[Tribune] Eco-conception des services numériques : qu’apporte la nouvelle AFNOR SPEC ?

Face à l’augmentation des gaz à effet de serre (4% des émissions mondiales) due au numérique, l’action des organisations est devenue un enjeu primordial. Ce constat alarmant et l’accroissement à venir de ce chiffre appellent les différents acteurs à prendre des mesures concrètes visant à la fois à réduire ces émissions, mais également à répondre aux besoins de leurs clients en termes de services numériques plus respectueux de l’environnement. Amina Lahlali, consultante chez Square Management, nous livre son analyse.

Pour répondre à ces problématiques, l’Association française de normalisation (AFNOR) publiait en avril 2022 un guide sous la forme d’une AFNOR SPEC « Ecoconception des services numériques », fournissant des bonnes pratiques à toutes les organisations qui souhaitent réduire l’impact environnemental de leurs services numériques.

Pourquoi l’écoconception doit concerner également les services numériques ?

Il y a de cela 4 ans, The Shift Project, think tank de la transition carbone, avait tiré la sonnette d’alarme en prévoyant 4%[1] des GES générés par le numérique en 2020, soit une part plus élevée que celle de l’aviation civile. S’il suit le taux de croissance actuel, ce chiffre doublera d’ici 2025 pour atteindre celui de l’automobile, secteur réputé beaucoup plus énergivore et pollueur jusqu’ici. Le taux d’émission de GES est étroitement lié à la consommation énergétique nécessaire à la fabrication et l’utilisation des infrastructures numériques. Cela fait de lui un bon indicateur de l’impact écologique et sa réduction correspond aux objectifs de transition fixés par les institutions nationales et internationales. De ce fait il retient tout de suite notre attention.

Cependant, les dégâts ne s’arrêtent pas là ; l’impact du numérique est beaucoup plus large : extraction de ressources non-renouvelables (minerais, métaux, etc.), consommation d’eau, dégradation et pollution des écosystèmes…etc. Bien que la fabrication de nos objets numériques soit de loin la phase qui pèse le plus lourdement sur l’environnement, et ce, davantage que leur utilisation[2], elle ne constitue que la source visible de la pollution numérique. En effet, derrière les terminaux et périphériques numériques que nous utilisons, se cachent toutes les infrastructures (réseaux de transmissions, centres informatiques, data centers) faisant tourner les services numériques qui prennent une place prépondérante dans nos vies. Que ce soit pour participer à une réunion en visio, consulter un document sur l’intranet de l’entreprise, envoyer des mails, ou regarder des vidéos en ligne, l’ensemble de ces services ont un impact sur l’environnement de par leur fabrication et leur usage. En outre, plus les logiciels et services numériques sont gourmands, plus ils ralentissent les terminaux utilisateurs. Cela contribue à l’accélération de l’obsolescence de ces équipements dont les composants sont de plus en plus miniaturisés et complexifiés, les rendant difficilement réutilisables en l’état, et créant ainsi plus de déchets électroniques qui ne sont pas toujours traités ou recyclés, induisant ainsi à de nouvelles fabrications.

Comment écoconcevoir ? Et quel cadre réglementaire ?

Amina Lahlali, consultante chez Square Management

Amina Lahlali, consultante chez Square Management

Selon la croyance commune, le numérique constitue une des réponses principales au changement climatique. Ce qui, jusqu’à présent, a permis à ce secteur de profiter d’un régime d’exception sur les questions environnementales. Pourtant, son impact est bien réel, et toutes les organisations sont concernées. Elles doivent répondre à un enjeu planétaire pour le limiter.

Pour y parvenir, plusieurs approches en terme de performance environnementale du numérique (l’IT for Green, Green IT, Ecoconception…), et des acteurs engagés comme l’INR (Institut du Numérique Responsable), auteur du GR491 (le guide de référence de conception responsable de services numériques), apportent des méthodologies aux organisations désireuses de s’impliquer volontairement.

En terme de normalisation, l’écoconception d’un bien ou d’un service fait l’objet de la Norme IEC62430. Pour les services numériques, l’écoconception doit tenir compte de « l’ensemble des composants du service numérique (terminaux ou objets connectés, réseau, serveurs), du cycle de vie (norme ISO 14040 et ISO 14044) des équipements nécessaires au service (extraction/fabrication, transports, usage et fin de vie) ainsi que des différents indicateurs environnementaux pour éviter les transferts de pollution ». [3]

Dès lors, en sus des dispositions réglementaires en vigueur visant à lutter contre le gaspillage et favoriser l’économie circulaire, a été mis en place un guide AFNOR SPEC 2201 proposant un ensemble de bonnes pratiques en matière d’écoconception tout au long du cycle de vie des services numériques, c’est-à-dire depuis l’expression et la priorisation des besoins jusqu’à la conception, la réalisation, l’utilisation, l’exploitation, la maintenance et le décommissionnement du service numérique 5

Cette AFNOR SPEC[4] vient compléter, avec cette approche par le Cycle de vie, le RGESN (Référentiel Général d’Ecoconception de Services Numériques sorti en octobre 2021) lequel était davantage un cadre général pour réaliser un audit ou un auto-audit d’un service numérique. Elle se compose de 32 fiches de bonnes pratiques, chacune d’elles contenant des objectifs et proposant des modes et moyens de contrôles clairs et concis permettant ainsi de toucher un large public, avec pour objectif une diffusion au niveau international.

 

***

[1] LEAN ICT – pour une sobriété numérique – Rapport du groupe de travail dirigé par Hugues FERREBOEUF pour le think tank The Shift Project – Octobre 2018 : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf

[2] Guide pratique La face cachée du numérique – Réduire les impacts du numérique sur l’environnement. ADEME – Janvier 2021 : https://librairie.ademe.fr/cadic/4932/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf?modal=false

[3] AFNOR

[4] Contrairement à une norme, une AFNOR SPEC a une durée de vie initiale de trois ans. A l’issue de cette période, elle peut être soit transformée en norme, soit annulée et retirée de la collection. « Une AFNOR SPEC ne peut pas être élaborée lorsqu’un projet de norme sur le même sujet est prévu au programme de travail d’une commission de normalisation. […] et ne peut pas contredire une norme française. » . Elle est conçue « pour les acteurs économiques, en particulier ceux de l’innovation, qui manifestent un besoin immédiat de document de référence. » en proposant rapidement un premier document rapidement qui représente un consensus national pour ensuite éventuellement pouvoir le porter au niveau européen ou international. https://normalisation.afnor.org/