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Et si prendre des risques était le pari le moins risqué pour notre industrie ?

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Pascale Ribon, directrice de l’Estaca (école d’ingénieurs post-bac spécialisée dans les transports et la mobilité).

Les ingénieurs sont notre meilleur atout pour redonner à l’innovation française tout son éclat. La nouvelle génération a soif d’entreprendre et rêve de conquérir ce monde qui émerge.

L’industrie est morte ! Vive l’industrie ! C’est le message qui est au cœur du projet de Nouvelle France industrielle porté par le gouvernement en réponse au paysage économique auquel notre pays doit faire face : le démantèlement progressif de notre tissu industriel, les plans sociaux à répétition et l’exil des forces vives de l’innovation française frustrées par la frilosité de nos entreprises durement touchées par la crise. Pour stopper l’hémorragie, l’exécutif a dégainé ses « 34 plans pour une nouvelle France industrielle », repensés depuis, avec une nouvelle ambition pour « l’industrie du futur ». Une industrie où le numérique jouerait un rôle de premier plan et permettrait la robotisation et la dématérialisation de nos systèmes de production sans que les salariés payent le prix de la modernité. Mais la vision d’une usine numérisée et robotisée est-elle réellement novatrice ? Un simple coup d’œil à l’intérieur d’une chaîne de production automobile suffit à réaliser que robots, ordinateurs et salariés cohabitent déjà. Nous n’en sommes plus à la première révolution industrielle. Il faut voir bien au-delà.

La France est dans une situation paradoxale vis-à-vis de la ScreenHunter_209 Aug. 27 10.18 conquête de ce nouveau monde d’aujourd’hui dont le numérique nous ouvre les portes : les français font la course en tête en tant qu’utilisateur, grâce d’ailleurs à un très bon niveau de confiance porté par une législation qui les protège, mais les entreprises restent frileuses. Leur âge et leur culture n’y sont pas pour rien. Parmi les 100 premières entreprises françaises, une seule a moins de trente ans : Free. Aux États-Unis, ce sont presque les deux tiers qui ont moins de trente ans, et les colosses du digital sont en nombre et trustent les premières places.

Le développement continu des technologies numériques va permettre l’émergence d’usages et donc de biens et services encore insoupçonnés. La moitié des biens et services qui sont produits aujourd’hui en France, n’existaient pas il y a 30 ans. On ne peut donc avoir une vision précise de la forme que prendra notre industrie dans 10 ou 20 ans. Au-delà des outils, c’est toute l’organisation du travail au sens large et probablement même de la société, qui s’en trouve bousculée. Dès demain, on le sait, grâce aux nouvelles technologies du numérique et de l’impression 3D, le consommateur pourra être à la fois designer et constructeur de son propre bien de consommation. Alors quelle place et quel rôle l’ingénieur a-t-il à jouer au sein de cette « Nouvelle France industrielle » ?

Visionnaire et pragmatique

Les ingénieurs sont des bâtisseurs, des porteurs de projets. Les sciences et les technologies sont leurs matériaux de base pour inventer de nouveaux usages et de nouvelles réponses aux problèmes actuels de leurs concitoyens. Ils sont notre meilleur atout pour redonner à l’innovation française tout son éclat. A la fois visionnaire et pragmatique, l’ingénieur de demain sait dépasser l’existant pour trouver des innovations de rupture tout en étant conscient des contraintes techniques qui jalonnent chaque projet. L’ingénieur de demain est à l’interface de multiples enjeux, un créateur de liens capable d’embrasser la complexité d’un projet en mobilisant les expertises et les savoirs, en faisant travailler dans une même direction des acteurs aux cultures, aux méthodes, et aux modes de pensée différents. Enfin, l’ingénieur de demain est un communicant, capable de décoder aux publics les moins experts, du citoyen au décideur politique,  la pertinence des solutions technologiques, et de tordre le coup aux rumeurs angoissées portées par la faible culture scientifique de notre société.

C’est ici que nous, écoles d’ingénieurs, tenons notre part de responsabilité. Nous devons préparer les jeunes générations à évoluer dans cet environnement complexe et encourager leur créativité et leur engagement. À l’ESTACA, nous développons de nouveaux modèles pédagogiques pour privilégier le travail collaboratif sur des projets concrets et complexes : la voiture autonome, l’avion plus électrique, les systèmes embarqués. L’enjeu est tout autant de leur donner le bagage technique nécessaire à la mise en œuvre ces projets, que de les aider à développer le leadership d’influence qui leur permettra, en entreprise, en PME ou dans leur propre start-up, de piloter les différentes composantes d’une équipe.

Ne nous y trompons pas : en rupture avec une certaine France dépressive pour qui le monde du travail est devenu synonyme de risques psycho sociaux, la nouvelle génération que nous formons actuellement bouillonne d’idées et d’enthousiasme ! Elle a soif d’entreprendre et rêve de la Sillicon Valley. Son horizon n’est pas celui des 35 heures, elle rêve de conquérir ce nouveau monde qui émerge. L’industrie française, les pouvoirs publics doivent se donner les moyens de conserver cette énergie créatrice sur notre territoire, en ne repensant pas seulement les outils, mais aussi les organisations et les processus de travail, sans parler des règlementations. Trop de talents sont étouffés par des lourdeurs dont le seul but est de maintenir une forme de statu quo. Trop de projets novateurs restent confinés dans les tiroirs, freinés dans leur élan au nom du très français « principe de précaution ».

Nous devons faire confiance et donner les moyens de sa réussite à cette génération naissante, sans quoi, toute la France passera à côté de la transformation numérique qui remodèle actuellement notre monde. La création de valeur continuera de se faire ailleurs et sans nous.