Independence Tech Day : quand innovation et indépendance ne s’opposent plus

 

Le 2 juillet 2025, dans les locaux de la Caisse des Dépôts, à Bagneux (92), Alliancy et la CDC ont réuni 200 décideurs pour l’Independence Tech Day. Une matinée de mobilisation face aux dépendances numériques, pour construire des leviers concrets de résilience.

 

L’adage est bien connu dans le monde IT : personne n’a été viré pour avoir choisi IBM dans les années 80. Mais en 2025, il prend une tout autre saveur. Car s’il fut un temps où les choix technologiques semblaient sans conséquence politique, cette époque est révolue. “La souveraineté numérique n’est plus un sujet de DSI, c’est une préoccupation de dirigeant”, a martelé Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique, venue conclure une matinée chargée d’alertes et d’appels à l’action. À la Caisse des Dépôts à Bagneux, ce 2 juillet, plus de 200 acteurs publics et privés de l’écosystème numérique ont répondu à l’appel lancé par Alliancy. Objectif : faire de ce premier Independence Tech Day un moment de vérité. Celui où l’on cesse de déplorer les dépendances technologiques pour commencer à bâtir des marges de manœuvre concrètes. Une ambition portée depuis plusieurs mois par le DoTank “Maîtrise des dépendances technologiques & libertés d’action”, initié par les équipes Alliancy. Dès les premières prises de parole, le ton est donné : “Nous sommes là pour dire qu’il est encore possible d’agir. Mais pour cela, il faut nommer le problème, en faire un sujet de gouvernance, de stratégie d’entreprise. Pas uniquement un problème IT ou juridique”, souligne Sylvain Fievet, fondateur d’Alliancy, en introduction.

 

Sous tension, mais en mouvement

 

Autour des tables rondes, les témoignages s’enchaînent, incarnés et sans langue de bois. Les invités, parmi lesquels Catherine Mayenobe, secrétaire générale du groupe Caisse des dépôts, Olivier Vallet, président de Docaposte, Michel Paulin, ancien directeur général d’OVH et membre du conseil d’administration de Quandela, Véronique Torner, présidente de Numeum, Arno Amabile, préfigurateur à l’observatoire de la souveraineté numérique, Stéphane Deux, directeur digital et IT de Transdev, Florian Caringi, Leader Open Source au sein du Groupe BPCE, Ruth Faé, responsable achat IT et télécoms chez ICADE ou Arnaud Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations, n’ont pas mâché leurs mots. Il y a eu un avant et un après VMware. Depuis l’acquisition brutale du spécialiste de la virtualisation par Broadcom fin 2023, les directions IT ont compris dans leur chair ce que signifie la dépendance technologique. Tarifs multipliés, support client sabordé, revendeurs déclassés, feuille de route verrouillée : pour beaucoup, ce fut un électrochoc. Un cas d’école et une démonstration par l’absurde de notre perte de souveraineté. La dépendance aux grandes plateformes technologiques extra-européennes est vécue chaque jour dans les services publics, les grands groupes, les PME du numérique. Et elle se manifeste par des contrats léonins, des changements tarifaires unilatéraux, une réversibilité technologique illusoire. “La maîtrise des dépendances n’est pas un gadget technocratique. Elle est devenue une condition de survie pour l’État comme pour les entreprises”, Catherine Mayenobe, directrice générale adjointe de la CDC.

 

Le spectre du bouton rouge

 

