Fabrice Sabarthes (SFR Business) « Redéfinir l’espace de travail numérique favorise le sentiment d’appartenance à l’entreprise »

Du bâtiment auto-apprenant à la disparition de l’e-mail : les entreprises ont-elles une vision claire pour définir leur futur politique d’espace de travail numérique ? Fabrice Sabarthes, Responsable Marketing Téléphonie Fixe, Communications Unifiées et Relation Client de SFR Business, porte un regard pragmatique sur les orientations actuelles des organisations et sur ce que le futur leur réserve.

Fabrice Sabarthes, Responsable Marketing Téléphonie Fixe, Communications Unifiées et Relation Client de SFR Business

Fabrice Sabarthes, Responsable Marketing Téléphonie Fixe, Communications Unifiées et Relation Client de SFR Business

Vers quoi veulent aller les entreprises en matière d’environnement de travail numérique ?

Fabrice Sabarthes. La trajectoire que l’on voit se dessiner est celle d’une volonté des entreprises d’aller vers des bureaux 100% mobile. Les discours se multiplient sur le sujet pour présenter la transformation des espaces de travail en même temps que la transformation numérique des organisations.

Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Parle-t-on d’une prééminence absolue du terminal mobile ? D’une liberté accordée aux collaborateurs en matière de mobilité personnelle ? Ou d’encore autre chose ? Ce qui interpelle aujourd’hui quand un grand groupe essaye de se projeter sur de tels sujets, c’est l’absence de clarté dans la vision. Bien souvent, on n’a pas répondu à la question la plus importante : quelle sera l’expérience de travail demain ?

Y-a-t-il vraiment une réponse unique à cette question ?

Fabrice Sabarthes. Pas vraiment. S’il y a un intérêt pour certains métiers très « terrain » d’avoir le bureau qui suit en quelque sorte le collaborateur partout, grâce à un terminal mobile dans la poche, il est évident que l’expérience sera différente pour une personne dont la mission est beaucoup plus sédentaire. On a alors du mal à se représenter l’intérêt ou même le gain en productivité que pourrait signifier un smartphone à la place d’un poste fixe. Donc cette question de ce qui a du sens, au cas par cas, est la plus pointue et la plusdélicate. Et plus encore que sur la dimension technologique, c’est sur ce sujet que les acheteurs, les DSI, les directeurs du digital ou même les DRH, ont besoin d’explications et d’accompagnement. A vouloir changer le futur des modes de travail, on risque bien souvent de se détacher du quotidien en se berçant d’illusions.

Ne risque-t-on pas de voir apparaître d’un côté des travailleurs extrêmement mobiles, et équipés pour, et d’autres pour qui l’environnement de travail n’aura pas tant que cela changé ?

Fabrice Sabarthes. En fait, le poste de travail d’un collaborateur sédentaire va aussi profondément évoluer durant les prochaines années. Toutefois les changements seront sans doute plus variés et ne pourront être limités à la montée en puissance du smartphone comme terminal professionnel principal. Ce que les entreprises comprennent progressivement, c’est qu’au final la nature du terminal importe peu, l’importance c’est la cohérence de l’expérience pour le collaborateur entre tous les outils mis à sa disposition. Certains sont en effet plus pratiques que d’autres selon les circonstances. L’important pour un « bureau », c’est l’échange d’information, le collaboratif, la capacité à se réunir physiquement ou virtuellement… A cela on peut ajouter pour un salarié la capacité à gérer de manière simple tout ce qui a traits aux RH. Que vous soyez sur un mobile ou un pc fixe, vous vous attendez à avoir le même usage.

Quel est le risque de ne pas prendre en compte cette expérience du collaborateur ?

Fabrice Sabarthes. L’expérience du collaborateur est une composante clé du sentiment d’appartenance à son entreprise. Il faut donc redéfinir l’espace de travail numérique à l’aune de l’expérience que l’on veut offrir. Quand elle est mal appréhendée, et en particulier autour des situations de mobilités, elle peut au contraire représenter un risque de désengagement. La discontinuité est un problème majeur.

Comment les entreprises peuvent-elles s’organiser pour éviter cela ?

