Economie Numérique – Le gratuit vous appauvrit !

Le gratuit vous appauvrit !

Franck Barnu a lu pour vous

C’est une convergence assez étonnante. D’un côté un über geek californien à dreadlocks, musicien de surcroît, visionnaire reconnu du numérique et célèbre pour avoir été le pionnier de la réalité virtuelle : Jaron Lanier. De l’autre, deux hauts fonctionnaires français, Pierre Collin, conseiller d’Etat, et Nicolas Colin, inspecteur des Finances. Le premier vient d’écrire un livre Who Owns the Future ?, qui lance un formidable pavé dans la mare de la doxa numérique. Les deux autres ont remis, en janvier, au Gouvernement un rapport d’expertise sur la fiscalité numérique*. A priori aux antipodes, ils pointent pourtant, les uns et l’autre, un phénomène inquiétant.

Dans l’économie numérique, « les données issues du “travail gratuit” des utilisateurs sont au coeur de la création de valeur », disent les Français. C’est exactement ce que souligne et ce qui inquiète Jaron Lanier. Il dit en substance : il ne faut pas se leurrer, tous les services gratuits disponibles sur Internet sont toujours le résultat du travail d’êtres humains. Il cite, entre autres, l’exemple de la traduction automatique. « On imagine que les services comme celui de Google sont le résultat du développement d’un puissant “cerveau” central. En réalité, leur outil de traduction a été réalisé en compilant des quantités considérables de traductions réalisées par des êtres humains. »

A qui profite le crime ?
Le gratuit vous appauvrit !Bref, Lanier se révolte contre cette économie du gratuit qui s’est mise en place – l’information gratuite, la musique gratuite, l’open source, les services gratuits de Google, Facebook et autres twitter – et qu’on a tant vanté. Pourquoi ? Parce qu’elle dépouille la masse des producteurs d’information de tout bénéfice au profit exclusif de ceux « qui disposent des ordinateurs les plus puissants ».
Pour Lanier, même si, dans un premier temps, les utilisateurs semblent en bénéficier, c’est en fait un jeu de dupes qui concentre beaucoup trop de pouvoirs et de richesses dans les mains d’une infime minorité d’entreprises. Le pire est que ces entreprises, le plus souvent, ne fonctionnent qu’avec un nombre hyperlimité de salariés. Le tout constitue ainsi le plus sûr moyen de laminer la classe moyenne que l’industrie d’antan avait fini par créer.

Autrement dit, cette économie du gratuit aboutira à un appauvrissement général. Jaron Lanier fait partie de ceux qui avaient le plus activement soutenu le développement de ce monde numérique : « Nous avons été naïfs. Nous n’avons pas vu venir ce phénomène. Mais maintenant que nous en avons conscience, il faut réagir. » Comment ? Notamment « en faisant payer l’information » et en repensant Internet de façon à ce que les transactions soient monétisées, ce qui, reconnaît-il, s’apparente à un blasphème ! Le constat qu’il dresse est sans appel et le phénomène est évidemment à rapprocher de la fabuleuse accumulation de richesses par un petit nombre, qui a accompagné chaque révolution industrielle.

Faut-il n’y voir qu’une maladie infantile ou une terrible menace qui exige des mesures drastiques pour éviter le pire ? Le livre de Lanier impose de se poser la question. 

Photos : Olivier Roux – D.R.

 

Cet article est extrait du n°6 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine