[Tribune] ISO 20022 : une migration complexe mais des opportunités

Pour Jérôme Perrot Audet, Senior Manager chez Square Management, nous vivons un changement majeur, une révolution dans le monde des paiements. En effet à la demande de la communauté bancaire, le Board de SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) a validé en septembre 2018 un plan de migration pour les paiements transfrontalier (Cross border) et les opérations de cash management, du protocole FIN vers la norme ISO 20022 à horizon novembre 2025. De mars 2023 à novembre 2025, il y aura donc une période de coexistence au cours de laquelle les clients seront à différentes étapes dans leur parcours d’adoption ISO 20022.

Jérôme Perrot Audet Senior Manager chez Square Management

Jérôme Perrot Audet Senior Manager chez Square Management

ISO 20022 deviendra donc la nouvelle norme pour les transactions de paiement, remplaçant les messages financiers actuels tels que les messages MT (Message Type) et fournira de nouvelles données riches et structurées avec chaque transaction de paiement. Des données essentielles comme par exemple la structuration de l’adresse, le bénéficiaire final (nouvel agent), les détails d’une facture, ce qui offrira une meilleure transparence et permettra de gagner en efficacité, de créer un nouveau modèle opérationnel.

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 La pression en faveur de normes communes découle d’une importance conjointe pour les secteurs privé et public, les gouvernements, les entreprises et les banques (tant centrales que commerciales) d’améliorer les lacunes des paiements nationaux et transfrontaliers actuels et aborder de nouveaux défis liés à ceux-ci.

La norme de messagerie de paiement ISO 20022 n’est pas nouvelle, mais son adoption simultanée par de nombreux réseaux financiers clés à compter de 2023, l’est. La décision commune prise en Europe, aux Etats-Unis et en Asie est une reconnaissance du fait que le monde a besoin d’un langage commun entre les institutions financières transférant des fonds à l’étranger. Cette tâche est rendue de plus en plus lourde avec les pressions des régulateurs et de la compliance, encore plus présentes dans le contexte géopolitique actuel. De plus, les participants au réseau Swift et clients ont fait part de leurs souhaits d’une meilleure rapidité et transparence des paiements.

Avec la migration vers la norme ISO 20022 à travers le monde, les initiatives de développement des
paiements instantanés en cours sur tous les continents et l’ouverture des opérations bancaires / l’accès aux comptes encouragés par les régulateurs et les fintechs, les paiements sont devenus l’un des sujets les plus en vogue du secteur bancaire. Cela, notamment avec l’émergence d’acteurs mondiaux puissants – tels que les GAFAM aux Etats-Unis et BATX en Chine – lesquels sont déterminés à envahir ce marché grâce à l’utilisation des données.

Déjà plus de 70 pays ont adopté cette norme, principalement pour leurs paiements domestiques. Pourtant, au cours des 3 prochaines années, ceux qui ne l’adopteront pas risquent de ne plus pouvoir effectuer de paiements transfrontaliers et seront donc incapables de recevoir et d’envoyer des messages dans le format requis.

On estime que d’ici 2025, environ 80 % des paiements mondiaux seront couverts par la norme ISO 20022 (Source : Swift). Mais d’ici là se trouve l’étape la plus éprouvante de la migration vers ce nouveau format riche en données, à savoir, sa coexistence avec l’ancien format de message (connu sous le format MT). Plus de 11,000 institutions membres de Swift envoient en moyenne 40 millions de messages par jour via le réseau SWIFT pour l’échange de messages financiers au format MT connu sous le nom de FIN.

Pourquoi ce changement malgré la complexité de la mise en œuvre ?

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Le contexte des paiements transfrontaliers

Les paiements transfrontaliers font partie intégrante de l’économie mondiale d’aujourd’hui. L’augmentation du commerce international, l’expansion des chaînes d’approvisionnement au-delà des frontières, de même que l’accroissement du e-commerce et des paiements électroniques mis en évidence durant la pandémie de Covid-19, contribuent tous à une augmentation des transactions internationales.

Néanmoins, derrière cette croissance prometteuse, le marché des paiements transfrontaliers fait face à de nombreux défis, dû en partie, à des changements réglementaires importants concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. A cela s’ajoute les défis liés à l’évolution des systèmes et des processus sous-jacents afin de répondre à la demande actuelle.

Le problème avec le système SWIFT existant est qu’il est lent, coûteux, et fondé sur une technologie obsolète.

BIS (Bank of International Settlement) estime qu’entre 2010 et 2020, les réseaux de correspondants bancaires ont diminué de plus de 20%.

ISO 20022 marque le début d’une transformation significative au sein de l’industrie des paiements transfrontaliers. Bien qu’il existe un besoin et une volonté de transformation largement reconnus, cela fait peser le fardeau du changement sur les acteurs du marché. La clé pour les institutions financières sera de s’assurer que les systèmes peuvent gérer les volumes croissants de données dans l’environnement des paiements transfrontaliers.

La complexité de l’implémentation de cette nouvelle norme

Swift n’a publié qu’en janvier 2022 les directives d’utilisation et les règles de traduction pour les paiements transfrontaliers (Cross-Broder Payment and Reporting Plus – CBPR+) qui définit la façon dont l’ISO20022 doit être utilisée pour ce type de paiement et de cash reporting. La publication de ces consignes a provoqué un certain nombre de changements sur les plans de déploiement relatifs à la nouvelle norme (notamment CHAPS au Royaume-Uni).

