« Il faut faire comprendre l’urgence de l’IA et de la tech aux TPE-PME dans tous les territoires »

 

De la géopolitique aux réalités d’adoption de l’IA dans les territoires, Les Assises du Numérique, dont Alliancy est partenaire, se tiennent à La Baule les 26 et 27 juin et proposent un riche programme d’échanges et d’intervenants. Jacques Moulin, directeur général du Digiworld Institute, organisateur de la rencontre, livre son regard sur les priorités d’action actuelles.

 

 

Pourquoi organiser des Assises du Numérique à La Baule avec pour thème « Tech for Citizen » ?

 

« Tech for Citizen » pose la question de la relation des citoyens à la technologie. C’est un sujet européen de premier plan : on assiste à une multiplication des fake news et des remises en cause de la science alors que, dans le même temps, les technologies et les sciences font des progrès importants. Paradoxalement, alors que l’IA avance, on perçoit aussi une forme de retour en arrière. Depuis la période du Covid, on a l’impression que l’on va vers un refus de « la chose complexe ». Or, Rabelais le dit bien : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». En Europe, nous risquons la ruine de la démocratie. C’est une préoccupation que nous abordons avec le philosophe et physicien Étienne Klein à La Baule.

Plus largement, l’IA permet d’atteindre des rivages nouveaux sur le futur du travail et l’organisation de l’économie. Mais tout va très vite : il nous faut un point d’étape sur la façon dont l’Europe doit se saisir de ces capacités pour rester un continent compétitif. Pour beaucoup de pays européens, et plus encore pour la France, la question supplémentaire dans ce contexte est : comment faire en sorte d’emprunter ce chemin sans être un dominion de grandes plateformes, chinoises ou américaines ? Nous faisons face à un important sujet de productivité, comme le souligne Jean-Hervé Lorenzi, le président des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Si la France a été ces dernières années une terre d’attractivité pour les investissements étrangers, on constate que le nombre de fermetures d’usines est très préoccupant. Les friches industrielles ont une conséquence sur notre société numérique ! De même que le décrochage des TPE et PME.

 

C’est aussi ce sujet de l’adoption technologique chez les TPE-PME qui rend nécessaire une approche territoriale ?

 

On voit effectivement que les TPE-PME sur le territoire échappent majoritairement à la révolution tech, et passent en particulier à côté de la révolution de l’IA. Un correspondant en région du Medef m’a expliqué qu’il était difficile de mettre l’IA au programme dans la feuille de route des adhérents, car leurs sujets étaient plus le remboursement des « prêts Covid » et les chocs économiques immédiats, comme les droits de douane, amenés par le contexte géopolitique. C’est révélateur. Pourtant, c’est bien parce que nous sommes face à un président américain qui provoque des déséquilibres majeurs qu’il est plus que jamais essentiel de redéfinir la feuille de route numérique de notre société. Si on laisse passer cette bataille, l’Europe va devenir un musée : peut-être qu’elle préservera ses valeurs, mais elle ne sera pas compétitive pour lutter.

 

Les Assises du Numérique de La Baule ont donc une importante dimension programmatique ?

 

