Au Sénat, l’OPECST a ouvert le débat sur la stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle. Objectif : interroger la ministre Clara Chappaz sur les failles d’une ambition encore freinée par une adoption marginale, un manque de coordination européenne et des défis énergétiques.
Une intelligence artificielle (IA) souveraine, oui. Mais sans adoption, sans frugalité et sans coordination européenne, elle ne sera jamais qu’un slogan. C’est pourquoi, l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) a réclamé un débat en séance publique, souhaitant une discussion sur les orientations stratégiques du pays entre les sénateurs et la ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, Clara Chappaz. Le débat ouvert au Sénat par Stéphane Piednoir, président de l’OCDE, a donné le ton : la France risque une marginalisation face aux géants américains et aux ambitions chinoises dans le domaine de l’IA. Entre fascination, inquiétude, et scepticisme sur l’efficacité des plans passés, plus qu’une stratégie, les sénateurs demandent une rupture. Même les promesses du plan France 2030 peinent à convaincre. “À quand un véritable Airbus de l’IA, capable de structurer une ambition souveraine et durable ?”, questionne Stéphane. La ministre a répondu avec fermeté. Selon elle, la France n’est pas “larguée”. Elle rappelle que notre pays figure encore parmi les cinq puissances mondiales en matière d’IA grâce à sa recherche d’excellence (clusters IA, 14 médailles Fields, supercalculateur Jean Zay…). L’annonce du Sommet pour l’IA est, elle aussi, remise sur le devant de la scène : 109 milliards dédiés au développement d’infrastructures pour développer l’IA en France. Mais l’enjeu est désormais ailleurs, dans l’adoption. L’objectif ? Faire de l’IA un levier d’émancipation économique et sociale.
Adoption, le maillon faible
Derrière les 109 milliards, une faiblesse reste criante, celle d’une adoption de l’IA encore marginale en France. Moins de 5 % des PME s’en servent, contre 35 % des grandes entreprises, et, à l’échelle internationale, plus de 50 % des entreprises chinoises l’ont adopté. “On peut avoir les meilleurs labos du monde, sans adoption, on ne gagne pas la course”, tranche la ministre. D’où le troisième pilier de la stratégie nationale IA axé sur la diffusion à grande échelle. Un plan d’accompagnement via les CCI vise 20 000 entreprises, soutenues par le programme IA Booster financé par l’État. Un observatoire des cas d’usage aidera à identifier les technologies utiles selon les secteurs. “C’est la condition de notre compétitivité, mais aussi de notre souveraineté”, insiste Clara Chappaz. Côté secteur public, chaque ministère devra présenter sa feuille de route IA, avec appui de la Dinum. Cette stratégie sera dévoilée à VivaTech, événement-phare du numérique en France.
Former pour ne pas subir
Adopter, oui. Mais comprendre, c’est encore mieux. Pour éviter une fracture numérique ou des usages anxiogènes, le gouvernement mise sur l’éducation dès le collège. Des cours d’IA seront généralisés en 4e dès 2025. Pour accompagner cette transformation, le projet AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) a été lancé il y a deux ans afin de favoriser l’accessibilité de l’intelligence artificielle dans l’éducation. Plusieurs initiatives innovantes ont émergé dans ce cadre, comme celle de la startup Knowledge, récompensée au niveau international, qui transforme les supports de cours en contenus interactifs et ludiques. Fort des premiers retours positifs, le gouvernement lancera à l’été 2025 un nouvel AMI à destination des enseignants, afin de les aider à intégrer l’IA dans leurs pratiques pédagogiques. “Prompter efficacement, c’est aussi consommer moins”, souligne Clara Chappaz, qui voit dans l’éducation un levier à la fois d’émancipation certes, mais aussi de sobriété.
La bataille des watts
Reste que l’éducation pour sensibiliser à la sobriété est un premier pas qui, selon les sénateurs, ne suffit pas face l’urgence. Si l’IA est le futur, encore faut-il qu’il soit supportable pour les réseaux électriques. Ghislaine Senée l’a rappelé : la consommation des data centers pourrait doubler d’ici 2026. Un scénario d’embolie énergétique alors que la réindustrialisation réclame, elle aussi, sa part de kilowatts. Clara Chappaz n’élude pas. Elle revendique une vision “IA à la française” qui prend le tournant de la sobriété. À commencer par l’exemplarité : OVH, par exemple, utilise un système de refroidissement par eau en circuit fermé. Plus largement, le gouvernement a lancé, avec le ministère de la Transition écologique, une mission pour définir ce qu’est une IA frugale sur toute la chaîne de valeur. Un appel à projets doté de 40 000 euros a d’ailleurs été lancé, notamment à destination des collectivités. “C’est une course à l’optimisation, pas à la démesure”, affirme la ministre du Numérique. Pour elle, la France est bien placée : son électricité bas carbone permet d’entraîner des modèles plus petits, plus économes, plus rentables sur son sol. La frugalité devient ainsi un avantage compétitif. Mieux, un marqueur de différenciation face aux géants énergivores.
Coopération européenne, vers un “AI Continent” ?
Mais, si la France veut une IA qui lui ressemble, il faudra continuer à arbitrer, réguler et, surtout, embarquer. Il s’agit de faire en sorte que l’IA ne soit pas uniquement pensée comme un levier de performance économique, mais aussi reconnue comme un espace politique à reconquérir, afin d’éviter toute forme de dépossession démocratique. Transparence des algorithmes, lutte contre les biais, protection des données personnelles, responsabilité des acteurs : les enjeux sont immenses. “Nous avons fait le choix de réglementer en tant qu’européen, avec l’IA Act et son article 50 qui impose la transparence y compris sur les usages à haut risque”, insiste Clara Chappaz. Elle assure également que les intérêts des plus petits acteurs seront défendus. La régulation doit s’accompagner d’outils techniques concrets, comme ceux développés au sein de PEReN, un pôle interministériel d’évaluation des technologies, pour détecter les contenus générés par IA et assurer la confiance numérique. Mais, ni la France, ni aucun État membre ne pourra, seul, faire émerger une IA souveraine. Le projet Invest in AI de 200 milliards d’euros à l’échelle européenne et le nouveau plan “AI Continent”, dévoilé récemment, visent à structurer une réponse industrielle, scientifique et politique commune. Clara Chappaz se veut optimiste : « Nous avons les talents, la recherche, les valeurs et désormais les investissements. Le défi reste immense, mais notre destin numérique est encore entre nos mains. »
Gouvernance mondiale et IA responsable
La gouvernance de l’IA ne se joue pas uniquement à Bruxelles. Elle se construit aussi au niveau mondial. C’est tout l’enjeu du Partenariat mondial pour l’IA (PMIA), lancé en 2018 à l’initiative de la France et du Canada, désormais adossé à l’OCDE et regroupant 62 pays. Ce réseau s’appuie sur des centres de recherche situés en France, au Canada et au Japon pour orienter les politiques publiques et poser des standards communs. Une sorte d’ONU technique de l’IA, fondée sur la transparence, la collaboration scientifique et l’intérêt général. Clara Chappaz l’assume : “la compétitivité est une priorité, mais pas au détriment des valeurs. Pour cela, l’exception culturelle française doit aussi s’exprimer dans les modèles d’IA, le respect des droits d’auteur, et l’appropriation citoyenne.” La France ne gagnera pas la bataille de l’IA par la puissance seule, mais par sa capacité à faire émerger une intelligence artificielle utile, éthique et partagée.
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