Les « petits » français à l’assaut de la Chine

Portées par les pouvoirs publics français, les jeunes pousses innovantes commencent à aborder l’énorme marché chinois pour répondre à l’avidité d’avancées technologiques d’un pays en pleine mutation numérique.

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« Je suis enthousiasmé – voire stupéfait – par la curiosité et la soif d’innovation, ainsi que des nouvelles technologies des entreprises chinoises ! » Fin novembre, Jean-Louis Fages, président d’A2IA, éditeur de logiciels de reconnaissance de l’écriture manuscrite et imprimée, n’a pas hésité à exprimer sa satisfaction à son retour de Chine. Son entreprise comptait parmi les 13 start-up et PME* de la French Tech sélectionnées et emmenées dans le pays par Business France et Bpifrance dans le cadre d’Acceleratech China, leur programme commun d’immersion/ accélération dans l’écosystème chinois.

Un parcours d’accompagnement  sur-mesure

« L’objectif était de confronter nos start-up à l’environnement high-tech chinois afin d’en comprendre les spécificités et les besoins, d’en maîtriser les codes et de voir la pertinence de leurs technologies sur ce vaste marché », indique un porte-parole de Bpifrance. Les 13 entreprises ont ainsi suivi pendant dix jours un parcours d’accompagnement sur-mesure dans les quatre principaux centres technologiques du pays (Pékin, Shanghai, Shenzhen et Hong Kong), à la rencontre de grandes entreprises nationales et locales, d’investisseurs, de partenaires potentiels, de prospects…« Nous avons pris contact avec les opérateurs Telecom China Mobile, China Unicom, mais aussi avec Baidu, le Google chinois, le géant de l’e-commerce Alibaba, et la Banque ICBC China. Au total, on a rencontré 25 entreprises chinoises susceptibles de devenir nos partenaires sur nos secteurs cibles, la téléphonie mobile, l’e-commerce et la banque », illustre Jean-Louis Fages.

A2IA veut anticiper l’essor des paiements sur téléphone mobile dans un pays qui compte plus de 500 millions d’internautes mobiles et se positionner sur l’explosion actuelle des transactions électroniques sur de grands sites marchands comme Alibaba. « Nous développons un moteur de reconnaissance de l’écriture chinoise manuscrite et imprimée qui permettra de vérifier l’identité des usagers et d’en extraire les données pour les e-commerçants lors des achats en ligne », explique le dirigeant. A2IA compte lancer sa technologie en Chine au troisième trimestre 2016, « si ce n’est avant ».

A l’image d’A2IA, la plupart des start-up du programme ScreenHunter_329 May. 17 10.08 Acceleratech China sont revenues avec beaucoup d’ambition ! C’est le cas de Sentryo, jeune pousse spécialisée dans la cybersécurité des réseaux industriels dans les secteurs du transport et de l’énergie. « Nous comptons ouvrir un bureau de représentation à terme, probablement à Hong Kong, en espérant conclure des partenariats avec certains intégrateurs ou équipementiers rencontrés dans le domaine de l’automatisme, pour approcher les grands clients chinois publics et privés des transports et de l’énergie », révèle Laurent Hausermann, son directeur général. Plus avancé, Euris Health Cloud, spécialiste de l’hébergement des données de santé et éditeur de logiciels spécifiques aux forces de vente des laboratoires pharmaceutiques, est sur le point de créer une filiale locale au premier trimestre 2016. « Nous travaillons déjà avec deux sociétés, le laboratoire Ipsen pour équiper en logiciels plusieurs centaines de ses visiteurs médicaux chinois et avec le Français Etiam qui démarre son activité de stockage et d’archivage de données d’examens dans les hôpitaux du pays », souligne Delphine Poulat, sa directrice générale. De son côté, S4M, start-up spécialisée dans le ciblage et le reciblage publicitaire sur téléphone mobile pour les campagnes des marques, prévoit d’ouvrir un bureau de représentation en Chine au deuxième semestre 2016. « Il nous faut être présent dans un pays qui représente 25 % du marché mondial du ciblage publicitaire sur mobile », avoue Christophe Collet, son président-fondateur. S4M est l’un des cinq lauréats** du programme Acceleratech China qui ont bénéficié de quatre semaines supplémentaires dans le pays. Cela leur a permis d’approfondir les liens tissés avec des partenaires et investisseurs chinois lors de la première phase d’immersion afin d’accélérer leur présence en Chine.

Les start-up tricolores ont ainsi une belle carte à jouer pour répondre à la soif d’innovation et d’avancées technologiques d’un pays en train de changer de modèle économique. Depuis une quinzaine d’années, la Chine s’est fortement développée au point d’abandonner, aujourd’hui, son statut d’ « usine du monde » pour passer à un grand marché de consommation domestique, grâce notamment à l’émergence d’une classe moyenne. Mais pour substituer la consommation intérieure aux exportations comme moteur de croissance de son économie, le pays a dû progressivement augmenter les salaires, et donc accepter une perte de compétitivité, jusqu’ici surtout due à l’avantage comparatif du bas coût de sa main-d’œuvre. L’innovation doit compenser la réduction de cet avantage. Et pour innover, la Chine a besoin d’apports extérieurs, notamment des PME et startup occidentales. C’est dans cette logique que l’empire du Milieu cherche à attirer des entreprises innovantes et sur laquelle les start-up françaises peuvent se positionner. D’autant que les autorités chinoises ont élaboré un plan visant à transformer structurellement l’économie du pays et la « numériser » d’ici à 2025.

