Hybride, robots, jumeaux : l’hyper-industrie est-elle compatible avec notre culture française ?

[EXCLUSIF] De façon subtile, l’hybridation a pris une place considérable dans nos vies quotidiennes au fil des siècles, jusqu’au concept de jumeau numérique qui en est le parachèvement.

Michaël Valentin, Hybride, robots, jumeaux : l’hyper-industrie est-elle compatible avec notre culture française ?

Michaël Valentin, Fondateur et directeur d’OPEO Conseil, auteur de The sm@rt way

Bienvenu au moulin de Benazeth : sa coiffe, ses ailes, sa meule, son rouet…, tout ici est authentique et garantit un beau voyage dans le temps. Pourtant au moment de quitter les lieux, le propriétaire avoue un détail de conception : la queue qui était autrefois actionnée par des chevaux a été mécanisée à l’aide d’un motoréducteur de dernière génération. Notre beau moulin est en réalité un « hybride » ! Au-delà de l’anecdote, l’hybride a depuis longtemps envahit nos vies : biens de consommation « hybrides » avec l’emblématique Toyota Prius, oeuvres d’art « hybrides » à l’instar du livre électronique qui marie littérature et électronique grand public… mais l’hybridation la plus subtile est sans doute celle qui marie l’Homme et la Machine : alors que les outils mécaniques prolongent depuis des siècles les mouvements de l’Homme « artisan », les « new techs » créent une dépendance nouvelle et bien plus intense entre l’Homme et la Machine à l’instar de l’emblématique « smartphone », devenu une sorte d’annexe de notre cerveau ou du concept de jumeau « numérique » pour faciliter les développements (jumeau 3D), l’acquisition de données clients (échantillon jumeau), la maintenance en condition opérationnelle (système jumeau pour anticiper les défaillances du système maître)…

Le processus d’hybridation Homme-Machine est accéléré à chaque révolution industrielle et vécu en France comme une menace envers notre patrimoine artisanal

Ce mouvement de fond dont nous profitons tous dans notre vie quotidienne est parfois mal accepté dans l’environnement du travail, particulièrement en France où la montée en puissance des machines ultra-technologiques est vécue comme une rupture brutale avec notre tradition : amoureux d’authenticité, du bon goût et du beau geste, les Français aiment leurs artisans qui en sont les principaux ambassadeurs et les métiers d’art qui en sont l’équivalent dans les usines. Ainsi à chaque révolution industrielle, au-delà même du débat sur les enjeux de productivité, le peuple français hésite entre enthousiasme et angoisse face au progrès technologique : enthousiasme, car nos scientifiques sont parmi les plus brillants au monde, angoisse, car nous ne voulons pas voir nos artisans disparaître et avec eux la tradition qui nous rend si fiers.

Paradoxalement, la 4e révolution industrielle se différencie des précédentes et constitue une opportunité pour le retour d’une forme d’artisanat industriel

Pourtant, la quatrième révolution industrielle se différencie fondamentalement des précédentes sur trois aspects majeurs qui militent pour un retour à une forme d’artisanat dans les usines :

Premièrement, l’exigence des consommateurs sur les délais et la demande citoyenne de responsabilité sociétale des entreprises créent un mouvement de retour à la fabrication de proximité qui est rendue viable économiquement par les technologies du 4.0 (les robots sont de moins en moins chers et de plus en plus performants, l’impression 3D simplifie les processus, la numérisation améliore la réactivité et la productivité du travail)

Deuxièmement, la demande de produits « sur-mesure » conduit à une révolution organisationnelle : on s’achemine vers de la fabrication unitaire, c’est la fin de la production de « série ». Les tâches sur les lignes de production ne sont donc plus répétitives, car à chaque produit succède un produit différent qui exige un geste et des techniques spécifiques.

Troisièmement, la demande de services complète petit à petit la demande de biens de consommation : avec la connexion des objets, la valeur d’usage remplace la valeur intrinsèque ce qui requiert la cultivation de capacités d’« empathie industrielle » avec leur client final.
Proximité, fabrication sur mesure, empathie : notre artisan serait-il devenu un acteur moderne du monde « hyper-industriel » ?

Associé aux new Tech et au talent de nos ingénieurs, la force de l’artisanat français pourrait donc nous permettre de profiter du meilleur des deux univers en mettant au monde un artisan « hybride » avec des qualités hors du commun : combinaison du beau geste avec le geste facile que permettent les exosquelettes, exécution des tâches les plus précises avec l’aide de robots collaboratifs, créativité décuplée dans la conduite de machines grâce à la réalité augmentée, anticipation des défaillances grâce au machine learning, intelligence collective dans le pilotage grâce aux interfaces numériques, contact direct avec le client grâce aux objets connectés et à l’internet industriel.

Au-delà du rapport Homme-Machine, l’hybridation est une opportunité massive pour développer l’agilité collective de l’équipe de France industrielle

– Créons de nouveaux métiers en « hybridant » le talent de nos ingénieurs et de nos artisans et rendons ainsi notre industrie « sexy » pour la génération Z
– « Hybridons » les produits manufacturés et les services industriels en rapprochant les talents de la « french Tech » et de « la french Fab » pour révolutionner les modèles d’affaires et créer le premier « Google des usines »
– « Hybridons » notre empreinte industrielle en fonction des compétences et des marchés de chacun de nos territoires pour gagner la course à la réinternalisation : usine « in a box » dans les centres-villes des mégalopoles, usine « client centrique » dans les zones périurbaines, usines massives et super automatisées dans les villes de taille moyenne, usine écocentrique dans les campagnes
– « Hybridons » les compétences de nos fleurons industriels internationaux avec l’agilité de nos villages de start-up, la capacité de recherche de nos universités, la capacité de mise en réseau de nos filières et institutions, la capacité de financement de Bpifrance.
– Enfin, réfléchissons « Hybride » dans le quotidien de nos pratiques managériales (développement produit, solution technique, partenariats…) pour favoriser le « test and learn » et donc plutôt la vitesse que la croissance à tout prix

#MakeFrenchIndustrySexyAgain !