Le tout sur fond de contexte géopolitique sous haute tension. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, avec son discours libertarien assumé, a fini d’enfoncer le dernier clou du cercueil digital. Dans les couloirs de l’IT comme dans les cabinets ministériels, une expression revient en boucle : “le bouton rouge”. Comprendre : cette capacité qu’auront bientôt certains États ou géants du numérique à débrancher unilatéralement l’accès aux services numériques critiques d’un pays ou d’une entreprise. La souveraineté numérique est devenue un angle mort critique des stratégies nationales et industrielle. L’objectif n’était plus d’alerter, mais de passer à l’action. “Nous voyons aujourd’hui les impacts très concrets d’un modèle où 263 milliards d’euros par an partent dans les poches d’acteurs non européens, simplement pour l’hébergement de données”, rappelle Clara Chappaz dans son discours de clôture. “C’est une vulnérabilité majeure, pour nos services publics, notre démocratie, et notre capacité d’innovation.” Mais l’ambiance n’est pas au fatalisme. La ministre le répète : “La bataille n’est pas perdue. Nous avons construit les bases de cette souveraineté depuis 2017. Il ne s’agit plus de parler, mais d’agir ensemble.” Un message bien reçu par l’audience. Toute la matinée, les binômes de terrain, DSI, directions achats, directions générales, juridiques, ont partagé à micro ouvert leurs difficultés… mais aussi leurs marges de manœuvre. Une respiration rare, dans un format pensé pour casser les silos.

 

Réveiller les leviers oubliés

 

La commande publique s’exporte dans tous les discours de la journée comme le sujet brûlant à ne pas oublier. Encore trop souvent perçue comme un carcan, elle pourrait pourtant devenir un levier majeur d’indépendance. “On marche sur la tête”, lâche Clara Chappaz. “Je ne jette pas la pierre aux acheteurs publics : ils suivent des règles qui ne fonctionnent plus. Mais il faut être lucide sur l’inefficacité actuelle. La commande publique peut et doit soutenir l’innovation.” Si le potentiel est immense, les blocages réglementaires, juridiques, et même culturels restent nombreux. L’exemple du Health Data Hub, encore hébergé par Microsoft et évoqué en fin de discours, a servi de point d’ancrage, mais il ne s’agissait que d’un signal parmi d’autres. Le sujet est plus large : comment réorienter les budgets publics et les politiques d’achat pour favoriser les solutions européennes, open source ou de proximité ? Comment créer une doctrine claire de sécurisation des données sensibles ? Plusieurs pistes ont été partagées, notamment à travers les travaux collectifs menés au sein de l’Independence Tech Day. Catalogues de solutions existantes, matrices d’arbitrage, référentiels de dépendance : la méthode se précise. Il ne s’agit plus simplement d’un cri d’alarme, mais d’une tentative organisée de réponse. Une ingénierie de la souveraineté, en quelque sorte.

 

Changer le réflexe, réinventer le récit

 

Face à des géants technologiques omniprésents, l’idée même d’alternative paraît encore trop souvent irréaliste. Choisir une solution souveraine est perçu comme risqué, coûteux, voire contre-productif. Et pourtant, les alternatives existent. Elles étaient dans la salle ce jour-là : start-up IA, hébergeurs français, éditeurs open source, partenaires industriels. Toutes sont prêtes à jouer le jeu, à condition que les grands acheteurs osent sortir des sentiers battus. Mais cela suppose de réécrire le récit dominant, celui où l’efficacité passe forcément par l’externalisation massive. Le pari d’Alliancy, avec cet événement et son DoTank, est précisément là : créer les conditions d’un nouveau récit collectif. Un récit où la souveraineté n’est plus un luxe ou une posture politique, mais un réflexe opérationnel, intégré dès la conception des systèmes et des achats. Un récit dans lequel innovation et indépendance ne s’opposent plus. D’ailleurs, les témoignages entendus lors de la deuxième table ronde, “Comment agir immédiatement ? », ont rappelé avec force que des options existent bel et bien. Jérôme Lecat, Directeur général de Scality, Olivier Dellenbach, fondateur de ChapsVsion ou encore Gaël Menu, directeur général de SCC France, ont partagé leurs retours d’expérience concrets : arbitrages assumés, alliances stratégiques, adoption raisonnée de l’open source ou de prestataires européens. Il y a eu, ce matin-là, un alignement rare entre discours et action, entre DSI et DG, entre public et privé. L’Independence Tech Day n’a pas apporté toutes les réponses. Mais le déclic a peut-être eu lieu. “Ce n’est pas un one shot”, insiste Sylvain Fievet. “Notre ambition est claire : transformer l’essai. Et ça ne se fera pas seul.” Alors, agir maintenant. Ensemble.