Compétences – Les maths, indispensables dans le numérique?

En avançant dans leurs études, les élèves sont de plus en plus anxieux face aux maths, matière sélective par excellence qui menace de peser sur leur avenir. En avançant dans leurs études, les élèves sont de plus en plus anxieux face aux maths, matière sélective par excellence qui menace de peser sur leur avenir. Dans le domaine des TIC, qui recrute fortement et pour de nombreuses années encore, ne pas avoir de bonnes notes en maths est-il un handicap ?

Qui dit compétent en technologie pense aussitôt profil scientifique. Et qui dit profil scientifique sous-entend très souvent « matheux ». Les technologies de l’information et de la communication (TIC) n’échappent pas à ce raccourci qui s’apparente – en France surtout ! – à une sorte d’axiome, une vérité admise inutile à démontrer.

Les forts en maths, qu’ils sortent de l’une des prestigieuses écoles d’ingénieurs françaises ou, phénomène plus récent, d’une université, sont, dans ce secteur économique en pleine explosion, comme des poissons dans l’H2O. Ils lui fournissent, année après année, de forts contingents de têtes bien faites. Le lien entre les TIC et les mathématiques semble d’ailleurs si naturel que le ministère de l’Éducation nationale édite une lettre d’information au titre sans équivoque, La Lettre TIC’Edu Mathématiques, sur les usages, les ressources et les actualités de la discipline concernant la mise en œuvre des « Tice »*.

Outre-Atlantique, dans la Mecque des TIC, le tandem fonctionne aussi très bien. En Californie, les entreprises de la Silicon Valley réclament des ingénieurs à cor et à cri. À tel point qu’elles font pression sur leur président, Barack Obama, et sur son administration pour que les frontières du pays soient davantage ouvertes aux ingénieurs et informaticiens du monde entier, notamment aux Indiens, attendus pour phosphorer au pays d’AT&T ou de Google**.

 

L’Internet redistribue les cartes
Faut-il voir dans la relation très privilégiée entre les maths et les TIC un phénomène inexorable ou plutôt les traces d’un ancien pli ? L’étude réalisée par la conférence des grandes écoles (lire ci-contre) montre que dans notre pays, les ingénieurs s’orientent de moins en moins vers ce secteur à la sortie de leurs études. Le constat se lit dans les chiffres, mais ils appellent une réserve. Si les ingénieurs se dirigent moins vers le secteur des TIC en tant que tel, c’est aussi qu’ils feront la même chose « ailleurs »… dans les secteurs de l’automobile, de l’énergie ou de la banque, dans le commerce et la distribution ou pour de grands cabinets de consultants, etc.

Quoi qu’il en soit, l’ouverture du monde des TIC aux « non-matheux » est un réel mouvement de fond. Internet y est pour beaucoup. Avec l’expansion de ce nouvel univers entièrement multimédia, ce sont des maquettistes, des Web designers, des vidéastes, des journalistes et bien d’autres métiers non scientifiques, dont certains entièrement nouveaux, qui ont profité d’un formidable appel d’air. Pour le meilleur ? L’avenir le dira. Cette mixité récente a au moins le mérite de mettre fin à une forme de consanguinité dont on pouvait craindre, à terme, qu’elle appauvrisse le secteur.

 

Les ingénieurs se font plus rares dans les TIC
Cinquième secteur professionnel de destination des ingénieurs diplômés en 2013 (derrière les bureaux d’études et de conseil, les industries du transport, le BTP et l’énergie), les TIC occupaient la 2e place en 2007 ! 7 % des ingénieurs trouvent aujourd’hui un emploi direct dans les TIC, à la sortie de leurs études, soit autant que les diplômés des écoles de commerce. Presque deux fois plus d’ingénieurs (13 %) trouvaient un débouché dans les TIC en 2007. 7,3 % des femmes ingénieures diplômées se dirigent vers les TIC à ce jour. C’est leur 7e secteur de destination sur 11 classés !35 498 euros dans le secteur des TIC (services) et 36 650 euros dans celui des industries des technologies de l’information, tels sont les salaires annuels auxquels peuvent prétendre les ingénieurs à la sortie de leurs études. Ces niveaux de rémunération sont dans la moyenne des autres secteurs. Celui qui paye le mieux les jeunes ingénieurs est la finance, banques et assurances avec 40 230 euros par an.Source : Conférence des grandes écoles, 21e édition de son enquête L’insertion des diplômés des Grandes Ecoles, juin 2013.

