Le DSI, décodeur de l’IAG auprès des métiers

[SERIE What’s Next CIO IT-Métier] À l’occasion de la première rencontre What’s next, CIO ? organisée par Alliancy, plusieurs DSI ont évoqué l’importance de leur rôle de décodeur des enjeux technologiques et numériques auprès des métiers. Un engagement qui repose sur une relation de proximité et de compréhension des missions de chacun. 

>> Un article What’s Next, CIO ? L’observatoire des tendances stratégiques et opérationnelles des DSI

Ne parlez plus de directeur des systèmes d’information : « La direction du numérique est un partenaire de la transformation », assure Hélène Brisset, directrice du numérique au sein d’Île-de-France Mobilités. Au-delà de la gestion du système d’information, l’arrivée de la data, de la cybersécurité et de l’intelligence artificielle a transformé le rôle des directions. Historiquement tournées vers l’IT, ces dernières prennent désormais une mission plus globale de décodage de la technologie et de son impact sur l’organisation.  

Le débat sur les nouvelles réalités de la relation IT-métiers, organisé en février dernier par Alliancy dans le cadre de son programme What’s next, CIO ?, a mis l’accent sur la terminologie employée dans les entreprises, mais pas seulement. « Avec cette ouverture vers le monde qui est en train de se construire, nous nous devons de décrypter les tendances », juge Hélène Brisset. Et de décrire la situation dans son organisation : « Au sein d’Île-de-France Mobilités, ma direction est la plus récente. Créée en 2022, elle est désormais l’un des piliers du Comex [comité exécutif]. Elle ne pouvait plus être cachée, au fond de l’organigramme, à travers des services de gestion des infrastructures numériques. » 

Éducation ou proximité ? 

La première rencontre du programme Whats Next CIO a été organisée à la Maison de la Recherche à Paris le 28 février 2024« Le terme qui fâche, c’est bien “éduquer” », remarque pour sa part Jean-Marc Penelaud. Le directeur de la relation client de La Redoute observe cette position délicate de la DSI, entre les objectifs fixés par la direction et les besoins des métiers. « Du côté métier, se faire éduquer sur les aspects liés au numérique, ce n’est pas facile à entendre », indique-t-il. Mais il ajoute : « Dans l’autre sens, nous pouvons d’ailleurs aussi éduquer les membres de la DSI quant à nos missions et nos besoins ». Cet échange d’informations à double sens n’est en fait vertueux qu’avec une compréhension mutuelle et une certaine proximité assumée. « Les meilleures expériences que j’ai pu connaître avec la DSI sont lorsqu’un de ses membres était directement impliqué auprès des métiers au quotidien. Sinon on ne parle pas le même langage », précise le directeur de la relation client de La Redoute.  

Réduire la distance entre les utilisateurs et les spécialistes IT est également la position partagée par Yann Ludmann, directeur des solutions et innovations numériques (DSIN) chez Nexity. « Si le patron de chacune des équipes est curieux de comprendre les missions de chacun, alors la relation fonctionne très bien », indique-t-il. Il pointe, ici, le choix primordial des personnes sur lesquelles repose la bonne entente  IT-métiers. Les qualités humaines comme l’empathie, la capacité à se mettre dans les bottes de son vis-à-vis, jouent ainsi pour beaucoup dans l’équation. Pour Christophe Huerre, DSI Groupe de Thales, cette compréhension mutuelle doit d’ailleurs être alimentée par des rencontres très régulières, instituées dans la durée, à la fois à des niveaux stratégiques et opérationnels. 

« Avec le Comex, nous discutons des grands objectifs métiers afin d’en déduire les moyens digitaux à mettre en œuvre, illustre-t-il. Au niveau opérationnel, nous vérifions que notre budget est suffisant pour les délivrer et, le cas échéant, nous évaluons les priorités ». Côté métier, au sein de La Redoute, Jean-Marc Penelaud connaît bien ces rencontres avec la DSI. « Nous en organisons tous les mois pour faire le point sur les priorités. Et, en général, on décale les miennes ! », ironise-t-il avant d’insister sur l’importance de cette proximité. « Il faut développer cette proximité, car on a vraiment besoin de la DSI. Il faut créer ce lien, c’est la clef de la réussite pour le numérique ». 

