Les robots essaiment

La robotique peut être la prochaine révolution industrielle. Au croisement de plusieurs secteurs, le développement de ce « champ technologique », professionnel ou grand public, peut avoir un impact important en termes de créations d’emplois. La France veut sa part et lance de nombreuses initiatives.

Les robots ne sont plus appréhendés comme des fossoyeurs d’emplois. Ils commencent à être perçus comme un facteur de productivité ! Et sont au cœur de l’un des trente-quatre plans de reconquête industrielle du gouvernement, centré sur l’usine du futur*. C’est un enjeu majeur de compétitivité pour autant que les entreprises acceptent les changements d’organisation générés par l’entrée de robots dans leurs ateliers. Face à ce qu’il qualifie de « robolution », Bruno Bonnell, président de Syrobo (syndicat français de la robotique) et patron de Robopolis et Awabot, estime que la France a une « responsabilité d’invention. SScreenHunter_03 Oct. 03 11.12a seule chance est de créer des produits de très haute technologie, des innovations de rupture, en rapprochant les chercheurs des marchés », résume ce chef d’entreprise lyonnais.

Selon lui, cette robolution, déjà en marche, est à mettre en regard de la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle. « Les types de machines étaient variés et polymorphes quels que soient les secteurs d’ activité, de l’agriculture au textile, des mines aux industries de transformation, remarque-t-il. De la même manière, l’intelligence apportée à la machine va bouleverser notre quotidien personnel et professionnel et l’ensemble des objets qui nous entourent seront robotisés et connectés. Il y aura des robots roulants, rampants,volants, statiques, mobiles. » Jamais à court de formule, il estime que la France peut devenir la « Californie de l’Europe » dans le domaine robotique. A condition d’accélérer sa conversion.

Dans cette compétition, la Silicon Valley, la région de Boston autour du MIT (Massachusetts Institute of Technology), l’Allemagne et le Fraunhofer, le Japon et la Corée du Sud ont déjà pris plusieurs longueurs d’avance. Alors que les PME françaises rechignent bien souvent à se robotiser, les ventes de robots ont progressé de 25 % par an en Chine, entre 2005 et 2012. L’intérêt que porte de grands groupes comme Google, Facebook et Amazon à des entreprises d’intelligence artificielle présage un avenir plus que radieux pour la robotique, industrielle notamment. Ce marché est estimé à 26 milliards de dollars (19 millions d’euros) à l’échelle mondiale. Il pourrait atteindre des chiffres stratosphériques de centaines de milliards, voire mille milliards pour les prévisions les plus optimistes.

L’industrie en première ligne

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Manuel Valls et Arnaud Montebourg en visite à l’usine Stäubli, à Faverges (Haute-Savoie), dans le cadre du projet « Usine Future ».

Jusqu’alors en retard, la France se découvre un horizon et des atouts robotiques, à l’image du premier robot humanoïde NAO, conçu par la société Aldebaran Robotics, et de son grand frère Romeo. En première ligne de cette « ère des robots », l ’industrie. Bras armé de cette robolution, l’entreprise franco-suisse Stäubli, qui conçoit et fabrique, depuis 1982, des robots industriels sur son site de Faverges (Haute-Savoie) : du petit robot aux gros porteurs six axes qui peuvent manipuler des charges supérieures à 250 kilogrammes. Stäubli vend quelques milliers de robots par an dans le monde à des industriels de l’automobile, de la pharmacie, de la plasturgie, de la chimie, du secteur médical. Ses robots peuvent aussi intervenir en milieu hostile, tous leurs composants étant protégés à l’intérieur du bras du robot. Stäubli, qui investit fortement en R&D, peut compter sur un important réseau de sous-traitants en Rhône-Alpes, en particulier dans la vallée de l’Arve, pilier de la mécatronique française, rouage essentiel de la robotique. Pour Bernard Carera, directeur division robots de Stäubli, le robot de demain collaborera avec l’homme, « dans le sens de la machine au service de l’homme, et non de la machine qui contraint l’homme ou pire qui le domine ». « Robotiques industrielle et de service partagent un point majeur : l’intelligence artificielle qui les anime et permet leur acceptation par l’homme, énonce Bernard Carera. Tous sont la synthèse des technologies les plus avancées. Par exemple, de nouveaux matériaux sont nécessaires afin d’obtenir des structures, des actionneurs, des transmissions rigides et performantes. Mais aussi en termes électronique et surtout de logiciel, qui est sans aucun doute la clé de ce robot de demain, celui qui travaille et habite avec l’homme. »

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Les premiers robots humanoïdes NAO, conçus par la société Aldebaran Robotics, présentés au salon Innorobo, à Lyon, en mars.

Dans le sillage des deux plus grands fabricants de robots en France, Stäubli et Adept, également implanté en Haute-Savoie, la région Rhône-Alpes peut devenir le centre névralgique de la robotique française. « Rhône-Alpes, c’est le Lego de la robotique. Si vous enlevez la carapace, vous trouvez tout pour fabriquer un robot sur son territoire : mécatronique, batteries, capteurs, actionneurs, intelligence artificielle », démontre André Montaud, directeur du centre de ressource et réseau technologique Thésame, qui a réalisé, avec l’Agence régionale du développement et de l’innovation (Ardi) en Rhône-Alpes, un état des lieux des forces en présence.