670 millions d’internautes

En attendant, la Chine est déjà un ogre digital. Le pays est désormais le premier marché mondial du Web avec 670 millions d’internautes. L’e-commerce y pesait 800 milliards de dollars (725,64 milliards d’euros) en 2014, devant les EtatsUnis, et 60 % des internautes achètent en ligne sur mobile. De manière globale, les TIC représentent déjà 26 % du PIB du pays et connaissent une croissance annuelle de 20 à 30 % en fonction des secteurs. La Chine a également ses propres champions nationaux. Baïdu, Alibaba, Tencent ou encore Huawei sont les équivalents chinois des Google, Amazon, Facebook et Apple. 

Mais en France, cette transformation numérique de l’économie chinoise n’apparaît pas encore comme une évidence. « Nous nous sommes rendu compte que la présence de la French Tech en Chine était encore trop faible. Beaucoup reste à faire. Il faut que les start-up se connectent à cet énorme marché mondial high-tech qui offre de belles opportunités. Les initiatives comme le programme Acceleratech China, que nous menons avec notre partenaire Business France, seront amplifiées pour projeter nos start-up dans le pays », souligne Paul-François Fournier, directeur exécutif Innovation de Bpifrance.

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Phoceis, l’agence digitale et d’applications mobiles, a ouvert un bureau de représentation dans l’incubateur de Shanghai. © SeanPavonePhoto

Les initiatives de la sorte se sont pourtant multipliées en 2015. EuraTechnologies, le pôle d’excellence dans les TIC de Lille a lancé en septembre 2014 en partenariat avec le cabinet conseil Business Development Consultants (BDC) son programme « Euratech in China ». « Ce programme de dix-huit mois a consisté à accélérer le business en Chine de 4 start-up en phase  de croissance sélectionnées sur leur niveau de maturité et qui s’engageaient à consacrer 30 % de leur temps à la Chine », expose Raouti Chehih, directeur général d’EuraTechnologies. « L’idée était de permettre à ces jeunes entreprises de chercher un relais de croissance à l’international en créant des liens avec les grands groupes français et occidentaux implantés sur place », poursuit Jérôme Gayet,  président de BDC.

Les quatre start-up du programme ont ainsi bénéficié d’une semaine d’immersion en février 2015. Domiciliées dans un incubateur à Shanghai, elles en ont profité pour rencontrer sur place
une quinzaine d’entreprises françaises… Mais des quatre, une seule a réellement transformé l’essai. Phoceis, l’agence digitale et d’applications mobiles a depuis ouvert un bureau de représentation dans l’incubateur de Shanghai et enchaîné trois gros contrats. La start-up a déployé plus de 1 000 beacons (boîtiers qui permettent d’interagir avec les mobiles des usagers pour donner du contenu) sur les affiches de JCDecaux dans les deux aéroports de Shanghai. « C’est la première fois qu’un tel déploiement s’effectue en Chine », glisse Augustin Missoffe, son directeur général Asie. Phoceis a également réalisé un audit de l’application mobile d’AccorHotels et géré le média social de PSA Peugeot-Citroën de Pékin pour des applications de services connectés dans les voitures.

Un fonds franco-chinois pour l’innovation

Lancé en juillet 2015 par son gestionnaire chinois Cathay Capital, le fonds franco-chinois Innovation, dont les principaux investisseurs sont Bpifrance et China Development Bank Capital (CDB Capital), est un nouveau produit d’investissement bilatéral dédié aux opérations de capital-risque dans les sociétés innovantes. Doté de 250 millions d’euros (dont 100 à 150 millions d’euros levés auprès d’investisseurs tiers, notamment du Français Valeo), le fonds investira prioritairement en France et en Chine dans des start-up du numérique positionnées sur la téléphonie mobile, le big data, l’Internet des objets, les transports intelligents, les voitures connectées, la publicité et marketing digital, le cloud, la cybersécurité, les jeux multimédia, les réseaux sociaux… Les montants investis dans chacune des 12 à 15 entreprises innovantes ciblées seront compris entre 5 millions et 25 millions d’euros. Basé à Paris, Pékin, Shanghai mais aussi à San Francisco, ce fonds investira aussi dans des start-up aux Etats-Unis. Son gestionnaire Cathay Capital a prévu de constituer une activité dédiée au segment du numérique en mettant son réseau global au service des entreprises les plus innovantes. Il entend ainsi déployer une stratégie accélérant le développement des sociétés choisies dans chacun des trois pays concernés en favorisant les échanges et les partenariats entre elles.