Le défi est que la configuration de SWIFT CBPR+ introduit de nouveaux éléments comme les plateformes « Transaction Management Platform » et « Inflow Translation ». Ces dernières amènent de nouvelles fonctionnalités et donc de nouveaux risques avec certaines transformations effectuées sur le réseau par SWIFT.

Il s’ajoute également la complexité globale, le risque de chevauchement et de manquement causé par l’utilisation de multiples technologies utilisées pour fournir un message traduit ou utilisable au sein d’une même banque.

Les banques seront également confrontées à des défis tels que la troncature, et le risque de ne pas pouvoir accéder aux champs manquants si elles n’ont pas les capacités de traiter la nouvelle norme sans outil de traduction. Avec 3 ans de coexistence, les banques devront décider si elles prennent le risque de transformer les messages afin d’avoir le moins d’impact possible sur leur “core system” mais avec un risque de perte de données ou si elles décident d’adopter cette nouvelle norme avec les coûts et la complexité que cela engendre tout en gardant en tête les futures opportunités que cette norme peut créer.

Ce n’est pas seulement que c’est difficile sur le plan technique, certaines banques ne voient pas le besoin de migrer ou les avantages pour leur structure. Un sondage (Source : Celent pour Seeburger) indique qu’à l’échelle mondiale, seulement 63% des banques seront prêtes avant la date limite de novembre 2025.

A l’amorce de ce dernier axe, nous remarquons déjà une approche différente en ce qui concerne le rôle et la position de certaines banques sur le marché des paiements.

Les avantages de cette norme, driving competition

Plus les parties prenantes et les fournisseurs impactés au sein de l’écosystème sont engagés dans ce changement, plus les opportunités de valeur à la suite de cette migration seront mises en lumière. Ceux qui considèrent ISO 20022 uniquement comme un exercice de conformité, ne pourront pas récolter tous les avantages que la norme a à offrir.

Les banques qui migreront le plus rapidement, en revanche, auront la possibilité de se différencier de leurs concurrents avec des services à valeur ajoutée rendus possibles. Plus il y aura de systèmes capables de recevoir des données ISO 20022, plus il y aura d’opportunités d’innovation et, par extension, de concurrence sur le marché.

ISO 20022 aura alors une résonance dans l’ensemble des développements de la banque, des paiements et plus largement, auprès de l’espace fintech. Il est probable par exemple que la migration ISO 200222 soit positive pour les monnaies numériques des banques centrales (CBDC) et par extension négative, pour de nombreuses crypto-monnaies établies comme le bitcoin.

En effet, alors que de nombreuses banques centrales examinent les modalités de développement d’une monnaie numérique, le langage normalisé des demandes et des ordres de paiement devrait stimuler l’interopérabilité des différentes CBDC.

Cependant, certaines Crypto pourraient également en bénéficier, comme la XRP, la devise utilisée sur le système de paiement basé sur la blockchain Ripple. Il s’agit d’une crypto-monnaie qui sera conforme à la norme ISO 20022 lui permettant de fonctionner aux côtés des CBDC au sein de systèmes de paiements centralisés.

De plus, ISO 20022 permettra aux banques d’offrir des rapprochements de meilleures qualités, des paiements en temps réel et/ou automatisés, dans un environnement hautement concurrentiel qui les oppose aux FinTechs et autre grands rivaux technologiques. Les paiements et les rapports transfrontaliers SWIFT passant à la norme ISO 20022, produiront une meilleure traçabilité quant aux informations relatives aux versements et les factures, de bout en bout, c’est à dire des créanciers      aux débiteurs finaux.

De nombreuses institutions financières mondiales recherchent des solutions complètes qui répondent aux exigences de conformité en vigueur et permettent la consolidation stratégique des données sur toutes les plateformes, ainsi que la monétisation des données. Une grande partie de cela a été motivée par une concurrence accrue et l’évolution des attentes des clients – souvent dirigées par ce que les groupes technologiques et les FinTech ont pu faire.

La génération Z, qui peut gérer presque tout en ligne – de la photo prise par son téléphone portable à l’achat ou au transfert d’argent – ne recherche pas de solutions bancaires traditionnelles, comme celles où une présence physique est nécessaire. Ils souhaitent obtenir des solutions et services financier sûrs, rapides et faciles. Disponibles à tout moment, et offrant également un haut niveau de possibilités de personnalisation.

ISO 20022 est une opportunité rare pour les banques de redéfinir leur proposition commerciale. Tout acteur financier négligeant cette transformation se risque à proposer une offre en deçà de non seulement les autres banques, mais également des prestataires de paiement spécialisés et aux FinTechs. La nouvelle norme signifie en fait que tous les acteurs sont en concurrence sur le même terrain de jeu, ce qui peut éroder certains des avantages historiques que les banques ont eus afin de fidéliser leurs clients jusqu’alors.

Face aux grands acteurs du type GAFAM et BATX, l’Europe des paiements à une place à jouer. Développer et améliorer l’expérience digitale tel que promue par les BigTechs, la relation client tout en réduisant les coûts est aujourd’hui un triptyque indissociable. Il faut ajouter à cela la gestion des demandes des régulateurs en termes de lutte contre le financement du terrorisme ou la fraude, qui seront à terme imposés à tout nouvel acteur.

Alors, êtes-vous déjà IS0 20022 ?