« Un robot est constitué de six blocs fonctionnels, poursuit François Payot de l’Ardi : ce sont les agents intelligents (algorithmes…) ; l’interface homme-machine (communications sonores, lumineuses, émotionnelles…) ; les capteurs de température, de mouvement ou d’image ; les actuateurs-mécatronique (moteurs, systèmes déformables…) ; les systèmes (calculateurs, logiciels embarqués…) et les composants (mécaniques, électriques et électroniques…). Toutes ses compétences existent en Rhône-Alpes. On estime au moins à trois cents, le nombre d’entreprises qui fabriquent ces briques technologiques intégrées dans des robots. » Toutes ces compétences participent, selon François Payot, d’une « robotique agile » aussi bien dans la robotique de production que dans la robotique de service, appliquées à l ’industrie et à la vie privée.

Des prototypes sur mesureScreenHunter_04 Oct. 03 11.14

Parmi ces acteurs, des entreprises comme RSP Ingénierie, dans l’Ain, spécialisée dans la conception et l’intégration d’équipements industriels destinés à l’amélioration de la productivité et des conditions de travail. « Notre métier, c’est la robotique et la mécanisation. Nous intégrons à la demande des cellules robotisées dans toute la chaîne de production et les postes de travail, indique Alain Bouvard , le patron de cette société de vingt-deux collaborateurs. A partir d’une analyse du besoin, nous configurons un prototype sur mesure puis installons nos machines intelligentes, aussi bien dans des PME françaises qu’à l’international où RSP Ingénierie réalise près du tiers de son chiffre d’affaires. »

Première région française de sous-traitance, Rhône- Alpes a son destin robotique en main. « Ses entreprises sont potentiellement de gros pourvoyeurs de robotique de service », analyse André Montaud. En particulier, des groupes comme SEB, Schneider Electric ou Somfy, qui s’investissent notamment dans la maison intelligente où « 70 % des robots sont invisibles », observe le directeur de Thésame, à l’image des « ascenseurs qui sont des robots comme les autres ».

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Le21 janvier, Jean-Jack Queyranne (à gauche), président de la région Rhône-Alpes, et Bruno Bonnell, patron d’Awabot, ont présenté le projet « robot lycéen », à Lyon. Il permettra, dès la rentrée, à un lycéen de suivre ses cours à distance.

Avec cinquante entreprises et soixante laboratoires de recherche spécialisés, Rhône-Alpes est la région française la plus polymorphe. Ainsi, l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) travaille à Grenoble (Isère) sur le véhicule autonome avec le constructeur automobile japonais Toyota, le CEA-Liten sur les robots mobiles autonomes, le stockage de l’énergie et les capteurs. « La robotique peut être un axe fort du développement de la région. Mais l’arbre des robots “sympathiques” ne doit pas occulter la forêt des robots utiles », prévient Bruno Bonnell, qui n’est pas favorable à la constitution d’un énième cluster, qui ne correspondrait pas à la dimension polymorphe de la robotique qui transcende les filières. La robotique étant par définition, comme Internet, un « mot-valise » qu’on ne peut cantonner à un seul secteur d’activité.

D’autres régions se mobilisent

Vice-président de la région Rhône-Alpes en charge du développement économique, dScreenHunter_05 Oct. 03 11.15e l’industrie, des PME et de l’innovation, Jean-Louis Gagnaire est bien conscient de cette spécificité. Le plan d’action régional en faveur de la robotique, qui sera adopté en juin, devrait booster ce vecteur de croissance afin de générer des créations d’emplois « à tous les niveaux » et structurer une offre de formation, initiale notamment.

D’autres régions se mobilisent autour de la robotique : l’Aquitaine et Midi-Pyrénées, en particulier dans les drones, la Bretagne dans la robotique mobile, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Bourgogne dans les robots en milieu hostile, dans les centrales nucléaires… Onze régions sont plus ou moins impliquées dans ce déploiement, qui doit permettre à la France de combler son retard. Mais, pour l’instant, seules 3 000 personnes travaillent dans la robotique (stricto sensu) en France. Des effectifs équivalents à ceux d’Internet à son balbutiement en 1996. C’est dire les marges de progression ou l’ampleur de la tâche, selon le point de vue que l’on adopte.

*Piloté par Frédéric Sanchez, président du directoire de Fives, et Bernard Charlès, patron de Dassault Systèmes, le plan usine du futur, pour lequel près de 1 milliard d’euros devrait être débloqué au total, prévoit le lancement de sept projets pilotes, suivis d’une dizaine d’autres d’ici à la fin de l’année. Les régions financeront des diagnostics industriels dont 2 000 à 3 000 entre- prises pourraient bénéficier. Des prêts devraient être accordés par Bpifrance (cumulables jusqu’à 12 millions d’euros par entreprise) et par le biais d’un amortissement accéléré.

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