La stratégie du « champion national » est-elle la bonne ?

Conscient de l’importance stratégique du contrôle des infrastructures informatiques, le gouvernement mise sur deux futurs nouveaux champions français, Numergy et Cloudwatt.

Cloudwatt et Numergy ont pour vocation de devenir des leaders européens du cloud computing. En clair, ils proposeront des ressources informatiques facturées à l’usage : espace de stockage, puissance de calcul, capacités réseaux. De telles offres existent déjà, mais les leaders ont pour nom Amazon Web Services, IBM ou encore Microsoft Azure.

Un enjeu stratégique donc pour le gouvernement français, qui ne veut pas voir un pan entier d’une industrie informatique pleine de promesses passer sous domination américaine et qui désire offrir aux entreprises françaises un cloud « souverain », c’est-à-dire avec des centres de données basés en France.

En septembre dernier, la commissaire européenne à la concurrence, Neelie Kroes, présentait un ensemble de mesures pour le cloud computing, et estimait que cette technologie générerait 160 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Europe d’ici à 2020 et créerait 2,5 millions d’emplois. Numergy et Cloudwatt sont les premiers à bénéficier du financement du grand emprunt, renommé investissements d’avenir, issu de l’enveloppe de 350 millions d’euros destinée aux grands projets industriels créant des écosystèmes.

Plus du tiers du capital pour l’Etat français

Avec 75 millions d’euros investis dans chacun des projets, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations (CDC ), l’Etat s’arroge, à chaque fois, 33,3 % du capital, soit un droit de regard significatif. L’idée est bien de construire un écosystème autour de ces deux champions : intégrateurs, éditeurs de logiciels et de nombreux nouveaux métiers, qui restent à inventer tant ces nouvelles infrastructures présentent de multiples opportunités.

Mais deux questions se posent. Des entreprises nouvellement créées peuvent-elles concurrencer des acteurs déjà solidement établis sur le marché américain ultracompététitif (Amazon Web Services existe depuis six ans et brigue 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2013, quand Cloudwatt prévoit 500 millions d’euros d’ici à cinq ans) ? Et pourquoi avoir privilégié des partenariats toujours délicats à gérer quand nombre d’acteurs français, solidement implantés localement, ont déjà commencé à bâtir leurs offres de cloud computing, tels Kheops, OVH ou encore ?

 

A lire dans Alliancy  : Numgergy

Président : Philippe Tavernier, 51 ans, ancien président de Sogeti France.

Offre : opérationnelle depuis septembre 2012.

Trois niveaux de services (Start, Entreprise, Critique) assurent jusqu’à 99,99 % de disponibilité, soit un maximum de 4 minutes d’indisponibilité par mois.

Référence : un premier client depuis octobre 2012, le groupe Success.

Objectif : 400 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, avec 400 emplois.

 

A lire dans Alliancy : Cloudwatt

 

Président : Patrick Starck, 55 ans, ancien de HP et de CA Technologies France.

Offre : opérationnelle fin 2012.

Partenaires : Ysance, Alpha Layer, eNovance…

Objectif : 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, avec 300 à 500 emplois.

 

 

 

Question : la stratégie du « champion national » est-elle la bonne ?

 

A lire dans Alliancy : La stratégie du « champion national » est-elle la bonne ?

Marc Hudavert, senior vice-président marketing et vente de solutions d’authentification en ligne chez Gemalto

 

OUI « Il y a un vrai besoin de localiser les données dans l’Hexagone. »

« Trois ans plus tôt, j’aurais émis un avis défavorable au cloud. Plus maintenant. Nombre d’entreprises sont à la recherche de ce que peut leur proposer une infrastructure de cloud computing : de la puissance de calcul disponible instantanément et sans limite. Permettre l’émergence de deux acteurs d’envergure est intéressant et stimulera cette industrie. Même s’il ne faut pas oublier les autres projets soutenus par des sociétés de services en informatique comme Capgemini, Accenture ou Atos. Mais ces derniers ont une vocation plus internationale alors que Numergy et Cloudwatt promettent des centres de données localisés en France. Ces deux projets de cloud “souverain” répondent à un vrai besoin de localiser les données dans l’Hexagone. Il y a une défiance de la part des entreprises vis-à-vis des clouds publics, opérés par des acteurs comme Amazon, Google ou Microsoft. Elles sont donc demandeuses de tels prestataires, mais évoluant dans un contexte juridique qui leur est favorable. De nombreuses DSI [directions des systèmes d’information] nous ont confié avoir besoin d’évoluer vers une infrastructure cloud computing, mais seulement sur du cloud souverain. Même si Numergy et Cloudwatt partent de plus loin qu’Amazon ou Google, le timing de leur création est bon, le marché européen étant toujours en décalage avec le marché américain. Maintenant, il faut faire en sorte que l’idée devienne réalité. Tout dépendra de la qualité des services proposés et de la grille tarifaire associée. Rendez-vous dans six mois pour un premier bilan. »

 

A lire sur Alliancy : La stratégie du « champion national » est-elle la bonne ?

Nicolas Aubé, président de Celeste, fournisseur d’accès Internet haut débit

NON – « Leurs datacenters, gourmands en électricité, ne seront pas compétitifs

« Mon avis est un peu biaisé car Celeste propose une offre de cloud computing avec des centres de données situés en France. Nous sommes donc potentiellement concurrents de Numergy et Cloudwatt. La démarche de l’Etat de promouvoir ces deux futurs champions est une bonne idée.

Le cloud computing va transformer l’industrie des services informatiques. Mais la stratégie pose problème. Leurs dirigeants parlent sécurité des données, flexibilité, bref de tous les avantages du cloud, mais ils n’évoquent jamais la problématique énergétique. Or, ce point est central. D’abord, en termes de modèle économique, la consommation énergétique des datacenters est une variable importante du coût de ces infrastructures, représentant jusqu’à 20 % des coûts d’exploitation. Nous avons étudié quelques business cases basés sur l’offre d’Amazon Web Services et nous sommes rendus compte qu’ils n’étaient pas compétitifs. Dans leur structure de coûts, la consommation énergétique représente une part non négligeable. L’offre de Numergy s’appuiera, dans un premier temps, sur le centre de données SFR de Courbevoie, dont la construction date de plusieurs années, et donc gourmand en électricité. Quant à Cloudwatt, son offre reposera sur le nouveau datacenter d’Orange sis à Val-de-Reuil, dans l’Eure. Il a été conçu par le même architecte que celui qui a dessiné le nôtre, mais ils n’ont apparemment pas retenu les mêmes spécifications et leur consommation énergétique devrait s’en ressentir. »