre architecture unique de données.

« Une architecture unique de données doit permettre de faciliter le travail en écosystème. L’idée est de faire émerger une logique commune, au sein d’un espace data commun. » Cliquez pour tweeter

Quelles sont les implications de cette architecture unique de données ?

Elle doit permettre de faciliter le travail en écosystème. L’idée est de faire émerger une logique commune, au sein d’un espace data commun. Nous nous appuyons sur une logique renforcée de master data management et la volonté d’établir pour l’entreprise des dictionnaires de données en fonction de chaque contexte, pour obtenir des glossaires appropriés. Pour industrialiser, créer cette confiance dans la data est essentiel car elle se trouve au cœur de tous les processus. Mais l’architecture ne suffit pas : il faut également créer une manœuvrabilité de l’entreprise en supprimant les effets tunnels et les promesses lointaines. Des sprints courts doivent permettre de faire la démonstration des projets pour rallier des équipes très différentes. Beaucoup d’entreprises insistent sur ce dernier point autour de la notion d’agilité. Mais l’écueil reste que les fondamentaux architecturaux ont une influence énorme sur le sujet et qu’ils ne se mettent pas en place le temps d’un sprint, soit trois semaines en moyenne ! L’effet socle n’est pas neutre. C’est pour cela qu’il est aussi important de créer une alliance DSI – data dans l’entreprise pour réaligner en permanence les deux facteurs.

Les changements organisationnels et culturels paraissent-ils importants pour acter cette évolution de l’entreprise sur le sujet ?

Le sujet de change management est énorme, et nous l’avons d’ailleurs adressé spécifiquement avec les ressources humaines. Nous avons mis en place un programme de formation en partenariat avec des universités pour engager une réflexion de façon éclectique sur le changement de posture nécessaire pour toutes nos équipes. Il s’agit de bien faire prendre conscience des nouveaux business models liés à la donnée. Bref, de donner les outils intellectuels pour que chacun puisse percevoir le changement et l’impact de cette évolution sur le fonctionnement au quotidien. C’est un très fort changement au niveau de l’IT mais pas seulement. Ce sont les 41 000 personnes du groupe qui doivent être accompagnées. Nous devons créer une appétence chez les collaborateurs. Faire en sorte que personne ne reste retrait.

Face à quels défis urgents êtes-vous pour les années à venir ?

Je vais volontairement n’en choisir qu’un, en écho à un mouvement de fond piloté par notre présidente, Marie-Christine Lombard : la volonté d’avoir une empreinte sociétale différente, notamment au niveau de l’environnement. La logistique aujourd’hui est encore trop peu efficiente pour y parvenir. Notre plus grand défi en tant qu’entreprise est de changer cet état de fait. Une fois que l’on a dit cela, il faut le traduire en actes et s’ancrer dans le réel. Et le réel, c’est la mesure : sommes-nous capables de mesurer précisément à quel stade nous en sommes ? La mesure actuelle de notre impact environnemental ne suffit pas. Nous devons pouvoir entrer beaucoup plus dans le détail pour prendre les décisions qui s’imposent. Les projets data dans notre écosystème devront permettre d’offrir cette capacité au plus grand nombre. Cela sous-entend des projets spécifiques : quel capteur faudra-t-il, dans quel camion ou dans quel conteneur ? Et comment partagerons-nous efficacement ces données avec d’autres partenaires ? Aujourd’hui, nos clients sont prêts à faire des compromis pour aller vers l’écoresponsabilité. Cette exigence s’intensifie et c’est aussi ce qui donne du sens aux transformations que nous menons.