International – Miser sur le Maroc et la Tunisie

Grâce à des politiques publiques volontaristes dans le développement des TIC, le Maroc et la Tunisie se positionnent à la fois comme des plates-formes régionales de sous-traitance offshore et des ponts technologiques vers les marchés d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient.

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Le Casanearshore Park de Casablanca accueille une centaine d’entreprises employant 20 000 personnes, ici, à gauche, une plate-forme suspendue. La filière Tunis de Télécom SudParis, en partenariat avec Sup’Com (ici sur le Technopark El Gazala) permet l’obtention de deux diplômes d’ingénieurs.

Alors que le Maroc s’apprête à relancer sa politique publique en matière d’IT à travers son programme « Maroc Numeric 2020 » sur la période 2015-2020, et devrait bientôt le dévoiler, l’heure du bilan a sonné pour son plan stratégique précédent « Maroc Numeric 2013 », développé depuis 2009. En dépit de résultats mitigés pointés récemment par la Cour des comptes marocaine, cette stratégie nationale a néanmoins réussi à positionner le pays comme un hub technologique régional pour l’Europe. La priorité la ScreenHunter_160 Apr. 21 10.27 plus aboutie a été de faire du pays l’une des meilleures destinations de sous-traitance offshore des TIC au monde ! Le Royaume chérifien a su déployer une offre d’infrastructures séduisante, dédiée aux grands entreprises internationales du numérique, par la mise en place de technopôles d’envergure. Ces zones franches ont ainsi attiré de grands noms comme IBM, Atos, HP, Gelmalto, Accenture ou GFI. Ces derniers y font de l’externalisation de leurs processus métiers (business processing outsourcing, BPO), ou du développement de logiciels et de la maintenance applicative (information technology outsourcing, ITO). Pour cela, ils peuvent s’appuyer sur un vivier de 10 000 ingénieurs formés aux TIC, chaque année. Aujourd’hui, le Casanearshore Park de Casablanca accueille une centaine d’entreprises employant 20 000 personnes ! Le Technopolis de Rabat-Salé en héberge une quarantaine pour plus de 5 000 emplois.

ScreenHunter_161 Apr. 21 10.28 La stratégie « Maroc Numeric 2013 » aura aussi gagné peu ou prou son pari de transformation sociale. « Ce plan a eu une véritable ambition de faire du numérique un levier de croissance économique et de modernisation de la société », note Rachid Jankari, consultant IT local. Il a conduit à accroître le taux de pénétration d’Internet dans les foyers de 14 % en 2008 à 39 % en 2012. Mieux, selon l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), le Maroc comptait, fin juin 2014, près de 8 millions d’abonnés à Internet et plus de 17 millions d’internautes, soit 56 % de la population.

 

Plus d’abonnements que de citoyens 

La téléphonie mobile a même explosé dans ce pays, doté du réseau 3G, et dont la 4G sera lancée fin 2015. A tel point que le nombre d’abonnements dépasse celui des citoyens… Selon l’ANRT, 44,25 millions de lignes mobiles étaient souscrites à la fin septembre 2014, sur 33 millions d’habitants… L’e-commerce profite de cette ferveur numérique. En témoigne la hausse de 112 % du nombre de transactions sur les sites de cosmétique, d’habillement, de jeux et de matériel informatique entre 2012 et 2013, selon un récent rapport* de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed).

Dans un tel contexte, les entreprises locales et étrangères jouent sur tous les tableaux. Elles participent à la transformation digitale des secteurs privés et publics marocains tout en se consacrant à la sous-traitance pour leurs propres besoins européens ou ceux de leurs clients. C’est le cas de l’ESN française SQLI. Avec au départ une activité de développement de logiciels pour ses agences européennes et leurs clients, SQLI a peu à peu investi le marché local pour y développer ses activités de Web agency et des solutions logicielles dédiées à la modernisation des systèmes d’information (SI) des entreprises privées et publiques. « Nous avons réalisé le site d’e-commerce de la compagnie Royal Air Maroc et celui de Nespresso. On s’est aussi allié en 2014 à Microsoft pour la modernisation des SI de l’Office chérifien des Phosphates. Le marché domestique représente 25 % de nos activités », expose Eric Chanal, directeur de SQLI Maroc. De même, l’agence de webmarketing digital marocaine Pyxicom se positionne à la fois sur le marché local et sur la sous-traitance pour les agences Web françaises. « Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires au Maroc en construisant les sites Internet de Renault, Danone ou de l’opérateur télécoms Inwi, tout en les accompagnant dans leur marketing digital », indique Patrick Raynaud, son fondateur.

Selon les prévisions du cabinet d’études IDC, les investissements au Maroc en services IT vont atteindre 465 millions d’euros d’ici à 2018. IDC s’attend à une croissance annuelle de ce marché de 10,3 % par an. La banque (sécurité informatique), les télécoms et l’administration (dont la transformation digitale a pris du retard dans « Maroc Numeric 2013 ») en seront les secteurs porteurs.