L’idée est de poser les faits clairement : comment co-construire cette feuille de route du numérique pour que les autorités publiques et les syndicats professionnels puissent s’emparer des propositions d’action de nos membres. Nous proposons un lieu de rassemblement et de travail entre des hommes et des femmes de bonne volonté qui représentent des groupes industriels, des TPE, des PME, des start-up… mais aussi des régions de l’Île-de-France à la Bretagne, et le monde académique. Quand nous avons présenté nos travaux devant le groupe numérique du Sénat, celui-ci a validé les pistes que nous avons esquissées. En accord avec le sénateur Chaize, nous avons donc convenu d’avancer et de revenir devant les parlementaires pour présenter le fruit de nos travaux de La Baule. Dans ce contexte, l’idée n’est pas juste de parler d’Europe : notre think tank a à cœur la défense des territoires. La technologie est source de progrès pour eux. Nous abordons le sujet à travers de nombreux axes différents : l’analyse géopolitique du Trumpisme, avec l’ancien ambassadeur aux États-Unis Gérard Araud, une grille de lecture des conflits en Europe et au Moyen-Orient avec le correspondant de guerre et géopoliticien Renaud Girard. Nous décortiquons aussi la proposition de valeur de l’IA qui transforme les géants de la tech, autant que son impact sur les territoires eux-mêmes. Nos focus sont aussi sectoriels, en matière de cybersécurité ou sur le monde des télécoms, de la Défense, de l’industrie… Ces Assises du Numérique sont donc une véritable étape de co-construction avec nos membres. Elles sont placées depuis 2017 sous le Haut Patronage du Président de la République. Et la ministre déléguée au numérique Clara Chappaz a l’opportunité de réagir à nos propositions. La rencontre de La Baule n’est d’ailleurs qu’une étape, nous rencontrerons prochainement le MEDEF, le Conseil national de l’IA et du numérique, ainsi que différents ministères.

 

Quels sont les thèmes technologiques sur lesquels les actions vous semblent les plus urgentes à mener ?

 

Il y a évidemment l’IA agentique, sur laquelle nous travaillons depuis des mois. En 2025, il est plus que jamais nécessaire d’aborder les questions de l’évolution des compétences et des cycles de production. De plus, nous devons penser les révolutions à venir, pas seulement celle en cours. C’est pourquoi s’intéresser au quantique est primordial, pour faire le lien entre la révolution actuelle et celle qui arrive. Mais si l’on précise le sujet du point de vue des territoires, une problématique majeure est celle de l’industrie 5.0. Il faut reconnaître que la France a progressé en matière d’automatisation et qu’il y a eu un fort impact du plan d’investissement France 2030. Toutefois, nous ne sommes pas au rendez-vous de la 5G industrielle… Les TPE/PME échappent au déploiement de cette technologie… Or, elle apporte une cyber-résilience essentielle. Une autre préoccupation pour les territoires est la question médicale. En la matière, un focus sur les medtechs est également nécessaire. L’idée est d’aborder le territoire sous l’angle d’un écosystème innovant : qu’est-ce qui va faire que les TPE-PME, qui représentent la majeure partie de notre économie locale, puissent rester pertinentes ?

 

S’adresser directement à des acteurs de petite taille sur tout le territoire est souvent difficile. Comment être entendu ?

 

Nous avons déjà la chance en France d’avoir de nombreuses structures qui interviennent en ce sens : le MEDEF, les délégués régionaux de la banque de territoire, BPIfrance, la French Tech… Ce qu’il nous manque, je pense, est un certain ordonnancement… Comment mieux fédérer et embarquer les acteurs ? Quels sont les conglomérats pertinents pour faire en sorte qu’il y ait une compréhension généralisée de l’urgence de l’IA et de la tech chez les TPE-PME ? Et les orienter vers les compétences associées. Nous voulons donc mailler les acteurs entre eux, casser les silos qui se sont construits, notamment pour mieux organiser les investissements. C’est pourquoi nous nous adressons autant aux législateurs au niveau national qu’aux représentants des territoires. Que ce soit à La Baule actuellement ou à Montpellier où nous avons été pendant longtemps, ou encore demain dans d’autres lieux, nous revendiquons cet ancrage. Les friches industrielles sont un cauchemar pour l’économie et la démocratie… Or, la tech permet d’apporter des solutions de rapprochement, des réponses en termes de compétences, de productivité, de compétitivité. Pendant des années, l’accent a été mis sur l’accès à tous du Très Haut Débit, mais il y a d’autres technologies qu’il faut rendre accessibles à tous… et développer l’esprit critique qui va avec. Comprendre le numérique, l’IA, et les biais associés, est le pendant nécessaire pour tirer parti de l’innovation. C’est pourquoi nous appelons aussi à une vigilance citoyenne, sans catastrophisme ! Nous devons porter une vision éclairée du numérique partout, dans toutes les régions de l’Europe et dépasser les concurrences territoriales qui existent parfois.