[Edito] Gabriel Attal veut faire marcher la bureaucratie à la baguette… magique de l’IA.

C’est à Albert que reviendra la difficile mission de « débureaucratiser » la France. Tout du moins en partie. Le 23 avril, à la suite d’un comité interministériel dédié à la transformation publique (le 8e de la sorte) dans les Hauts-de-Seine, le Premier ministre Gabriel Attal a indiqué qu’il voulait voir l’intelligence artificielle générative se déployer partout dans l’administration. Et cette IA générative devra être « 100% souveraine » pour les services publics. Le projet « Albert », puisque c’est de lui dont il s’agit, avait été déjà mis en avant l’an dernier. La direction interministérielle du numérique (Dinum) avait ainsi surfé sur les expérimentations en cours dans le secteur public à partir de solutions du marché, pour détailler les enjeux de cette IA « maison » et de ses infrastructures.

La généralisation sera progressive, mais elle devrait, selon Gabriel Attal, toucher un large pan de l’administration : dépôts de plainte, gestion RH des fonctionnaires, audiences judiciaires… ou encore lutte contre les feux de forêt. Tchap, la messagerie instantanée utilisée par les agents des trois fonctions publiques, doit elle aussi bénéficier des apports de l’IA conversationnelle pour que son expérience s’approche de celle d’un ChatGPT ou consort.

Avec une IA chargée des « tâches répétitives », le Premier ministre estime pouvoir remettre « l’humain au cœur des services publics » en permettant aux agents de se concentrer sur la relation avec les usagers. Une promesse clé pour donner du sens à cette initiative et sur laquelle le gouvernement sera plus qu’attendu. Mais un outil reste un outil, et en soi, il ne peut provoquer ces changements profonds de lui-même, comme le savent les spécialistes de la transformation. Albert ne sera pas une baguette magique : la « débureaucratisation » appelle à des changements qui ne sont pas (seulement) technologiques.

Pour s’en convaincre, il suffit de se tourner vers les annonces qui ont succédé à celle du Premier ministre sur la transformation de l’administration. En effet, la promesse de simplification pour les services publics, se fait en miroir au plan de « simplification de la vie économique » présenté par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le lendemain, visant à réduire le poids réglementaire qui pèse sur les entreprises. Selon le ministre, la complexité administrative consomme par exemple un jour par semaine aux dirigeants de TPE-PME, pour un manque à gagner qu’il estime à 3% du PIB, soit 84 milliards d’euros chaque année.

Bien entendu, pour ce qui relève du privé, le gouvernement ne peut annoncer le déploiement généralisé d’une IA : tout au plus peut-il appeler de ses vœux cette modernisation des organisations et mettre en avant la nécessité de l’usage de technologies souveraines. Le plan doit donc reposer sur des mesures qui remettent en cause les processus établis et les demandes de l’administration. Il se base en la matière sur une consultation citoyenne menée fin 2023 et le rapport du député Louis Margueritte, intitulé « Rendre des heures aux Français ».

Le plan met donc en avant 50 mesures, qui vont de la suppression de 80% des Cerfa d’ici 2026 (la totalité en 2030), à la simplification des démarches de résiliation d’assurance ou de compte bancaire pour les entreprises, comme ce qui se fait déjà pour les particuliers.

Bien sûr, le numérique est une aide précieuse pour cette simplification ; mais pour régler le problème, il faudra aussi agir en amont, sur le flux réglementaire et normatif, plutôt que seulement espérer réduire le « stock » existant de complexités. Et surtout, l’emploi de la technologie doit permettre la remise en question des processus, des modes de fonctionnement et des attentes vis-à-vis de l’administration, sinon l’automatisation espérée n’aura pas vraiment de sens. Au-delà de « l’effet wahou » d’un outil, c’est bien l’avènement de ce changement profond qu’il va falloir surveiller.

Quant à l’autre point qui mérite toute l’attention, c’est évidemment celui de l’argument souverain. Au-delà du cas particulier « Albert », l’État français rêve en effet de faire de Paris un hub mondial de l’IA. Six ans après avoir fait son premier grand discours sur l’Europe à la Sorbonne, le président Emmanuel Macron y était de retour le 25 avril, alors que les élections européennes se rapprochent, pour tracer le bilan et les perspectives pour l’Union européenne. Parmi les nombreux sujets abordés, ayant trait aux différentes facettes de l’autonomie stratégique qu’il prône, le président de la République a réaffirmé son souhait de faire de la France, d’ici 2030, un « leader mondial » dans cinq « secteurs stratégiques de demain » : le spatial, les biotechnologies, les nouvelles énergies, le quantique… et l’intelligence artificielle. Le dirigeant se réjouit sans doute à ce titre de l’annonce récente de la toute jeune start-up FlexAI, d’une levée de fonds « d’amorçage » de 28,5 millions d’euros pour bâtir une « infrastructure universelle » pour l’IA européenne. Ses fondateurs, des vétérans passés chez Nvidia, Apple, Tesla… sont installés dans la capitale et rejoignent ainsi les champions en devenir que sont Mistral, HuggingFace ou Poolside. Avec l’espoir de créer une véritable masse critique afin que l’IA en France tienne effectivement toutes ses promesses… pour l’administration comme pour les entreprises.