Fabrice Sabarthes. Il est nécessaire qu’elles se posent de façon honnête la question : « où en suis-je aujourd’hui » ? En quelques années, les réponses ont en effet beaucoup changé. La façon d’occuper les bâtiments a complètement métamorphosé ce que l’on peut attendre d’un « bureau informatique » en parallèle. La diversité des situations est telle que l’essentiel pour une entreprise est de trouver autour de quoi harmoniser l’expérience de travail. Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple du télétravail. Il est présent partout dorénavant, mais ne se résume plus du tout pour autant à un collaborateur qui se contente de travailler depuis son domicile. Les tiers lieux se sont multipliés, permettant la ventilation des moments de travail selon les besoins et les déplacements tout au long de la journée. Mieux, les grandes entreprises ont pris le taureau par les cornes en installant de nouveaux bureaux « accessibles » en périphérie des centres villes par exemple, pour faciliter cette agilité des déplacements. Pour éviter qu’une politique de télétravail soit complètement désarticulée et hors-sol, l’entreprise doit donc définir l’expérience globale qu’elle entend fournir à ses salariés, selon leurs usages actuels.

C’est ce que beaucoup estiment déjà faire…

Fabrice Sabarthes. Le problème vient de la progressive perte de maîtrise sur leur environnement, qui ne va aller qu’en s’accélérant. Si elles n’y prennent gare, celle-ci va s’entrainer d’une perte de qualité d’expérience et de travail énorme. Or, une mauvaise expérience sur un nouveau style de fonctionnement professionnel, ou sur un nouvel espace numérique de travail, et… la messe est dite. La solution est de mettre l’accent sur la simplicité et l’ergonomie, qui sont les grands oubliés des « nouveaux modes de travail » actuels. Cela va impliquer la DRH pour les processus, mais également la DSI pour tout ce qui aura trait à la sécurité et à l’authentification par exemple. Plus tout ceci sera intégré, mieux ce sera. Il faut absolument consolider ce socle de fonctionnement de base pour se préparer aux grandes vagues de changements qui arriveront demain.

A quelle vague les entreprises s’attendent-elles le moins d’après vous ?

Fabrice Sabarthes. J’en vois deux qui sont régulièrement sous-estimés. D’abord, celle du bâtiment connecté. Il en est question depuis longtemps, mais il faut faire un peu de prospective et se projeter sur l’influence qu’il va avoir sur notre quotidien professionnel. Rapidement, ces bâtiments vont être en auto-apprentissage permanente des usages des personnes qui les occupent. Niveaux sonore ou lumineux ou même déplacements, l’environnement va s’adapter en permanence pour permettre aux gens d’être plus efficace dans leurs échanges. On touche là au véritable « collaboratif », c’est-à-dire aux systèmes qui vont bien plus loin que le partage de document ou les réseaux sociaux internes. La R&D actuelle avance à grand pas sur les équipements eux-mêmes, avec une place prépondérante laissée à l’IA pour « régler automatiquement les détails » par exemple lors des visioconférences. L’espace de travail numérique paramétra potentiellement énormément de détails pour permettre de favoriser les échanges entre les humains. Ne pas intégrer cette composante dans l’équation, c’est fermer les yeux sur une composante énorme de nos espaces de travail de demain.

Et la seconde ?

Fabrice Sabarthes. La disparition de l’e-mail… au moins dans certaines parties de l’entreprise. C’est un paradoxe. Nous savons pertinemment que beaucoup de nos clients souffrent de leur dépendance à l’e-mail. Ils cherchent des alternatives. Mais nous savons tout aussi bien qu’enlever les e-mails, c’est potentiellement perdre l’adhésion de 80% de ses collaborateurs dans la transformation. Les entreprises doivent apprendre à viser les 20% restant : par exemple au sein des DSI qui sont complètement à l’aise avec les méthodologies agiles. L’e-mail n’a plus vraiment de sens pour elles. Il doit disparaitre des métiers où il est mal vécu. Nous allons en fait vers une très forte spécialisation des médias selon des styles de communications très différents, mais souvent complémentaires. Toute la difficulté pour une entreprise sera donc dès à présent de mettre en place une politique capable d’assumer cette granularité, en faisant des choix audacieux mais sur des périmètres où ils ont vraiment du sens, plutôt que de suivre des effets de mode en espérant que l’organisation entière va suivre.