 

 Alors, les maths, indispensables dans le numérique ?

Bruno Sauviac, directeur de la formation à l’école d’ingénieurs Télécom Saint-Etienne.

Bruno Sauviac, directeur de la formation à l’école d’ingénieurs Télécom Saint-Etienne.

OUI…

Bruno Sauviac, directeur de la formation à l’école d’ingénieurs Télécom Saint-Etienne.

« On a besoin de bonnes compétences en maths dès que l’on touche au transport de l’information et, plus précisément, au traitement du signal***. C’est-à-dire au cœur même des TIC. Ce sont des modèles mathématiques qui permettent aux machines d’analyser le signal à chaque seconde, pour ensuite répondre aux requêtes que nous leur adressons.

Citation

Certes, la plupart de ces objets sont devenus des outils d’usage courant que bon nombre de professionnels savent manipuler. Mais ce mode de fonctionnement a une limite. C’est un frein à l’innovation. Il ne suffit pas de savoir utiliser un instrument dans un environnement balisé pour innover. La première condition est d’être capable de résoudre les problèmes que l’on rencontre.

Pour cela, il est indispensable de comprendre l’outil de l’intérieur. On revient alors au point de départ : les TIC, et les métiers liés à l’infrastructure logicielle en particulier, sont principalement du domaine des matheux ! Les professionnels qui n’en font pas partie devront nécessairement s’en remettre à un spécialiste pour avancer. Encore faut-il en avoir un sous la main et être capable de parler un minimum sa langue… les mathématiques ! Ce n’est pas pour rien que quasiment 100 % des étudiants qui intègrent Télécom Saint-Etienne ont une formation scientifique.

 

Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de Ionis Education Group.*

Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de Ionis Education Group.

…MAIS PAR FORCEMENT

Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de Ionis Education Group.****

« Les métiers destinés aux matheux ne représentent pas plus de 10 % des professions du secteur des TIC. Logique. C’est un domaine d’activité excessivement vaste où il faut savoir programmer, mais aussi maîtriser le graphisme, la photo, la vidéo ou les techniques rédactionnelles. Autant de disciplines qui s’enseignent peu ou pas dans les écoles d’ingénieurs ! Pour réussir dans les TIC, et particulièrement dans le Web, l’essentiel est de posséder un esprit logique plutôt que proprement mathématique.citation

Une qualité que l’on peut également développer grâce à une solide formation en sciences humaines. La preuve. Les étudiants qui intègrent Sup’Internet [l’ école du Ionis Education Group qui forme aux métiers de l’Internet, ndlr] après un premier cycle d’études supérieures viennent d’horizons aussi variés que les mathématiques et l’informatique, certes, mais aussi l’économie, la communication, le commercial, l’histoire, les langues ou les lettres.

Les TIC sont avant tout une affaire de culture. C’est un univers avec lequel on est plus ou moins familier. Et si une partie de cette culture s’apprend dans les écoles, une bonne part se forge dans la pratique individuelle de ses différents domaines, à commencer par le Net.

Enfin, ce que l’on attend avant tout d’un professionnel des TIC, c’est sa capacité à écouter les besoins des utilisateurs et à les traduire. Là encore, ce n’est pas l’apanage des forts en maths. Un étudiant en école de commerce, très au fait des réalités de l’entreprise, sera parfois plus pertinent qu’un très bon ingénieur. »

 

 

http://eduscol.education.fr/maths/ticedu
** « La Silicon Valley veut plus de cerveaux en sciences et en maths », Agence France Presse, 20 février 2013.
* Signal : message simplifié et généralement codé qui désigne une donnée en train d’être émise dans l’informatique, les télécommunications et l’audiovisuel.
****Groupe privé d’enseignement supérieur, qui regroupe quinze écoles et 18 000 étudiants.

 

Cet article est extrait du n°5 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine