Lors de l’Investment Day 2025, à la Caisse des Dépôts, la Commission européenne a défendu une idée inattendue : transformer la contrainte réglementaire en moteur de compétitivité. Le projet FINE en pose les premiers jalons concrets.
Lourde, lente, tatillonne ? Oui, mais pas uniquement. L’Europe, en phase avec ses travers réglementaires, tente désormais de les retourner à son avantage. Et c’est d’ailleurs l’essence même du projet FINE, Fintech Investment Network Europe, dévoilé à Paris lors de l’Investment Day. Soutenu par la Commission européenne, il a mobilisé treize pays pour cartographier les écosystèmes fintech, créer une académie d’investisseurs et formuler des recommandations politiques. Loin d’un exercice bureaucratique, FINE vise à rendre l’investissement plus fluide, plus inclusif, plus lisible. « La création d’un outil de cartographie en ligne offre une vue d’ensemble inédite du paysage fintech européen, y compris dans des régions encore émergentes », explique Stella Konakchieva, project officer à EISMEA. L’initiative met en lumière un tournant stratégique : faire de la règle un atout de confiance, plutôt qu’un frein à l’innovation.
Une régulation assumée comme “marque de fabrique”
L’idée aurait pu faire sourire il y a dix ans. Mais aujourd’hui, certains juristes et investisseurs y voient une véritable stratégie de différenciation. « Une régulation claire, proportionnée et cohérente peut devenir l’un des plus puissants outils de marque de l’Europe », affirme Marion Perez-Brillo, head of fintech chez Elco Legal. L’exemple du règlement DORA, qui impose une norme commune de cybersécurité et de résilience opérationnelle, illustre cette logique : transformer la prudence en label. Dans le secteur financier, cette marque de confiance séduit aussi les investisseurs étrangers. « Un investisseur américain n’a qu’à s’adresser à un régulateur national, comme l’AMF en France, et son agrément s’étend ensuite à toute l’Union », explique David Manjarres, general partner chez Seventure Partners. C’est le principe du passeport européen : un agrément obtenu dans un pays membre ouvre automatiquement l’accès aux 26 autres. En somme, un marché unique adossé à une seule autorité compétente. Une mécanique qui fait de la conformité un argument d’attractivité plutôt qu’un fardeau administratif.
Le prix du cadre : lenteur, coût et disparités
Cette promesse, pourtant, reste inégale sur le terrain. Petites fintechs et start-up paient encore le prix fort de la complexité européenne. L’harmonisation existe sur le papier, mais la mise en œuvre diffère d’un pays à l’autre. « On ne peut pas demander à une start-up dotée de quelques millions d’euros le même niveau de conformité qu’à une banque », rappelle David Manjarres. Pour Marion Perez-Brillo, la solution repose sur un triptyque : « Proportionnalité, phasage, partage. » La proportionnalité, pour calibrer les obligations selon la taille des acteurs ; le phasage, pour instaurer une montée en charge progressive ; et le partage, afin d’éviter les interprétations nationales qui brouillent l’harmonisation. Elle cite le cas du règlement MiCA, consacré aux crypto-actifs. Entré en vigueur en 2023, il prévoit une “clause de grand-père”, une période transitoire pendant laquelle les acteurs déjà enregistrés peuvent continuer à opérer jusqu’en juillet 2026 avant de se conformer au nouveau cadre. Un dispositif qui illustre l’esprit recherché : protéger sans étouffer. Dans la salle, plusieurs experts ont rappelé que cette fragmentation réglementaire crée encore des poches de complexité. Tant que les autorités nationales appliqueront les textes à géométrie variable, l’Europe restera « une promesse inachevée », selon un participant.
De la conformité à l’intelligence réglementaire
Pour sortir de cette inertie, les intervenants appellent à une “smart regulation” européenne, c’est-à-dire une approche pragmatique, fondée sur la coopération et l’expérimentation. Les regulatory sandboxes, ces espaces où les fintechs testent leurs innovations sous supervision allégée, en sont le symbole. Problème : ils restent nationaux. Chaque État décide de son cadre, créant de nouvelles asymétries. « La régulation doit être proportionnée, phasée et partagée », insiste Marion Perez-Brillo. À Bruxelles, Stella Konakchieva défend déjà un nouvel outil, le European Business Wallet, une identité numérique unique pour les entreprises. « Il facilitera le partage sécurisé de données entre opérateurs économiques et administrations », précise-t-elle. Une avancée technique, mais surtout politique : l’Europe tente d’incarner une innovation régulée, capable d’allier sécurité et agilité.
Face aux Big Tech, la stratégie de la “contestabilité”
Reste la question du rapport de force avec les géants américains et chinois. Faut-il verrouiller le marché européen pour protéger ses acteurs ? « Les Big Tech disposent d’énormes volumes de données et pourraient dominer le secteur si elles entraient à plein régime », prévient David Manjarres, évoquant le futur cadre FIDA sur le partage des données financières. Mais la réponse ne réside pas dans l’isolement. « Il ne faut pas dresser des murs, mais rendre le marché européen contestable », défend Marion Perez-Brillo. Autrement dit, offrir aux nouveaux entrants des conditions équitables face aux géants du numérique. Les directives PSD2, PSD3 ou les projets FIDA incarnent cette philosophie : ouvrir pour mieux résister, créer un marché concurrentiel où la conformité devient un bouclier. Un modérateur a résumé le consensus du panel : « Aidons nos start-up à devenir les prochains Google, pas à bloquer Google. » L’Europe veut se battre à armes égales, avec pour seule différence la confiance.
La confiance comme avantage compétitif
Au-delà du secteur fintech, l’Europe cherche à transformer son ADN normatif en pouvoir d’attraction. Dans un environnement technologique saturé d’incertitudes, la conformité européenne devient un label de sécurité. Cybersécurité, durabilité, protection des données : autant de piliers d’un modèle exportable. La conclusion de Stella Konakchieva résonne comme un manifeste : « L’innovation européenne ne se fera pas contre la régulation, mais avec elle. » Ce n’est plus une contrainte administrative, c’est une stratégie d’influence. Là où les États-Unis misent sur la vitesse et l’Asie sur la masse, l’Europe fait le pari de la confiance comme avantage compétitif. Si elle réussit, sa lourdeur légendaire pourrait bien devenir son atout le plus envié.
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