Des centres de données dans l’espace, le nouveau pari de la tech

 

Loger des puces et des serveurs au-delà de l’atmosphère : tel est désormais l’objectif affiché par plusieurs géants et start-up du secteur technologique. Tous y voient une réponse possible aux tensions d’approvisionnement en énergie et aux besoins exponentiels du numérique.

 

« L’idée, c’est qu’il sera bientôt plus logique de construire des centres de données dans l’espace que sur Terre », a affirmé fin octobre Philip Johnston, patron de la jeune pousse Starcloud, lors de la conférence FII à Riyad.Depuis quelques mois, les annonces s’enchaînent. La dernière en date vient de Google, avec son projet Suncatcher, qui prévoit le lancement de deux satellites tests dès 2027. Quelques jours plus tôt, Elon Musk annonçait que SpaceX pourrait bientôt déployer ses propres « data centers 2.0 » grâce à la version 3 de ses satellites Starlink, attendue en 2026. C’est d’ailleurs un lanceur de SpaceX qui a placé en orbite, dimanche, le premier satellite de Starcloud.

 

Un rêve de constellation numérique

 

Tous ces projets reposent sur une idée similaire : créer des constellations de satellites en orbite basse (LEO), placés à quelques centaines de mètres les uns des autres, afin de garantir une connexion stable entre eux. Le lien avec la Terre, lui, serait assuré par des faisceaux laser. « Nous avons déjà la preuve que c’est faisable », assure Krishna Muralidharan, professeur d’ingénierie à l’université d’Arizona, qui travaille sur le sujet. Selon lui, la technologie pourrait être commercialement viable entre 2032 et 2035. Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et propriétaire de Blue Origin, évoque quant à lui une échéance plus large, entre dix et vingt ans. Certains défis restent considérables : la résistance des processeurs aux radiations spatiales, les variations extrêmes de température, ou encore la maintenance d’infrastructures exposées à des débris et micrométéorites. « Il faudra de l’ingénierie innovante », admet Christopher Limbach, professeur d’ingénierie à l’université du Michigan. « Mais cela jouera surtout sur le coût, pas sur la faisabilité technique. »

 

L’espace, une promesse énergétique sans limite

 

L’un des principaux avantages de l’espace réside dans son accès illimité à l’énergie. Un satellite en orbite héliosynchrone bénéficie d’un ensoleillement constant, offrant à ses panneaux solaires une production environ huit fois supérieure à celle de leurs équivalents terrestres. Ce potentiel fait rêver les géants de la tech. Les besoins énergétiques explosent, notamment avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Or, la capacité électrique installée, surtout aux États-Unis, peine à suivre. Autre atout : aucune contrainte foncière ni réglementaire. Dans le ciel, pas de terrain à acheter, pas d’autorisations à négocier, et aucune nuisance pour les riverains.

 

Une viabilité encore à prouver

 

Sur le plan environnemental, Philip Johnston estime que les émissions d’un data center spatial représenteraient environ 10 % de celles d’un centre équivalent au sol, sans compter toutefois les lancements de fusées, dont l’impact reste lourd. Autre point positif : aucune consommation d’eau. Les satellites fonctionneraient avec un système de refroidissement en circuit fermé, semblable à celui des stations spatiales, éliminant ainsi tout gaspillage. Reste la question économique. « Le vrai sujet, c’est la viabilité financière », souligne Christopher Limbach. Jusqu’ici, le coût du transport freinait toute ambition. Mais l’arrivée annoncée de la mégafusée Starship de SpaceX pourrait tout bouleverser. Ce nouveau véhicule, réutilisable et capable d’emporter plusieurs fois la charge de la Falcon 9, devrait diviser les coûts de lancement par trente. « À ce prix-là, le coût global d’un data center spatial pourrait devenir comparable à celui d’un site terrestre », assure Travis Beals, responsable du projet Suncatcher chez Google.

 

Un nouvel âge pour l’économie spatiale

 

Pour la première fois, les industriels entrevoient la possibilité de modèles économiques viables pour l’espace. Les data centers orbitaux, longtemps relégués au rang de science-fiction, deviennent un champ d’expérimentation stratégique. Comme souvent, la frontière entre ambition et utopie reste fine. Mais à mesure que l’énergie terrestre se raréfie et que l’IA réclame toujours plus de puissance de calcul, le rêve d’un cloud interstellaire ne semble plus si lointain.