Face à l’innovation, trouver des cas d’usage 

De gauche à droite - Yann Ludmann Nexity Jean-Marc Penelaud La Redoute et Hélène Brisset Île-de-France MobilitésDans son rôle de partenaire de la transformation, face aux changements  technologiques, la DSI se doit d’appréhender les innovations et de convaincre l’entreprise d’investir sur certaines problématiques. Pour Yann Ludmann, chez Nexity, sa direction doit mettre en place un véritable « marketing IT ». « C’est un moyen de mettre en valeur les réalisations de la DSI, pour s’assurer que l’entreprise consent à investir sur certaines problématiques. C’est un marketing qu’il faut assumer auprès des métiers », explique-t-il. En la matière, le boom de l’IA générative (IAG) est perçu comme un facilitateur. Sa démocratisation a été, en effet, telle qu’il n’a pas été nécessaire de chercher à ouvrir beaucoup de portes pour convaincre les collaborateurs ou même les membres de la direction. 

« D’un coup, tout le monde a eu un avis sur ChatGPT, reconnait Christophe Huerre. Il y a eu une diffusion très positive auprès des patrons ; comme une forme de découverte, de prise de conscience. Et nous avons donc fait en sorte de ne pas laisser passer l’occasion », assure-t-il, en pointant le fait qu’occuper le terrain est forcément une nécessité pour les directions du numérique, quand bien même de nombreuses questions subsistent.  

En la matière, la première étape pour la DSI de Thales a été de trouver des axes de création de valeur qui parlent aux métiers, notamment à travers certains cas d’usage emblématiques. « Chez certains acteurs, il y a certes eu des use cases, mais rien qui nous a fait tomber à la renverse », confie-t-il. Le risque est alors de ne pas marquer durablement les esprits, et de rater le tournant d’une fédération des forces vives autour de projets qui vont susciter l’engouement. 

Lutter contre les effets médiatiques et marketing de l’IAG

Le DSI du Groupe Thales Christophe Huerre à gauche échange avec les participants réunis lors de la rencontre Whats Next CIOUn autre point sur lequel les directeurs du numérique interrogés s’accordent est que la démocratisation de l’IAG, mise soudainement dans les mains de tous, a évidemment créé des risques pour la confidentialité de certaines données sensibles. De quoi rendre la qualité du dialogue IT-métiers fondamental pour accompagner la dynamique d’innovation, sans compromettre la sécurité d’une organisation.

Le « blocage » d’un ChatGPT ne peut s’accompagner, ainsi, que d’une proposition constructive de la part des directions IT, à travers d’autres outils du marché ou par le développement de solutions propres. Dans tous les cas, l’accompagnement des métiers doit être rapide, très engagé et pédagogique. Pour ne pas créer de frustration dommageable au reste de la relation et des projets, le niveau de dialogue autour de l’IAG doit donc être exemplaire et peut, même, servir d’étalon pour les autres sujets technologiques. 

« Pour les métiers, l’IAG est une vraie révolution », insiste Jean-Marc Penelaud. S’ils peuvent avoir des idées de cas d’usage rapidement, il estime également que les métiers doivent gagner de l’expérience pour pouvoir construire des débouchés concrets intéressants. Autrement dit, il faut mettre la main à la pâte, le plus tôt possible, pour pouvoir s’investir sur les véritables combats.

En effet, le problème de la démocratisation est aussi que de nombreuses idées fausses, comme des raccourcis, se sont formées ces 18 derniers mois dans l’imaginaire professionnel. Les directeurs du numérique réunis par Alliancy ont tous des anecdotes à partager sur certaines déclarations, entendues dans leur organisation, les laissant perplexes. La portée médiatique et marketing autour de l’IAG n’est, il est vrai, pas exempt d’effets pervers.  

« Nous avons un rôle d’ambassadeur sur ce sujet », assure Hélène Brisset au sein d’Île-de-France Mobilités. « Nous devons être malins », ajoute-t-elle. En vue des JO de Paris 2024, Île-de-France Mobilités a mis en place une solution de traduction multilingue dans les transports grâce à l’IAG. « Le coût de l’opération est très faible et l’usage est très positif », affirme-t-elle. Un pragmatisme qui repose sur des cas d’usage clairs, définis grâce au travail conjoint de la DSI et des métiers. Avec comme juge de paix la lisibilité de la valeur apportée.