A l’instar du Maroc, la Tunisie se positionne également en hub technologique régional. Engagé dans le développement des TIC depuis quinze ans, le pays semble en avance sur le Maroc. L’Etat a investi massivement quelque 11,6 milliards de dinars (près de 5 milliards d’euros) entre 2002 et 2011, pour faire de la Tunisie « le premier pays africain en pointe dans les TIC ». « C’est le secteur le plus dynamique. Il enregistre une croissance annuelle de 14 % et représente 7 % du PIB national », assure Zohra Sadok, conseillère export NTIS d’Ubifrance Tunisie.

Surtout, la Tunisie a réussi à se placer en plate-forme de sous-traitance offshore de premier plan, par la mise en œuvre de zones technologiques franches dédiées à accueillir les grandes multinationales. Son Technopark majeur El Gazala à Tunis attire les géants mondiaux comme Alcatel-Lucent, Microsoft, Sony Ericsson ou Huwei. « El Gazala héberge une centaine d’entreprises, dont 70 % sont françaises », affirme Zohra Sadok. Elles y font du BPO, avec des coûts fixes (salariaux, immobilier, télécoms…), « 30 % moins chers qu’au Maroc », selon Ubifrance à Tunis. Elles peuvent puiser dans un vivier de 13 000 jeunes diplômés formés par an dans les universités et grandes écoles.

Généraliser la connectivité

Le pays veut d’ailleurs renforcer sa stratégie offshore. Il a lancé mi-2013 son programme « Smart Tunisia » doté d’un budget de 1,4 milliard de dinars (650 millions d’euros) et destiné à faciliter l’accueil des investisseurs étrangers pour opérer de la sous-traitance IT. Mieux, la Tunisie a démarré en juin 2014 son nouveau plan national stratégique « Tunisie digitale 2018 », qui vise à faire des TIC un levier de développement économique et social. L’objectif est de généraliser la connectivité haut débit des citoyens et des entreprises et à renforcer l’usage des TIC dans tous les secteurs. Déjà, les usages explosent. Le pays dénombre 1,5 million d’abonnés à la Toile et 5,8 millions d’internautes sur 10,9 millions d’habitants.

Et l’essor de la téléphonie mobile depuis quelques années se caractérise par 13 millions d’abonnements (dont près de 1 million à la 3G) Quant à l’e-commerce, il est en plein boum avec 400 sites marchands. Petit par sa taille, le marché des TIC tunisien offre néanmoins des opportunités dans des niches en développement comme les systèmes embarqués, la téléphonie mobile ou la cybersécurité pour le secteur financier. Spécialisé dans ce domaine, le Français Sifaris s’apprête à y créer une filiale pour se développer sur le marché bancaire et devenir d’ici à cinq ans un acteur local important. « A terme, on se servira du pays comme plate-forme de lancement de nos activités en Afrique subsaharienne », souligne Jean-François Beuze, son PDG. « Bon nombre d’entreprises se servent de la Tunisie et du Maroc comme tremplins technologiques vers les marchés d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient », explique Macarena Nuno, chef de projet à l’Ipemed. Ainsi, le Marocain Pyxicom veut croître sur le marché subsaharien grâce à son savoir-faire numérique. Quant à Involys, le champion marocain et international des progiciels de gestion immobilière et mobilière, il y est déjà bien ancré. « Nous avons signé en 2012 un contrat avec l’Etat gabonais pour la mise en place de logiciels de gestion des dépenses publiques et du patrimoine. Cet accord s’inscrit parmi d’autres passés au Sénégal et au Togo », révèle Bashir Rachdi, son PDG.

* « Les technologies de l’information au Maroc, en Algérie et en Tunisie : Vers une filière euromaghrébine des TIC ? », par Rachid Jankari – Ipemed – Etudes et Analyses (octobre 2014). A lire ici

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Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, avec Tawfik Jelassi, ministre tunisien de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des TIC, au forum ICT4all 2014.

Alliance franco-tunisienne

Etre plus fort ensemble pour conquérir les marchés francophones et arabophones d’Afrique subsaharienne et du MoyenOrient. C’est le but de l’Alliance franco-tunisienne pour le numérique (AFTN). Lancée en juillet 2013 sous l’impulsion de la Délégation interministérielle à la Méditerranée (Dimed) dépendante de Matignon, l’AFTN vise à susciter des partenariats productifs entre entreprises des deux pays sur la base de leur complémentarité (expertises françaises, RH tunisienne, débouchés sur les marchés, …). L’idée : créer en deux ans une cinquantaine de binômes franco-tunisiens. « 35 sont déjà actifs. Nous en avons amené six en octobre 2014 au salon Gitex Technology à Dubaï », indique Zohra Sadok, conseillère export NTIS d’Ubifrance à Tunis. Parmi ces binômes, le Français Techlimed, fournisseur de moteur de recherche multilingue, et la PME tunisienne Sanabil, éditeur de contenus numériques se sont associés pour lancer à Tunis et à Tripoli (Libye) une application d’e-formation sur tablette en langue arabe. De leur côté, le Français Cassiopae, éditeur de progiciels de gestion de financement et le Tunisien Oxia, conseil en services informatiques ont créé une jointventure pour la fourniture de solutions logicielles en Arabie Saoudite. L’AFTN concerne aussi les institutions d’éducation et de recherche. L’Ecole supérieure privée d’ingénierie et de technologies (Esprit) de Tunis et Mines Telecom se sont unis pour créer un incubateur privé d’entreprises du numérique.